Médicament, m'aide-y comment ?

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AmThLi
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Médicament, m'aide-y comment ?

Message par AmThLi »

Suite à la suggestion de Camillou38, et parce que je n'ai rien d'autre à foutre à cette heure-ci, j'ouvre un sujet sur la question du traitement en psychiatrie.

Le traitement médicamenteux, à tout le moins depuis l'apparition des neuroleptiques qui ont une action et sédative, et antidélirante, se pose comme un des points les plus sensibles de la psychiatrie.

Que représente-il ? Il me semble qu'il y a plusieurs choses qui se cristallisent dans les relations de transfert individuelles et collectives.

=> "Vous avez pris votre traitement ?" Le traitement peut devenir une finalité pour les soignants, "il a pas pris son traitement !" Bien, et alors ? Qu'est ce que le médicament peut représenter à la fois comme point de contact, comme objet de va-et-viens entre l'équipe et le/les patients, que sa prise ou non nous obsède à ce point ? Et que son acceptation ou, le plus souvent, son refus, puisse représenter pour le patient d'un jeu de demande, même paradoxalement lorsque "j'ai pas envie de le prendre !".
Ou à l'inverse et ce notamment avec les "si besoin" anxiolytiques à plus d'un titre, comme propriété pharmacologique et comme effet psychologique, le "si besoin" est souvent vu comme une solution de première intention. Qu'est-ce alors que ce "si besoin" au nom fort équivoque ? Et le médicament ne joue-t-il pas, pour les soignants, et parfois même pour les patients, le rôle d'incarner un objet que je qualifierai non sans provocation de "cause du désir" aussi bien de soignant que de soigné ?
Je pense en écrivant cela que si en apparence le médicament fait dépendre le soigné du soignant, ce dernier ayant autorité, via sa prise ou non, sur le soignant, et bien en réalité, n'est ce pas plutôt dans la prise ou le refus de prise que le soigné prend autorité sur le soignant, décidant de par cette prise ou non de réguler d'une manière ou d'une autre le désir des soignants, à tout le moins leur marge de manoeuvre.
Cela rappelera sans doute des choses à ceux qui ont connaissance d'une certaine interprétation (c'est le cas de le dire !) de la dialectique maitre/esclave de Hegel.

=> Par ailleurs, lorsqu'il s'agit de distribuer les traitements, bien souvent, et ce, encouragés par les nouvelles règles protocolaires de "pharmacovigilance" (rappelons que le néologisme est aussi un signe psychotique), les soignants décapsulent le médicament et le mettent dans la main du patient. Je constate que tous les patients, qu'ils soient ou non psychotiques, qui ont un peu d'expérience de la psy, lorsqu'ils arrivent à la distribution, ont ce réflexe de tendre la main. Cela me rappelle ces documentaires où maman oiseau apporte à manger, et que les oisillons ouvrent le bec, prêts à recevoir la nourriture. Je veux dire que nous reproduisons, à mon avis, un schéma infantile archaïque. Pour ma part, je donne le blister au patient, et c'est lui qui décapsule son traitement (sauf lorsque cela lui est impossible, et sauf situations bien particulières, bien entendu...). En clinique institutionnelle les traitement sont décapsulés à l'avance, placés dans des boites nominatives, et chaque patient vient prendre sa boite dans le grand bac. C'est un autre système.

=> Je repense aux anxiolytiques, les benzos sont les principaux traitements psy à engendrer une dépendance. N'est-ce pas justement à cause de cet effet anxiolytique ? On est là proche de l'effet anxiolytique décrit par certains patients à propos de l'alcool, du cannabis, voire d'autres toxiques entrainant une dépendance dite psychologique. Ne serais-ce pas un effet commun ?

Il y a sans doute des choses un peu approximatives, des contre-sens etc mais le but est de lancer la discussion, après - tout, si tout était dit dès le premier message et ce sans rien à ajouter, débattre ou corriger, ça serait l'angoisse, si j'ose dire !

Je souligne quand même l'intérêt du signifiant "médicament", "m'aide-y comment", de quelle manière le médicament aide t'il... ou pas ?
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J. Oury
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Re: Médicament, m'aide-y comment ?

Message par F.lavie »

Que dire... Le traitement en psychiatrie agit comme thymoregulateur (régulation de l'humeur) à pour but de diminuer les hallucinations (auditive visuel sensoriel...) les anxiétés et les angoisses , et j'en passe. Il me semble qu'il faut rappeler que l'hallucination ou l'angoisse est réel pour la personne parce qu'elle voir sent et ressent. Le traitement permet à la personne de se "stabiliser" et donc de s'insérer plus facilement dans la société.
Le si besoin sert lors de "crise". Il permet ainsi d'éviter les décompensations. Par ailleurs un patient en crise est difficile Voir impossible à raisonner et peu se montrer violent et dangereux envers le personnel et les autres patients. Il a donc une utilité mais il doit être utiliser à bonne escient.
L'arrêt du traitement n'est pas vraiment envisageable car la maladie mentale est une maladie chronique et à ce jour nous ne pouvons pas la soigner comme un rhume ou une gastro. Elle reste à vie. Le traitement permet de rester en "maladie chronique". L'arrêt du traitement provoque une phase aiguë appeler décompensation qui est souvent très violente à la fois pour la personne et pour son entourage.
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Re: Médicament, m'aide-y comment ?

Message par brrruno »

Bonsoir,
un thème bien intéressant que celui des médicaments.
L'introduction de AmThLi est une bonne réflexion sur la relation soignant soigné qui s'instaure au travers de ce médium.
Comme le rappelle F.lavie les médicaments ont des effets sur la pathologie, sur le côté "exubérant" de la maladie si je puis dire. Mais si le médicament aide à réduire les symptômes envahissants ce n'est pas lui qui permettra de s'insérer en société.
Le si besoin, s'il sert lors de la crise il n'évite pas la décompensation puisque l'on est en plein dedans. De plus il y a de nombreux si besoin, qu'ils soient pour la "crise", l'angoisse ou encore les "tracas passagés" venant perturber le sommeil. Un patient en crise peut être apaisé parfois autrement qu'avec une injection mais cela nécessite une disponibilité qui malheureusement est de plus en plus difficile à offrir. Toutes les crises ne sont pas empruntes de violence pour l'extérieur, bons nombres sont surtout d'une grande violence pour celui qui la vit.
Toutes les maladies mentales ne sont pas identiques et certaines se stabilisent aussi par des psychothérapies. Les médicaments sont une aide dans l'instauration d'une première relation
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Re: Médicament, m'aide-y comment ?

Message par dan65 »

Si l'on avance dans la réflexion, comment le soignant peut-il se sortir de sa propre dépendance à l'administration des médicaments et du raisonnement basique "il prend son traitement donc c'est bien" ou "le médecin ne charge pas assez...donne trop" ?
En pédopsy il y a de la part des nouveaux psy (formation courte) mais aussi des chevronnés un blocage pour prescrire, selon moi pour des raisons différentes : les nouveaux se méfient de ce qu'ils connaissent peu et "sous prescrivent" malgré parfois des signes interpellant (hallucinations diverses, TS, violence agressivité etc.). Les anciens comptent sur la parole mais que faire lorsque le jeune n'est pas accessible à celle-ci ?
Même distorsion chez les infirmiers entre les anciens capables de mener un entretien et d'en tirer la quintessence, mais qui râlent contre ce médecin incompétent pas foutu d'attaquer le délire avec un antipsychotique incisif ou en sous dosant, et les plus jeunes, souvent tout aussi capables de faire l'entretien, mais peut-être rassurés par une prescription plus corsée.
Et notre malade dans tout ça ? Il doit affronter ses propres angoisses (pas facile) et un drôle de contre transfert sur le thème "t'es pas assez traité, il n'y aura pas grand chose à sortir pour l'instant".
En résumé, le médicament est nécessaire et indispensable pour attaquer la phase aiguë, la confiance en ce qu'on donne et en celui qui prescrit tout autant. C'est la base de l'adhésion au soin, me semble t-il.
je soigne tout ce qui bouge ! Et parfois même ceux qui ne bougent pas...
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doublegaulois
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Re: Médicament, m'aide-y comment ?

Message par doublegaulois »

rien n'empêche de préciser le sens du "si besoin"
chez nous , par exple, on différencie: " si refus trt " et " si agitation "

très instructif aussi, les patients qui ne réagissent plus à rien et qui n'ont pour seul trt que..
. l'institution.
en fenêtre thérapeutique permanente donc....faut dire que parfois, ils ne s'en portent pas plus mal.
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Re: Médicament, m'aide-y comment ?

Message par augusta »

M'aide y comment ou médica....."ment", traite....."ment".......

Je procède comme AmThLi (en adaptant selon le patient évidemment): je donne le ttt dans son blister, et le patient gère la prise.
Ce que j'apprécie beaucoup c'est le moment d'échange qui s'instaure lors de la distribution. C'est un moment de rencontre important, en fait je crois que je me débarrasse vite fait de ce que pourquoi je viens (donner les médocs) pour rapidement échanger sur ça ou autre chose.
La distribution des médicaments serait alors un prétexte à l'échange....

Dans le service où je travaille, les patients ont peu de ttt....par choix médical....
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Re: Médicament, m'aide-y comment ?

Message par brrruno »

très instructif aussi, les patients qui ne réagissent plus à rien et qui n'ont pour seul trt que..
. l'institution.
en fenêtre thérapeutique permanente donc....faut dire que parfois, ils ne s'en portent pas plus mal.
Ils ne réagissent pas "plus à rien" puisse que le traitement institutionnel (oui oui c'est bien un traitement) apporte un effet non négligeable ...
Quant à la précision du "si besoin" est ce vraiment une nécessité ? A chacun de ne pas oublier (et surtout aux professionnels ) qu'ils ne travaillent pas qu'avec le sensationnel et que la part des "fous dangereux" n'est que minime contrairement à ce qu'une certaine idéologie sécuritaire pour nous faire croire
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doublegaulois
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Re: Médicament, m'aide-y comment ?

Message par doublegaulois »

bien entendu, l' institution est un trt ( thérapie institutionnelle ), mais comme là on parlait de médicaments.....
quant au si besoins, oui un peu de précision ne nuit pas, tous les ide n'ont pas la même bouteille ( surtout avec le lamentable d.e actuel ).
par exple, en ce qui me concerne, et aprés 14 ans d'exercice en psy, j'ai beaucoup moins tendance à recourir aux trt conditionnels et je joue plutôt sur l'expérience ( tant que c'est possible )
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Re: Médicament, m'aide-y comment ?

Message par AmThLi »

Quelques remarques diverses à vos messages.

Oui l'institutionnel est une thérapie quand l'institution est "saine", mais quand ce n'est pas le cas elle peut avoir des effets ravageurs sur les patients donc prudence.

Pour les "si besoin" je veux dire, oui c'est précisé en général "si agitation", "si angoisse" etc mais ce dont je parle et que Doublegaulois finit par un peu évoquer, c'est leur emploi systématique ou tout du moins en première intention au premier pépin. "Ouh là, il va moins bien, vite le si besoin !".

Après bon la distribution des médocs, c'est comme les prises de sang, les toilettes... c'est un peu ce qu'on en fait, comme on disait sur un autre topic.
Perso j'aime pas forcément mais quand je m'y colle, j'essaye de rendre ce moment constructif que je sois pas juste un distributeur de cachets.

Plus précisément à l'attention de Dan65 :
Si l'on avance dans la réflexion, comment le soignant peut-il se sortir de sa propre dépendance à l'administration des médicaments et du raisonnement basique "il prend son traitement donc c'est bien" ou "le médecin ne charge pas assez...donne trop" ?
C'est un des coeurs du problème.
"C'est bien il prend son médicament", le raisonnement est hyper infantilisant genre "c'est bien tu as bu ton biberon".
à nous de sortir de ce schéma glauque.
On doit questionner le refus du traitement, pourquoi il le prenait avant et plus maintenant.
Et s'il le prend pas, pourquoi le forcer ? parfois forcer à prendre le traitement c'est jouer le jeu du symptôme et le renforcer comme seul mode d'expression au lieu de proposer une autre voie de parole au patient.
Et notre malade dans tout ça ? Il doit affronter ses propres angoisses (pas facile) et un drôle de contre transfert sur le thème "t'es pas assez traité, il n'y aura pas grand chose à sortir pour l'instant".
Oui c'est ça, comment peut le patient ressentir ce genre de sentiment souvent collectif : "de toute façon le médecin s'occupe mal de toi, on pourra rien pour t'aider".
Hum...
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J. Oury
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Re: Médicament, m'aide-y comment ?

Message par Anonyme222222 »

J’ai un jeune couple que je vois ponctuellement.
Je ne sais rien de leur pathologie ni à l’un ni à l’autre, pas plus que leur médecin traitant du moment…
Je gère les PS et le risperdal IM quand ils pensent à aller à la pharmacie.
Ils vont en consultation mensuellement chez leur psychiatre.
Leur appartement est dans un état de saleté…
Leur hygiène corporelle idem.
C’est une tabagie sans nom beurk car ils grillent les clopes H24 devant la téloche en suçant pas forcément de la glace…
Je suppose qu’ils prennent à peu près bien leur ttt mais comme personne ne vérifie… et les médicaments qu’ils prennent (bien, pas bien ?) les aident je suppose...

Ce ne sont pas les 1ers, ce ne seront pas les derniers.
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Re: Médicament, m'aide-y comment ?

Message par camillou38 »

Bonsoir,
tout d'abord bravo AmThLi pour cette belle réflexion à l'ouverture de ce sujet. Je ferais un rapide retour sur l'origine des chimiothérapies en psychiatrie pour rappeler que ce sont avant tout des médicaments d'anesthésie. Je laisse le soin à ceux qui le souhaite de faire les recherches complémentaire. Mais c'est bien de l'observation de l'apaisement d'un patient et de sa possibilité de rentrer en relation que les neuroleptiques ont fait leur apparition dans les unités de psychiatrie. Pour renforcer cette idée que le médicament offre une possibilité de rencontrer je trouve l'exemple de Moutarde assez parlant. Il faut savoir qu'il y a quelques années un cabinet d'infirmier psychiatrique libéral s'était monté dans la région de Toulouse, venant ainsi ré-actualiser le travail de secteur qui n'est plus possible au sein des CMP. Malheureusement ce projet n'a pas été suivi par les instances (CPAM), l'acte de parole ne rentrant pas dans les cases de cotations.
Ces infirmiers se proposaient de faire un travail coordonné avec le CMP. Ils étaient en charge des traitements, injectables et per os, mais offraient surtout un accompagnement dans la quotidienneté. Votre exemple est très parlant, je trouve, de ce qu'un médicament peut apporter : la possibilité qu'un autre vienne construire une relation ; ce n'est pas le médicament qui construit la relation et l'infirmier psychiatrique prend toute sa place entre autre pour sa spécificité de la création du lien (On rejoint là une discussion précédente sur le relationnel et le soin relationnel) mais également pour proposer un accompagnement qui n'est pas simplement fait d'injonction. Le temps à consacrer à de tels soins ne permet pas aux infirmiers libéraux de le faire.

Pour la question de Dan65 quant à savoir comment le soignant peut sortir de cette dépendance à l'administration des médicaments (et c'était un peu ce vers quoi je pensais tendre quand j'avais envisagé de faire un tel sujet) il me semble, outre ce qui à déjà été évoqué par AmThLi (et plus particulièrement la très juste référence à Hegel), qu'il est nécessaire que chacun se question sur ce qu'il attend des médicaments et se renseigne sur ce qu'offre les médicaments : "M'aide y comment" est bien à entendre sur le versant de comment il peut m'aider dans mon travail de soignant.

Pour rebondir également sur le fait du traitement institutionnel (qui peut être très néfaste mais de même qu'un traitement chimiothérapique peut l'être ainsi qu'une psychothérapie mal menée), il me semble important, et cela va également dans le sens de permettre au soignant de se détacher du simple traitement médicamenteux, de savoir (ou rappeler) qu'il n'y a pas que les médicaments qui soient traitements.
Tous refus de médicaments n'est pas signe de décompensation et il est sans aucun doute plus riche pour un patient de refuser son traitement s'il est accompagné par les soignants dans un questionnement que de tout accepter parce que le couperet pourrait tomber. Bientôt (et dans certains lieux : maintenant) il faudra que les médecins prescrivent en "si besoin" un traitement verbal intensif (a prendre en cas d'agitation, de crise, de refus de traitement, de petit tracas, ...). Le traitement moral n'est pourtant pas si loin ...
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AmThLi
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Re: Médicament, m'aide-y comment ?

Message par AmThLi »

il est nécessaire que chacun se question sur ce qu'il attend des médicaments et se renseigne sur ce qu'offre les médicaments : "M'aide y comment" est bien à entendre sur le versant de comment il peut m'aider dans mon travail de soignant.
Complètement : qu'est ce que je peux bien en faire, de ce médicament.
Mais aussi on doit toujours se demander, en réflexion d'équipe, ce que le médicament apporte au patient. Comment il l'aide, lui. D'où l'importance d'être très attentif lorsque le patient évoque ou affirme un refus de traitement ou une réticence, prend tout un tas de prétextes pour négocier la prise d'un ou de plusieurs médicaments... Qu'est ce que le médicament lui apporte, ou ne lui apporte pas, non seulement comme effet purement chimiothérapique, mais aussi dans la relation de soin, qui fait qu'il en veut ou n'en veut pas.
Si un ou une-tel ne veut pas de tel ou tel traitement, notamment dans son ensemble, cela ne peut-il aussi pas être parce qu'il ou elle sent que dans ce contexte précis, qui peut varier d'une hospi à l'autre, d'un suivi ambulatoire à l'autre, ce que le médicament véhicule de matériel transférentiel, ou tout du moins ce qu'il porte de la relation de soin (ou de son absence justement), ne lui convient pas. Et ce au delà du classique "vous me faites chier, je vous emmerde en retour" : ce que le médicament représente avec toute sa charge affective (je prendrais presque l'image d'un atome, avec son noyau et ses électrons, sa charge ionique), qu'est ce que ça vient modifier dans mon économie psychique, que je peux/veux ou non accepter.

Le plus intéressant, ce sont les fluctuations : un coup je prends, un coup je prends pas, car c'est alors le signe d'une dialectique, d'une variation qui signe l'absence de stagnation des choses. Qu'est ce que ça peut dire?

Ce qui manque cruellement dans les services, ce sont ce type d'analyses et de la pratique, et de la relation thérapeutique.
qu'il n'y a pas que les médicaments qui soient traitements.
C'est très important : le traitement psychiatrique, ce n'est pas que les médicaments, ce sont tout ce qu'il peut exister de thérapeutique au sein de l'unité, de l'hopital, de la constellation du secteur (CMP, CATTP, mais aussi les associations en lien, les apparts thérapeutiques ou de réinsertion, les apparts associatifs, et surtout le club quand il existe encore). C'est dommage que, notamment, les nouveaux médecins (mais pas qu'eux hélas) aient perdus de vue que le traitement consiste aussi en ce qu'il se passe dans l'unité en termes de créativité soignante, de sorties, d'évènements du quotidien ou exceptionnels, tant qu'ils favorisent la rencontre vers l'autre, et le lien social.
D'une certaine manière la prise ou non prise du traitement relève de ce lien et de cette rencontre. Tout comme plein d'autres choses.
Bien sûr, "mal mené" (avec l'équivoque sur cette formule), même un soin non médicamenteux peut faire des dégâts : lorsqu'il se dit "n'importe quoi" c'est à dire que c'est à l'arbritraire de celui qui parle.
Il faut alors que toute création devienne propriété commune, et j'ose dire, collective, et quitte le domaine de la propriété privée de celui qui a créé, pour être intégrée à un fonctionnement général de service par exemple. Que cela soit un repère pour tous, je renvoie à ce que je disais de la fonction et du fonctionnement d'un atelier thérapeutique.
Faute de quoi, "ça ne marche pas" et on reste figé dans du sur-place.
Il en est de même avec la prise des médicaments, et on ne bénéficiera que des effets chimiothérapiques qui sont hélas très temporaires et s'estompent avec l'arrêt de la prise.

La réponse est-elle dans la multiplication des injections-retard ?
il est sans aucun doute plus riche pour un patient de refuser son traitement s'il est accompagné par les soignants dans un questionnement que de tout accepter parce que le couperet pourrait tomber.
J'aime beaucoup cette formule que je trouve très parlante, si j'ose dire : d'un côté la vie, c'est à dire un désir, même dans le refus, de l'autre la mort, c'est à dire l'acceptation d'être un objet de jouissance pour l'autre quitte à y perdre sa subjectivité : la bourse ou la vie !

Hier un patient, très passif, sans doute psychotique dans un registre mélancolique sans éléments productifs, après être venu mollement à mon atelier pour n'y rien dire pendant des semaines, m'a dit "non" quand je lui ai proposé de venir.
Dans un premier temps ça m'a vexé un peu, je pense, mais avec le recul je me dis qu'au moins il a exprimé le semblant d'un désir : celui de ne pas assister à quelque chose qui ne l'intéresse pas.
Voilà un progrès thérapeutique !
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J. Oury
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Re: Médicament, m'aide-y comment ?

Message par boudchou47 »

Je suis un patient psychotique depuis un peu plus de 4 ans, quotidiennement 3 fois par jour.
A la base l'intitulé de mon acte est "Administration et surveillance d’une thérapeutique orale au domicile(*) des patients présentant des troubles psychiatriques, avec établissement d’une fiche de surveillance"....
Si vous notez bien l'intitulé, c'est la thérapeutique qu'on surveille :)

Soit on applique l'intitulé, soit on fait son boulot d'IDE (et on peut s'inscrire dans les ordres vu le tarif). :clin:

Quoiqu'il en soit, dans les faits cette thérapeutique orale est avant tout un média pour entrer en relation. Le truc tangible, mesurable, palpable. Or, c'est la relation thérapeutique qui est, de loin, ce qui a le plus d'influence sur l'état de santé psychique à mon sens. J'en étais persuadée, et l'expérience me donne raison. Dans ce cas précis, je suis devenue l'intermédiaire entre le CMP et lui, car il était dans le rejet de la structure, je sers d'amortisseur en quelque sorte.

Lui aussi son appart est un bordel sans nom, il n'est pas alcoolo-tabagique, à la place il est diabétique qui alterne jeune et boulimie (je m'occupe en plus de son diabète depuis qu'il a besoin d'insuline)... il peut passer ses nuits sur l'ordinateur en oubliant tout, bref, de loin: c'est le bordel... mais de près, son appart n'est plus totalement insalubre, son diabète est + ou - stabilisé, et surtout il n'a pas été hospitalisé depuis 3 ans, et adhère au traitement ce qui était son éternel problème en 30 ans d'état psychotique non équilibré. Il ne souffre pas, a une vie sociale et c'est le plus important.
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Re: Médicament, m'aide-y comment ?

Message par AmThLi »

boudchou47 a écrit :J Or, c'est la relation thérapeutique qui est, de loin, ce qui a le plus d'influence sur l'état de santé psychique à mon sens.
C'est tout à fait ça.
état psychotique non équilibré
Marrant au passage cette notion d'équilibre ou de stabilité dans la psychose, c'est un peu résumable en ce qu'un psychotique stabilisé, c'est quelqu'un qui ne fait pas trop chier les autres.
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J. Oury
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Re: Médicament, m'aide-y comment ?

Message par dan65 »

boudchou47 a écrit : il est diabétique qui alterne jeune et boulimie (je m'occupe en plus de son diabète depuis qu'il a besoin d'insuline)... il peut passer ses nuits sur l'ordinateur en oubliant tout,
ben ça fait quelques dizaines de millions de psychotiques dans le monde, ça :clin: ...
je soigne tout ce qui bouge ! Et parfois même ceux qui ne bougent pas...
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