POSTOPÉRATOIRE

Comment mieux prendre en charge la douleur postopératoire à domicile

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Publié le 08/12/2025

À l’heure du virage ambulatoire, les infirmiers libéraux sont de plus en plus amenés à prendre en soin des patients en postopératoire, dont certains sont hélas douloureux. Une prise en charge qui s’apparente bien souvent à un défi pour les soignants du domicile compte tenu des multiples problématiques inhérentes.

tête bandée, douleur, femme

Priorité nationale depuis près de quinze ans, la chirurgie ambulatoire est en progression continue : son taux national, est en effet passé de 43,3%  à 64,4% entre en 2010 et 2023, correspondant à un taux de croissance annuel moyen de 3%.  Ce mode de prise en charge permet de raccourcir l’hospitalisation des patients opérés à moins de 12 heures, avec notamment une anesthésie adaptée et un suivi coordonné entre les professionnels de ville (médecin traitant, IDEL, kiné…) et ceux de l’unité de chirurgie ambulatoire pour le retour à domicile.

De la chirurgie ambulatoire aux soins postopératoires

La pratique est ainsi considérée comme «un levier majeur pour optimiser l’offre de soins, réduire les infections nosocomiales et les coûts en diminuant la durée de séjour» et ce, «sans concession à la qualité et à la sécurité de la prise en charge des patients, avant, pendant et après l’intervention», rappelle la Haute Autorité de santé (Rapport d’analyse des résultats nationaux 2023). Néanmoins, même si le taux de réhospitalisations à trois jours  est extrêmement faible (de l’ordre de 0,5% en 2023), «une grande variabilité de ce taux entre les établissements de santé est observée» indique la HAS. À noter encore que la quasi-totalité de ces établissements sont concernés. En cause : des complications communes à toute chirurgie telles que les hémorragies-hématomes, les nausées, vomissements, céphalées, l’infection, la rétention urinaire, ou encore, la douleur.

35% des IDEL confrontés « souvent » à des patients douloureux en postopératoire 

Justement, cette dernière complication les IDEL la connaissent bien car ils y sont régulièrement confrontés. 47% des IDEL estiment rencontrer «parfois» et 35% «souvent» des patients douloureux en postopératoire d’une chirurgie ambulatoire de moins de quinze jours, relève une étude observationnelle, réalisée par Florence Dulac, IDEL à Missilac (voir encadré). 

Il existe un réel risque de chronicisation des douleurs postchirurgicales mal traitées pour un tiers des patients, toutes chirurgies confondues.

Et lorsqu’ils sont interrogés sur d’éventuelles difficultés rencontrées en lien avec la douleur postopératoire, 57% d’entre eux estiment être «souvent» confrontés à la situation, 7% «parfois», 2% «rarement» tandis que 35% jugent que cela n’est pas le cas. Une douleur face à laquelle «nous sommes très vite démunis» souligne Florence Dulac, IDEL à Missilac (44). Et ce d’autant qu’il existe un réel risque de chronicisation des douleurs postchirurgicales mal traitées pour quasiment un tiers des patients toutes chirurgies confondues !

Une étude significative sur la prise en charge de la douleur

Cette étude observationnelle rétrospective multicentrique a été menée par Florence Dulac dans le cadre de son DIU “Prise en charge de la douleur”. Elle a étéréalisée du 13 au 21 juin 2022 sur la France entière auprès de 338 répondants. L’intervalle de confiance était de 95%. Le questionnaire comprenait 17 questions avec des données quantitatives et qualitatives. Les hypothèses étaient les suivantes : 
-    l’IDEL est régulièrement confrontée à la douleur postopératoire postchirurgie ambulatoire chez les patients qu’il est amené à prendre en charge ;
-    l’IDEL est régulièrement confronté à des difficultés de prise en charge de la douleur ;
-    l’IDEL rencontre des difficultés liées à un défaut de communication concernant le retour à domicile, les transmissions et la mise en avant des prescriptions.

Des difficultés liées aux pratiques cliniques et organisationnelles

Pour l’essentiel, les difficultés en lien avec la douleur postopératoire sont à rattacher aux pratiques cliniques et organisationnelles, à savoir…

Le manque d’information, de transmission en sortie d’hospitalisation

« En principe, une lettre de liaison est envoyée au médecin traitant. Mais les IDEL en ont rarement copie. Et surtout, le temps de la réceptionner, nous sommes déjà intervenus auprès des patients qui présentent en général des douleurs à leur retour. Nous n’avons bien souvent que le seul retour du patient et donc pas de détails, comme la mention d’un hématome interne par exemple, pourtant capitale dans la prise en charge de la douleur, observe Florence Dulac. Nous avons aussi rarement les coordonnées directes et le nom du médecin ayant connaissance du dossier du patient et pouvant réagir et prescrire si besoin susceptible de nous aider si besoin, seulement le numéro du secrétariat. On doit donc parfois contourner et appeler le médecin traitant pour une ordonnance ». Forcément fastidieux et chronophage !

L’éligibilité des patients à la chirurgie ambulatoire et/ou à la réhabilitation améliorée après chirurgie (RAAC) 

La RAAC n’est pas possible pour tous les patients. Le contexte est parfois défavorable lorsque les patients sont isolés, en milieu rural, en l’absence d’IDEL disponible... Le patient évoluant en contexte hospitalier n’est pas forcément le même lorsqu’il revient à domicile. Certains se retrouvent ainsi perdus et perdent totalement leurs moyens car le cadre n’est plus aussi sécurisant.

Le mésusage des médicaments par les patients

« Certains patients opérés vont mal prendre leurs anti-inflammatoires par exemple parce qu’ils veulent bien faire en n’en prenant pas trop, mais aussi parce que persiste la croyance comme quoi il est “normal” d’avoir mal après une intervention… Résultat : à coup presque sûr un effet rebond des douleurs ! » relève encore l’IDEL. A contrario, il y a également un souci avec la prescription et/ou la prise systématique d’antalgiques (paracétamol, tramadol, néfopam/ Acupan®, éventuellement Spasfon®)… même s’il n’y a pas de douleur !  «Le néfopam est parfois prescrit de façon astronomique alors même qu’il y a un risque d’addiction bien réel. D’autant que depuis près d’un an il est disponible per os en comprimés. Dernièrement, j’ai d’ailleurs eu le cas d’une patiente qui avait un terrain favorable et qui s’y est accoutumée. Il faut donc être très vigilant, et bien expliquer au patient les dangers et la nécessité de bien respecter la durée de prescription et de ne pas le prendre sans prescription médicale».

La standardisation des protocoles 

Certains protocoles ne sont en effet pas adaptés à tous les domiciles selon le contexte de vie des patients. «Chez certains, il n’y aura pas de congélateur, et donc pas de possibilité, comme fait mention dans le protocole, d’utiliser de la glace sur leur genou par exemple pour soulager la douleur».

Le manque de formation

« Il est essentiel de nous former au repérage et à l’évaluation de la douleur, à l’utilisation des antalgiques ou à celle des moyens non pharmacologiques pour traiter la douleur comme la communication, l’hypnose, la sophrologie, le toucher-massage… Autant de domaines, selon nos sensibilités personnelles, qui peuvent nous aider dans notre pratique quotidienne (pour une prise de sang chez un patient stressé par ex) ou pour un soin douloureux ».  

Et  une non-valorisation de la prise en charge

Un ensemble de difficultés auxquelles s’ajoute enfin le manque de valorisation réelle de cette prise en charge en libéral (voir encadré). Ce qui n’encourage guère les IDEL à y consacrer un peu de temps quand bien même ils ne sont pas dans une « course à l’argent !»

Cotation des actes liés à la chirurgie ambulatoire

Depuis 2021, quatre actes liés à la chirurgie ambulatoire (issus des mesures de l’avenant 6) ont été introduits dans la Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP)*. Parmi ces derniers, notamment : 
-    la séance de surveillance et/ou de retrait d'un cathéter périnerveux pour analgésie postopératoire cotée AMI 4,2 ;
-    et la séance de surveillance clinique et d'accompagnement postopératoire à domicile pour les patients éligibles à la chirurgie ambulatoire ou à un parcours de soins de réhabilitation cotée AMI 3,9.
Reste que «Cette séance [de surveillance clinique et d'accompagnement postopératoire à domicile, Ndlr] n’est pas toujours prescrite, déplore Florence Dulac. Pourtant, quel que soit le patient, il faudra forcément, au retour d’hospitalisation en postopératoire, accorder du temps afin de recueillir les informations du séjour hospitalier, expliquer l’organisation de nos soins à domicile (logique, comme tous soins), et s’assurer que les consignes postopératoires ont été comprises par le patient.» Et de citer en exemple le cas d’une patiente opérée d’une prothèse d’épaule, avec des exercices de rééducation donnés par l’hôpital sans kinésithérapie prescrite… et qui «finalement n’avait pas du tout compris comment effectuer les mouvements… Résultat, il a été décidé, après contact avec le chirurgien, le passage d’un kiné pour l’accompagner car ce n’était pas optimal pour la récupération de la laisser seule… ».
*Article 7 “Soins postopératoires à domicile selon protocole, Chapitre 2/Soins spécialisés in NGAP

 *Propos recueillis dans le cadre du Salon Infirmier 2025

 


Source : infirmiers.com