REPORTAGE

Don du sang : ces infirmiers qui assurent la sécurité des donneurs et des receveurs

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Publié le 19/05/2025

Des infirmiers de l'Établissement français du sang sont autorisés à réaliser les entretiens préalables au don du sang, après avoir suivi une formation. Enzo et Marie en font partie. Trame de l'entretien, contre-indications, lien avec le médecin..., ils nous racontent les dessous de cet exercice très codifié.

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En ce début d’après-midi*, ils ne sont encore que deux ou trois à s’être présentés à la collecte de sang que l’Établissement français du sang (EFS) organise dans le marché couvert de Jouy-en-Josas (département des Yvelines). Les collations et les bouteilles d’eau sont prêtes pour les donneurs qui arrivent alors au compte-goutte. Ils l’ignorent probablement encore mais ce ne sont pas des médecins qu’ils vont rencontrer lors de leur entretien pré-don, cet échange qui doit déterminer si le donneur est bien apte à donner dans le respect des règles de sécurité, aussi bien pour lui que pour la personne qui va recevoir la poche de sang, Car ce jour-là, il n’y a aucun médecin présent sur place, et la réalisation de cet entretien incombe à Enzo et à sa collègue, des infirmiers formés spécifiquement à l’exercice.

Enzo, infirmier à l'EFS depuis 2023
Pour Enzo, ce poste à l'EFS est son premier emploi en CDI.

Donner son sang, ce n’est pas anodin. Il faut écarter tous les risques, aussi bien pour les donneurs et ceux qui vont recevoir les poches de sang que pour les collègues infirmiers qui prélèvent le sang.

Enzo a intégré l’EFS en octobre 2023  à la suite d’une rencontre déterminante : « Je n’avais jamais donné mon sang, je déteste les aiguilles donc j’ai peur de me faire piquer. L’infirmier qui s’est occupé de moi a vu que j’étais très stressé, que je tremblais, donc il m’a rassuré », se remémore-t-il. « Il m'a expliqué ce qu'il faisait à l'EFS et il m'a demandé si cela m'intéressait de les rejoindre.» Quelques mois après son arrivée, ce même infirmier lui parle de la formation à la réalisation des entretiens préalables au don, proposée par l’EFS, qu’il a suivie. « Cela m’intéressait un peu d’avoir ce changement de poste. J’ai constaté que ça s’était bien passé pour mon collègue, donc je me suis dit "Pourquoi pas ?". Et j’ai suivi la formation 6 moiseulement après avoir commencé à l’EFS.» Depuis juin 2024, voilà donc Enzo habilité à mener ces entretiens.

Répondre au manque de médecins

Longtemps, cette étape préalable à tout don du sang n’a été confiée qu’à des médecins. Puis, en septembre 2014 paraît un décret qui autorise, l’EFS à l’ouvrir aux infirmiers, d’abord à titre expérimental, sous certaines conditions et toujours sur la base du volontariat. L’élargissement des compétences de ces professionnels de santé doit alors répondre à une problématique que le système de santé ne connaît que trop bien : le manque de médecins. « Nous avons un peu anticipé le mouvement par rapport aux futures difficultés que nous pressentions, à savoir la problématique de la démographie médicale, explique en effet Nicolas Tunesi, directeur des ressources humaines au niveau national de l’EFS. Nous avons donc voulu accroître les responsabilités des infirmiers ». Ce, d’abord avec 5 ou 6 équipes d’infirmiers formés, dans le cadre de l’expérimentation, avant que la mesure ne soit généralisée. Une évolution qui ne s’est pas faite sans quelques inquiétudes : « Il y a pu y avoir des appréhensions au début puisqu’il y avait une lecture très médicale de cet entretien pré-don. »

Il a donc fallu faire « un très gros effort de formation. Nous l’avons élaborée en interne, via notre organisme de formation, et ce sont des médecins qui s’en sont chargés », poursuit Nicolas Tunesi. À l’époque, l’EFS requiert de ses infirmiers qui souhaitent se former qu’ils aient déjà au moins exercé 2 ans dans l’établissement. Marie, qui travaille à l’EFS depuis 2010 en Pays de la Loire, fait partie de la deuxième vague de formation ; nous sommes en 2014-2015, se souvient-elle. Il n’y a alors « pas d’autres infirmiers, il n’y a que des médecins en service. »

De la théorie à la pratique

Dans les faits, la formation se déroule en deux temps : une première partie théorique, qui s’effectue au siège de l’EFS en Seine-Saint-Denis, suivie d’une phase d’observation des médecins qui réalisent ces entretiens en collecte, et une seconde tournée vers la pratique. « La formation théorique cible tout ce qu’il faut savoir pour mener l’entretien ainsi que les contrindications », détaille l’infirmière. Vient ensuite la mise en pratique, qui passe d’abord par deux jours de simulation, toujours au siège, avant de rejoindre le terrain. Les infirmiers doivent réaliser au minimum 100 entretiens, sous la surveillance d’un médecin, pour que leur formation soit validée. Soit, en tout, deux à trois mois qui y sont consacrés, et durant lesquels les infirmiers continuent de participer au prélèvement du sang. Mais la formation, et sa durée, vont beaucoup dépendre « des besoins dans chaque région. Certains infirmiers sont formés beaucoup plus vite parce que les besoins sont importants », précise l’infirmière, qui souligne qu’à Nantes, la problématique se pose encore assez peu. « C’est un confort pour nous. Mais justement, on se forme pour anticiper. »

L'entretien pré-don en aphérèse
En plus de son activité dans le prélèvement en sang total, Marie s’est également formée à l’entretien pré-don d’aphérèse, que réalise aussi l’EFS. Celle-ci, effectuée en Maison du don, consiste à prélever plaquettes et plasma, ce dernier étant notamment utilisé dans la confection de médicaments. « Les entretiens pré-don en prélèvement sanguin et en aphérèse se ressemblent beaucoup, même s’il y a quelques petites subtilités », indique l’infirmière. Pour les plaquettes, il faut vérifier l’état veineux, et si c’est une donneuse, qu’elle n’a pas d’anticorps liés à une grossesse ; sont aussi exclues les personnes de plus de 65 ans. L’entretien pré-don en aphérèse suppose donc de suivre une formation supplémentaire, uniquement théorique. « Un médecin m’a un peu expliqué les subtilités : les différents types de plasma qui existent, les contrindications possibles au niveau des plaquettes, une vigilance un peu différente à avoir au niveau des malaises parce qu’il y a un peu plus d’extra-corporel », liste-t-elle. « Il y a de petites différences mais pas tant que ça. »
camion, collecte de sang,
Pour sa collecte organisée à Jouy-en-Josas, l'EFS s'est installé dans le marché couvert.

L'entretien, un exercice très codifié

À Jouy-en-Josas, Enzo s’apprête à recevoir les premiers donneurs selon une trame précise. Car l’entretien pré-don est un exercice très codifié. « Donner son sang, ce n’est pas anodin, insiste-t-il. Il faut écarter tous les risques aussi bien pour les donneurs et ceux qui vont recevoir les poches de sang que pour les collègues infirmiers qui effectuent le prélèvement.» Tout commence donc par la nécessité de nouer un lien de confiance avec les donneurs. « Il ne faut pas oublier que la personne qui arrive reste un humain, avec son histoire de vie, ses problèmes. On essaie d’instaurer un climat de confiance, on va la saluer, voir comment elle se porte. »

Pour mener leurs entretiens, les infirmiers s’appuient ensuite sur le questionnaire que les donneurs remplissent à leur arrivée et qui permet de balayer un certain nombre de sujets : état de santé général, infections contractées auparavant, voyages effectués, partenaires sexuels… C’est grâce à ce document, en creusant les réponses données, qu’ils identifient les possibles contrindications avec, parfois, la nécessité de réaliser de rapides examens sur place. « On peut être amené à faire des vérifications. Nous avons un appareil, l’HemoCue, qui permet de mesurer l’hémoglobine et de déterminer si une personne a suffisamment de sang à donner » donne-t-il en exemple. Les contrindications les plus fréquentes sont liées à l’état de santé cardiovasculaire des donneurs, suivies de celles associées aux voyages réalisés dans les mois précédents.

Cela nous arrive très souvent de faire appel au médecinNotamment quand il y a des facteurs de risque cardiovasculaire, car c’est l’un des points les plus compliqués.

Face à un premier don, Marie va d’abord « directement creuser sa vie, tenter de savoir s’ils n’ont pas de contrindications définitives, avant de creuser sur les derniers mois » pour identifier les éventuelles pathologies contractées récemment. Il y a également les informations à donner quant à la procédure elle-même et ses suites. « On va expliquer à une personne qui vient pour la première fois comment ça se passe, ce qu’on analyse, quels sont les risques », ajoute Enzo. « Parce que donner son sang peut favoriser le déclenchement de quelque chose qui n’était pas présent, de base. »

En cas de doute face à une problématique de santé, les infirmiers peuvent s’appuyer sur un référentiel de pathologies, qui précise les éventuelles contrindications, explique Enzo en faisant dérouler le document sur son ordinateur. Et s’il ne répond pas aux interrogations de l’infirmier, celui-ci peut toujours faire appel à un médecin, même si aucun n’est présent sur la collecte grâce à un système de téléconsultation médicale

"On ne reste pas dans le doute"

Il y a 5 ans, l’EFS a effectivement travaillé avec le ministère de la Santé pour faire évoluer les textes réglementaires afin que la présence d’un médecin sur le lieu même de la collecte ne soit plus obligatoire. « Cela signifie deux choses : nous avons dû mettre en place un système autorisant les médecins de l’EFS à être disponibles en cas de besoin », détaille Nicolas Tunesi. « Ils sont disponibles en permanence par téléphone. » La deuxième étant que l’EFS a également dû former certains infirmiers à endosser le rôle de superviseurs de collecte (voir encadré).

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Avant de donner son sang, ce donneur a dû s'assurer qu'il était en capacité de le faire.

« Cela nous arrive très souvent de faire appel au médecinNotamment quand il y a des facteurs de risque cardiovasculaire, car c’est l’un des points les plus compliqués », confirme Enzo qui, ce jour-là, intervient sur une collecte où il n’y a pas de médecin. «Quand une personne souffre d’une obésité même légère, qu’elle a du diabète ou qu’elle est traitée pour de l’hypertension, ce n’est pas anodin. Il faut faire une anamnèse et l’expliquer au médecin, qui lui accorde ou non le droit de donner son sang ». Quoi qu’il arrive, face à un donneur dont la situation peut poser question, « on ne reste pas dans le doute », insiste Marie. « Après, avec l’expérience, il y a des choses qu’on intègre à force de pratiquer. Et il peut y avoir des pathologies que les médecins ne connaissent pas », nuance-t-elle.

La supervision, une mission supplémentaire possible pour les infirmiers
Parallèlement à l’entretien pré-don, l’Établissement français du sang propose également à ses infirmiers de se former à la supervision, une mission à l’origine uniquement dévolue aux médecins. « Une collecte, ce sont des lits, il faut arriver, déballer, installer, organiser, mettre chacun à son poste, vérifier que tout se passe bien. Il faut superviser l’équipe », explique Nicolas Tunesi. Enzo et Marie s’y sont formés tous les deux. « Quand il n’y a pas de médecin en collecte, ce sont les infirmiers formés à la supervision qui vérifient que tout est bon au niveau des contrindications, qu’il n’y a pas d’erreurs au niveau des prescriptions, des tubes et du nombre de poches à prendre etc… », témoigne l’infirmière. Avec une précision : pour pouvoir superviser, il faut obligatoirement être affecté aux entretiens pré-don, qui autorisent la mobilité au cours de la collecte, et non pas à l’activité de prélèvement.

La plupart du temps, et même si on a beau mettre le panneau qui l’indique, les donneurs ne se rendent pas compte qu’ils sont avec une infirmière, ils pensent passer avec un médecin.

Pas d'inquiétude chez les donneurs

Et les donneurs dans tout ça ? Comment perçoivent-ils le fait d’être reçu par des infirmiers plutôt que des médecins ? « La plupart du temps, et même si on a beau mettre le panneau qui l’indique, les donneurs ne se rendent pas compte qu’ils sont avec une infirmière, ils pensent passer avec un médecin », témoigne Marie. Mais quand ils le savent, « j’ai l’impression qu’ils sont un peu plus à l’aise », à l’exception près des grands habitués qui ont plutôt « l’habitude de [la] voir en prélèvement » et que sa présence en entretien peut parfois perturber. « Mais autrement, il y a quand même une relation de confiance. Peut-être qu’il y a plus un échange de confiance qu’avec le médecin, la parole est peut-être un peu plus libre ; c’est le ressenti que j’ai, en tout cas. »

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Les donneurs attendent patiemment d'être reçus par l'un des deux infirmiers.

Dans le marché couvert de Jouy-en-Josas, Quentin, qui attend tranquillement son tour, ne manifeste aucune forme d’inquiétude. « Je suis rassuré, je ne vois pas pour quelle raison je devrais être inquiet. Je ne sais pas qui va me recevoir, si c’est un médecin ou un infirmier, et ça m’est d’ailleurs un peu égal », déclare-t-il. Un sentiment que partage Aurélie, qui n’en est pas à son premier don. « C’est une prise en charge tout à fait normale, je n’ai vraiment aucune inquiétude. » « Ça ne change rien pour les donneurs. Les infirmiers posent les mêmes questions que les médecins, ils ont les mêmes capacités de réponse, ils sont formés au même système », explique d’ailleurs Nicolas Tunesi, qui précise que, au lancement du dispositif, une campagne de communication et d’infirmation a été diffusée auprès des donneurs. « L’entretien infirmier est similaire à celui qui est réalisé par un médecin », confirme Enzo. Qui préfère toutefois les renseigner sur sa profession, au cas où il aurait besoin d’appeler un médecin.

Pour l'EFS, un argument de recrutement

À l’origine pensée pour pallier le manque à venir de médecins, l’idée de confier de nouvelles responsabilités aux infirmiers a un autre avantage : proposer des évolutions de carrière aux professionnels au sein de l’EFS. C’est d’ailleurs un argument de recrutement, confie Nicolas Tunesi. « On présente la trajectoire lors de chaque entretien de recrutement, comme étant une possibilité de carrière. » En janvier 2025, l’EFS avait ainsi formé 622 infirmiers volontaires à l’entretien pré-don, soit la moitié de ses effectifs – ils sont 1 200 infirmiers à travailler au sein de l’établissement. « On doit former 80 infirmiers par an à peu près, à raison d’une session de formation par mois », poursuit le DRH.  « L’entretien pré-don, quand même, c’est la moitié de nos effectifs, donc ça prouve qu’il y a une vraie motivation. » Cette évolution des compétences s’accompagne d’une revalorisation : 300 euros mensuels bruts, qui ont d’abord été versés sous forme de prime avant d’être intégrés au salaire, précise Marie.

C’est un ensemble de beaucoup de connaissances à mobiliser, que l’on ne voit pas nécessairement dans un service de soins, où on se focalise sur un seul domaine. Il y a l’idée d’une prise en charge holistique.

L'humain avant tout

Bien au-delà de la rémunération supplémentaire, ce sont toutefois deux autres éléments de forte satisfaction que mettent en avant Enzo et Marie : l’apport de nouvelles connaissances et le léger changement de posture dans la relation avec les donneurs. « C’est très enrichissant, tant sur le plan humain que sur le plan hépatique », s’enthousiasme ainsi le premier. « C’est un ensemble de beaucoup de connaissances à mobiliser, que l’on ne voit pas nécessairement dans un service de soins, où on se focalise sur un seul domaine. Il y a l’idée d’une prise en charge holistique. » Il y voit également un moyen d’être mieux armé face aux questionnements des donneurs lorsqu’il est affecté au prélèvement. « Je ne suis pas là par hasard, j’adore piquer », réagit de son côté Marie. « Mais le fait de réaliser les entretiens pré-don me permet de voir des choses nouvelles au niveau des pathologies, et c’est très enrichissant. » Et de souligner également « la possibilité de prendre seule les décisions grâce à notre référentiel et à notre expérience », quand les infirmiers appliquent, la plupart du temps des prescriptions.

Et puis, il y a enfin l’humain. « Il ne faut pas oublier que l’une des grandes particularités des infirmiers à l’EFS, c’est qu’ils sont au contact de gens en bonne santé, qui sont là pour donner. Ils font ça d’une manière totalement altruiste et bénévole, sans contrepartie. Ce sont des valeurs qui sont très fortes », fait valoir Nicolas Tunesi. Il faut également savoir rassurer les donneurs – ceux qui sont « très stressés » et avec lesquels il faut prendre « un peu plus de temps, éventuellement leur dire de reporter le don », cite Enzo – mais aussi gérer la frustration lorsque survient une contrindication qui le rend impossible. « Quand c’est une contrindication définitive, c’est toujours un peu délicat, mais je leur dis qu’il y a d’autres moyens d’agir : en en parlant autour d’eux, en intégrant des associations, qui ont toujours besoin de bénévoles », raconte Marie. « J’ai aussi choisi cette évolution pour avoir un contact un peu différent avec les donneurs. Parce qu’on les voit dans une autre position, on vient creuser certaines choses un peu personnelles. Donc l’échange est forcément un peu différent », conclut-elle.

L'Établissement français du sang, qu'est-ce-que c'est ?
Créé le 1er janvier 2000, l’Établissement français du sang est le service public responsable de l’ensemble de la chaîne transfusionnelle, du prélèvement à la transfusion. Il est investi de 3 activités, détaille Nicolas Tunesi : la collecte du sang total, en collecte mobile ou en Maison du don, celle de l’aphérèse, en Maison du don, et une activité de soin, même si celle-ci est « moins importante en termes de volume d’activité et d’effectifs. »
L’EFS, c’est ainsi :
- 10 000 professionnels dont 1 200 infirmiers, et 3 000 qui se consacrent à l’activité de collecte
- Près de 70% des professionnels qui sont affectés à la chaîne transfusionnelle
- 13 établissements régionaux et 110 Maisons du don
- Et 2,7 millions de dons réalisés chaque année.

*Reportage réalisée le 3 mars 2025 avec une équipe de l'Établissement français du sang


Source : infirmiers.com