Soignants blousés, qui a la clé ?

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AmThLi
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Soignants blousés, qui a la clé ?

Message par AmThLi »

N'est-ce pas nous qui nous arnaquons nous-mêmes avec cette histoire de blouse ?

Qui se leurre dans le statut de "soignant" métonymisé par "la blouse blanche" ? Qui peut changer de couleur pour bien marquer qui est le chef de l'autre...

Plus concrètement, je tente l'usurpation de la pôle-position à Bruno et son excellent sujet sur le relationnel en psy, par un topic sur la question de la blouse en psychiatrie.

Il me semble que la question est plus complexe que simplement "la porter ou pas".

"Le mot est le meurtre de la chose", nous disait Lacan, d'ailleurs c'est marrant j'avais premièrement écrit Freud... "La blouse" vient en quelque sorte tuer cette "chose" qu'est la relation de soin qui s'institue entre un soignant qui se veut tel et celui ou celle que l'on place en position de "soigné". C'est le principe d'un signifiant qui vient occulter le Réel. Je vous renvoie à vos classiques.

"La blouse" est métonymique de l'infirmier, mais ce signifiant porte en son sein l'équivoque de l'escroquerie et surtout de la duperie, serions-nous avec elle des arnaqueurs ? C'est un des points fantasmatiques les plus importants en psychiatrie, en même temps qu'un lieu d'identification très fort : "je la met ou pas, ça veut dire ci ou ça de moi", "je la laisse ouverte, je met pas le pantalon", etc... habillement et déshabillement professionnel.

Par "duperie" j'entends que la porter ferait de nous des infirmiers. Des soignants de psychiatrie. De fait, le statut que signe cet uniforme viendrait garantir notre fonction, et surtout notre rôle. Or nous savons que rôle n'est pas fonction qui n'est pas statut. C'est devenu une idée archétypale.

La blouse est un "repère" pour le patient, un "re-père" ricanent certains petits malins. Cette idée n'y est pas sans rapport mais je ne m'attarde pas, volontairement.
On me dit donc que ça sert à savoir qui est qui. Or justement, blouser l'autre est un peu lui faire croire qu'il s'agit de savoir qui est qui alors que ce n'est pas vrai, et on le sait, au fond de soi. C'est pour ça que l'on ricane souvent des lieux "sans blouses", où on ne sait pas qui est soignant et qui ne l'est pas : c'est peut-être plus honnête : en effet, on ne sait pas.

Mais c'est aussi se duper soi-même que d'y croire, que cette blouse fait de nous l'infirmier psy. Ou que de ne pas la porter ferait de nous "un vrai", à l'ancienne, dans un trait identificatoire massif et un peu caricatural, "je fais comme papa".
Ce n'est pas "l'avoir ou pas" qui fait le fond de l'affaire, mais bien le rapport même, présent ou absent, à ce signifiant.

Quelle est votre position ? Vous la portez, ou pas ?

Pour ma part je pars du principe que si les gens veulent savoir qui je suis, ils peuvent me le demander, et que les patients ne sont pas idiots, loin de là, ils me voient rentrer dans le bureau des infirmiers sans m'en faire jeter. Voilà pour la question du statut. Pour le reste, ça me regarde.

Sachant qu'en fait la blouse ne me semble pas être le vrai "plus petit dénominateur" du statut qui se mélange illusoirement à la fonction, chez l'agent. Au fond, partout où on va, en psy comme ailleurs, celui qui a vraiment le pouvoir, c'est celui qui a le trousseau de clés. Si vous ne savez pas qui est qui, cherchez celui qui porte les clés. C'est là la situation la plus irréductible, celle qui n'a jamais pu être résolue, même dans les lieux les plus à l'avant-garde de la psychiatrie française.
Il y a de bonnes raisons de porter une blouse, et d'excellentes de ne pas la porter, je fais cette différence d'intensité par parti-pris assumé. Mais au fond, c'est peut être parce que la vraie question n'est justement pas la blouse mais la clé, ou les clés.

Vignette clinique : dans mon service les portes ferment à clé de l'extérieur mais pas de l'intérieur, de sorte qu'une fois dans sa chambre, le patient peut sortir comme il veut mais il faut la clé pour ouvrir du couloir. Comme toutes les serrures sont identiques l'administration n'a doté que les soignants des clés. Du coup il faut ouvrir aux gens qui ferment leur porte à chaque fois. Un type, un schizophrène, avait sa serrure cassé, ça ne fermait plus, c'était tout le temps ouvert. Et un jour on est venu réparer ça. Le type me dit, "je crois que c'est réparé", je lui dis, plein de bonne volonté, "allons-y voir et on verra". On est devant sa porte, le seul moyen de vérifier que tout marche, que ça ferme de l'extérieur et que ça s'ouvre de l'intérieur, c'est que quelqu'un soit dedans et quelqu'un dehors avec les clés. Moment de flottement, et le type me dit, "bah donnez moi vos clés, et vous allez dans la chambre et on voit".
J'ai refusé poliment, avec le sourire, et je crois que quelque chose qui s'amorçait s'est interrompu.

Je regrette chaque jour de ne pas lui avoir filé mes clés à ce moment. Je suis sûr que ça aurait été plus thérapeutique que toutes les pilules qu'il ingurgitait depuis qu'il était chez nous, et que toutes les conneries qu'on peut raconter sur l'art-thérapie ou la musico-thérapie.
"La plus grande proximité, c'est d'assumer le lointain de l'autre."

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cassandre82
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Re: Soignants blousés, qui a la clé ?

Message par cassandre82 »

bon moi je ne vais pas me lancer dans des grands débats sur le port de la blouse ou pas, car j'en suis bien incapable. mais ton post est très intéressant AmThLi. :clin:
je donne juste mon exemple;
moi je porte la blouse complète : haut et pantalon. pas pour une raison de savoir qui est chef, ide ou je ne sais quoi d'autre; juste pour une raison purement hygiénique. bon faut dire que je ne suis pas dans le service classique type de psy. dans mon service, avec des autistes presque complètement dépendants, on passe presque la moitié de notre temps à faire des douches, des changes, nettoyés les chambres et les wc... ect... copromanie oblige ! et à la fin de la journée ma tenue blanche est rarement blanche ! lol donc je met la tenue ide complète car je me dis "beurk bosser avec mes habits et risquer de ramener tout ça sur mes habits à la maison, très peu pour moi".
ensuite dès qu'on part en sortie par contre, sans soucis j'y vais avec mes habits civils. et cela ne gène en rien m'a prise en charge.
bon voilà je ne fais peut être pas plus avancer le débat, juste un petit exemple du port de la blouse ou pas en psy. :)
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Re: Soignants blousés, qui a la clé ?

Message par parexemple »

Quand je bossais en psy, j'ai connu la période sans et avec blouse ! Du jour au lendemain, nous avions eu l'obligation de porter nos tenues qui sont en fait des "pyjamas" ; l'argument était : pour l'hygiène et ceci quelque soit le type de service (je n'inclue pas l'extra-hospitalier) !!!!

Qu'ai-je ressenti comme différence dans la prise en charge ? En gros, j'ai ressenti une plus grande rigidité dans la relation entre patients et soignants car la frontière est devenue très marquée et trop visible à mon goût ! Il nous faut, du coup, plus de temps pour installer une relation de confiance, notamment pour les nouveaux arrivants !!! Mais elle se fait tout de même...

J'ai donc constaté que la distance dans le soin était en général plus grande chez les jeunes infirmiers, la tenue leur permettant plus et en priorité d'asseoir une certaine autorité sur le patient, une façon de se préserver et de se faire entendre, respecter.... que ça les rassurent, que c'est eux qui détiennent le pouvoir, le savoir, les clefs (autant physiquement que symboliquement d'ailleurs)... je ne les juge pas, ils font ce qu'ils peuvent avec les moyens qu'on leur donne ou qui sont exigés !!!

Bref, je ne sais pas si les soins sont meilleurs ou pires avec ou sans la blouse, que l'on soit identifiés comme soignants ou que l'on s'identifie en tant que tel, de façon immédiate ... Faudrait poser la question aux soignés, tiens !!!

Moi, perso, j'apprécie la blouse uniquement pour une question d'hygiène mais sinon, je préférerais "soigner" sans car je me sens humainement plus proche et plus efficace dans l'écoute... tout en gardant la distance thérapeutique nécessaire ! Cependant, j'ai 16 ans d'ancienneté et pense mieux gérer cette distance qu'un jeune diplômé... je pense savoir me rapprocher du patient ou m'éloigner un peu de lui quand c'est nécessaire tout en restant dans le soin, avec ou sans blouse... et que le patient, une fois la barrière de la blouse oubliée, parvient en général, à nous faire confiance...

Je fais actuellement du libéral et je travaille sans blouse : je suis souvent gênée mais juste pour l'hygiène !!! Sinon, à domicile, nous ne prenons pas que des personnes souffrant de troubles psy et donc, mettre la bonne distance nécessaire à une bonne PEC, peut parfois être périlleuse car les gens oublient parfois que vous êtes un professionnel de la santé et pas leur bonniche... mais ça, c'est tout un travail en équipe, un travail de fond : tous les infirmiers à domicile ne répondent pas de la même manière aux exigences "déplacées" des patients (par méconnaissance de l'importance d'une bonne cohérence dans l'équipe, l'importance d'être soudés, pour être efficaces sans se faire envahir, ou par clientélisme ???...)... On pourrait en débattre dans tous les sens.. :clin:
bloubloublou.... cool !!!
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Re: Soignants blousés, qui a la clé ?

Message par parexemple »

Maintenant, je note aussi, que pour beaucoup de patients et pour leur famille, c'est rassurant de "voir" des infirmiers en blanc comme dans tout autre hôpital... la psychiatrie est un lieu de soin comme les autres.... Grosse discussion encore là !!!! Et aussi, les gens en blanc "savent" et donc ça les rassure direct, dès leur admission !!! D'autres, ça val les rebuter : "pour qui ils se prennent ceux-là ?!"... Y a du pour, y a du contre, moi, j'essaie de composer avec mes pauvres petits moyens... :clin:
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Re: Soignants blousés, qui a la clé ?

Message par brrruno »

Vaste sujet, mais comme tu le dis, la question n'est pas de la porter ou de ne pas la porter. Je pense qu'il vaut mieux être en adéquation avec ce que l'on fait et ce que l'on veut faire. Ça me fait souvent associer avec la question du vouvoiement auprès des adolescents ; je me souviens de mon dernier stage en formation (quatrième stage auprès des adolescents) où l'on m'a demandé de vouvoyer les adolescents. Ça sonnait tellement faux que je n'arrivais pas du tout à trouver une place qui me permette d'être en relation et d'être dans une fonction de soin. Les moments où j'étais plus spontané et que je tutoyais les jeunes étaient beaucoup plus riche et sincère. En tant que professionnel j'ai tutoyé les adolescents pendant 6 ans avant de passer tout naturellement au vouvoiement. Aujourd'hui je ne pense pas que je puisse tutoyer les jeunes parce qu'il me semble que ça sonnerait faux ...
Pour ce qui est des clés certains services ont trouvé une horrible parade : les serrures à empreinte digitale. Une petite anecdote autour des clés : quand je travaillais de nuit j'avais souvent tendance à laisser traîner ma clé, ou encore à devoir faire le tour de mes poches (souvent en bordel) pour la retrouver. Mes collègues m'ont alors gentiment offert un porte-clé énorme pour que je les trouves plus facilement. Même quand on n'en veut pas il y'a toujours quelqu'un pour vous rappeler votre fonction.
Alors la blouse ou les clés comme dénominateur ? plutôt l'accord entre notre imaginaire et le symbolique ^^, celui d'une position choisie en notre fort intérieur
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Re: Soignants blousés, qui a la clé ?

Message par dan65 »

sujet très actuel dans mon service. Réunion institutionnelle il y a 2 mois, certains collègues insistent sur le port de la blouse qui rassure, qui donne l'apparence du soignant (sic). Ayant fait 11 ans dans mon unité ados sans blouse et sans souci majeur, je ne pensais pas avoir besoin d'une apparence mais bon, esprit d'équipe, on se met d'accord pour un essai de 2 mois au 1er février. Le jour fatidique, je ne bosse pas, mais je passe pour le syndicat : personne ne porte de blouse. Le 2, le 3 personne non plus, y compris celles qui avaient demandé l'essai... Je mets la blouse hier lors de l'accueil d'un jeune habitué à casser tout dans le service, parce que je pense que l'apparence a un sens dans ce cas là, et probablement parce que j'ai un peu de mal avec les lignes droites...
Pour l'histoire des clés d'AmThLi, j'ai donné les clés à un jeune qui ne parlait que de fugue, j'y ai gagné une relation transférentielle particulièrement riche, pas sûr quand même que je ferai ça tous les jours !
je soigne tout ce qui bouge ! Et parfois même ceux qui ne bougent pas...
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Re: Soignants blousés, qui a la clé ?

Message par AmThLi »

Et ben voilà, céder sur sa jouissance, ça peut donner du bon !

Pour cette histoire d'apparence de soignant, ça m'amuse, on parle aussi parfois de "repère", comme si la blouse créait un "repère", j'ai en tête l'image d'un type qui s'agite au milieu d'une foule avec un drapeau, en criant "youhou, je suis là !". Qui doit repérer qui ? Est-ce que ça n'est pas plutôt pour que nous, nous nous repérions comme soignant ?

Je crois que la fonction soignante, ou plutôt le rôle soignant, c'est le patient qui nous l'attribue. Pas très original, c'est dit par "quelques maîtres" depuis les années 50, mais je crois à cette idée. C'est ce qui fait que le jardinier peut être plus "soignant" qu'un infirmier. Je vois cette histoire d'apparence comme un forçage, "mais si je suis soignant ! regardez !". C'est une histoire d'angoisse, je pense, "et si on ne me reconnaissait pas ?", et j'insiste sur la reconnaissance et ses divers sens.
Ensuite il y a les questions individuelles qui ne regardent que les concerné(e)s.
"La plus grande proximité, c'est d'assumer le lointain de l'autre."

J. Oury
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