Le cadre et sa souplesse
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Le cadre et sa souplesse
Bonjour,
Je suis infirmier en unité d'admission depuis deux ans. J'ai changé d'établissement et de service récemment. J'ai toujours eu l'habitude de travailler en utilisant un cadre thérapeutique suffisamment rigide (tout en restant maléable) avec des temps, des règles plus ou moins formalisées selon les services.
Aujourd'hui, dans une nouvelle unité, je remarque que le fonctionnement est relativement différent. L'équipe n'a que très peu de règles et adapte le cadre à chaque patient : les consignes médicales ou certaines autres règles (horaires des appels téléphoniques, des visites) ne sont pas respectés. On est dans la réponse immédiate aux demandes de certains patients.
Exemple concret d'une situation et de ses conséquences :
Je suis d'après-midi. Mes collègues et moi-mêmes assistons au gouter. Son fonctionnement et son contenu dépendent des soignants présent ce jour là.
Il n'y a pas d'horaire fixe de début ni de fin de repas. Les patients qui veulent gouter viennent spontanément.
Mr A est un patient psychotique paranoïaque, très intolérant à la frustration, devenant rapidement sthénique et étant physiquement potentiellement impressionnant.
Cet après-midi, Mr A., qui était jusqu'alors dans sa chambre, arrive alors que le gouter touche à sa fin : nous avons déjà servi les patients il y a 30min, quelques-uns sont en train de finir de manger.
Il me demande du jus de fruit. Il en reste un fond dans le pichet, je sers donc ce qu'il me reste, soit les 3/4 du verre.
"Tu m'as vu ? Je suis pas un oiseau" me fait-il remarquer.
Je l'incite donc de d'abord à boire ce verre pour commencer. Mr A. devient alors sub-sthénique, refuse le verre que je lui tends.
Ma collègue présente avec moi se détache de la surveillance du gouter et se dépêche d'aller en cuisine pour préparer un nouveau pichet de jus de fruit à présenter à Mr A, qui n'en a que faire et repart dans l'unité sans avoir bu ni manger.
Il revient quelques temps après et menace verbalement mon intégrité physique.
Pour moi, dans cette situation, la réaction du patient peut être due - entre autres choses - au fait que j'ai différé l'une de ses demandes alors que le reste de l'équipe y répond toujours de manière immédiate. Tout ça me pose questions.
J'ai l'impression que ma collègue, de par sa réaction, épouse le délire du patient en créant une néo-réalité.
Pour moi, la réalité, la cohérence, ici, c'est que le gouter est à 16h, il faut être à l'heure pour y assister. Quand il n'y a plus rien à boire ni à manger parmi l'ensemble des choses que nous avons proposé - ou à partir d'une certaine heure - le gouter doit se terminer.
Ma collègue a créé une nouvelle réalité : y'en a plus mais y'en a encore et tout de suite. C'est la fin du "temps gouter" pour tout les patients sauf Mr A, pour qui c'en est le début.
Je pourrais retranscrire de nombreuses situations comme celle-ci, avec ce patient ou d'autres.
Pour moi, les règles - certes contraignantes - ont un intérêt thérapeutique, et sont la base du cadre thérapeutique dans lequel on travaille à prendre en soins les patients. On se doit de maintenir la réalité sociale dans le microcosme qu'est l'institution malgré sa fonction de pare-excitation du cadre thérapeutique.
Qu'en pensez-vous ? Comment ça se passe dans vos services ?
Je suis infirmier en unité d'admission depuis deux ans. J'ai changé d'établissement et de service récemment. J'ai toujours eu l'habitude de travailler en utilisant un cadre thérapeutique suffisamment rigide (tout en restant maléable) avec des temps, des règles plus ou moins formalisées selon les services.
Aujourd'hui, dans une nouvelle unité, je remarque que le fonctionnement est relativement différent. L'équipe n'a que très peu de règles et adapte le cadre à chaque patient : les consignes médicales ou certaines autres règles (horaires des appels téléphoniques, des visites) ne sont pas respectés. On est dans la réponse immédiate aux demandes de certains patients.
Exemple concret d'une situation et de ses conséquences :
Je suis d'après-midi. Mes collègues et moi-mêmes assistons au gouter. Son fonctionnement et son contenu dépendent des soignants présent ce jour là.
Il n'y a pas d'horaire fixe de début ni de fin de repas. Les patients qui veulent gouter viennent spontanément.
Mr A est un patient psychotique paranoïaque, très intolérant à la frustration, devenant rapidement sthénique et étant physiquement potentiellement impressionnant.
Cet après-midi, Mr A., qui était jusqu'alors dans sa chambre, arrive alors que le gouter touche à sa fin : nous avons déjà servi les patients il y a 30min, quelques-uns sont en train de finir de manger.
Il me demande du jus de fruit. Il en reste un fond dans le pichet, je sers donc ce qu'il me reste, soit les 3/4 du verre.
"Tu m'as vu ? Je suis pas un oiseau" me fait-il remarquer.
Je l'incite donc de d'abord à boire ce verre pour commencer. Mr A. devient alors sub-sthénique, refuse le verre que je lui tends.
Ma collègue présente avec moi se détache de la surveillance du gouter et se dépêche d'aller en cuisine pour préparer un nouveau pichet de jus de fruit à présenter à Mr A, qui n'en a que faire et repart dans l'unité sans avoir bu ni manger.
Il revient quelques temps après et menace verbalement mon intégrité physique.
Pour moi, dans cette situation, la réaction du patient peut être due - entre autres choses - au fait que j'ai différé l'une de ses demandes alors que le reste de l'équipe y répond toujours de manière immédiate. Tout ça me pose questions.
J'ai l'impression que ma collègue, de par sa réaction, épouse le délire du patient en créant une néo-réalité.
Pour moi, la réalité, la cohérence, ici, c'est que le gouter est à 16h, il faut être à l'heure pour y assister. Quand il n'y a plus rien à boire ni à manger parmi l'ensemble des choses que nous avons proposé - ou à partir d'une certaine heure - le gouter doit se terminer.
Ma collègue a créé une nouvelle réalité : y'en a plus mais y'en a encore et tout de suite. C'est la fin du "temps gouter" pour tout les patients sauf Mr A, pour qui c'en est le début.
Je pourrais retranscrire de nombreuses situations comme celle-ci, avec ce patient ou d'autres.
Pour moi, les règles - certes contraignantes - ont un intérêt thérapeutique, et sont la base du cadre thérapeutique dans lequel on travaille à prendre en soins les patients. On se doit de maintenir la réalité sociale dans le microcosme qu'est l'institution malgré sa fonction de pare-excitation du cadre thérapeutique.
Qu'en pensez-vous ? Comment ça se passe dans vos services ?
Re: Le cadre et sa souplesse
Effectivement il y a un problème, mais je pense que ton intervention surgit chez un patient qui doit déjà avoir une longue histoire avec l'équipe. Il serait bon de les interroger, eux, sur cette situation et ce qu'elle peut dénoter vis à vis de leur prise en charge.
"La plus grande proximité, c'est d'assumer le lointain de l'autre."
J. Oury
J. Oury
Re: Le cadre et sa souplesse
Je suis bien d'accord avec AmThLi, une situation ne se résume pas à l'instant T, et c'est important de venir interroger l'histoire de ce patient dans ses liens avec l'équipe, avec la psychiatrie et avec son environnement en général.
Pour ce qui est de la question du cadre, il faut se méfier de ne pas vouloir y répondre de manière binaire, je pense qu'il est important de se questionner avant tout sur la manière que l'on utilise pour répondre aux gens. Comment décaler quelque chose qui pourrait être vécu comme de l'agression. Je me permet d'utiliser votre écrit pour une petit réflexion que l'on peut tous se faire à un moment ou à un autre : une personne n'est pas "physiquement potentiellement impressionnante", l'apparence physique nous renvoie des choses que l'on doit accepter sinon c'est très difficile de se décaler.
Pour ce qui est de la question du cadre, il faut se méfier de ne pas vouloir y répondre de manière binaire, je pense qu'il est important de se questionner avant tout sur la manière que l'on utilise pour répondre aux gens. Comment décaler quelque chose qui pourrait être vécu comme de l'agression. Je me permet d'utiliser votre écrit pour une petit réflexion que l'on peut tous se faire à un moment ou à un autre : une personne n'est pas "physiquement potentiellement impressionnante", l'apparence physique nous renvoie des choses que l'on doit accepter sinon c'est très difficile de se décaler.
Re: Le cadre et sa souplesse
C'est un bel appel à la souplesse.
Je relis votre situation, il me semble qu'elle est riche et embrasse un certain nombre de questions.
Une autre indication, à ajouter à celles qui vous ont été fournies, serait de faire attention à cette question de réalité/néo réalité qui ne veut pas dire grand chose en soit : car la personne peut, tel quel, vous retourner cet argument. Mieux-vaut donc vous tourner vers vos collègues pour solliciter des explications : quelle est la stratégie vis à vis de ce patient ? A vous lire, on a l'impression qu'ils sont un peu laxistes et lui cèdent tout par peur mais il en est peut-être tout autre.
Enfin il me semble que cette situation appelle surtout à questionner la place de ce patient dans un collectif, quel est son rapport au groupe, aux autres, etc... Et surtout, de quelle manière se place-t-il, ou est-il placé, par rapport au fonctionnement social d'un groupe. C'est la dimension politique de notre travail. Pensez-y. Pour mémoire, les grands psychiatres avaient tous une pensée politique, et des gens comme Tosquelles ou Bonnafé ont clairement mis en avant le caractère politique de l'hôpital psychiatrique où se rejouent des enjeux sociétaux autour de la loi, de l'ordre, de l'enfermement, de la liberté, du collectif, etc...
Je relis votre situation, il me semble qu'elle est riche et embrasse un certain nombre de questions.
Une autre indication, à ajouter à celles qui vous ont été fournies, serait de faire attention à cette question de réalité/néo réalité qui ne veut pas dire grand chose en soit : car la personne peut, tel quel, vous retourner cet argument. Mieux-vaut donc vous tourner vers vos collègues pour solliciter des explications : quelle est la stratégie vis à vis de ce patient ? A vous lire, on a l'impression qu'ils sont un peu laxistes et lui cèdent tout par peur mais il en est peut-être tout autre.
Enfin il me semble que cette situation appelle surtout à questionner la place de ce patient dans un collectif, quel est son rapport au groupe, aux autres, etc... Et surtout, de quelle manière se place-t-il, ou est-il placé, par rapport au fonctionnement social d'un groupe. C'est la dimension politique de notre travail. Pensez-y. Pour mémoire, les grands psychiatres avaient tous une pensée politique, et des gens comme Tosquelles ou Bonnafé ont clairement mis en avant le caractère politique de l'hôpital psychiatrique où se rejouent des enjeux sociétaux autour de la loi, de l'ordre, de l'enfermement, de la liberté, du collectif, etc...
"La plus grande proximité, c'est d'assumer le lointain de l'autre."
J. Oury
J. Oury
Re: Le cadre et sa souplesse
C'est un des problèmes lorsqu'on change de service, histoire différente, fonctionnement à comprendre. Te donner tort ou raison n'a aucun sens si l'on ne se remet pas dans le contexte et la vie de cette unité. On peut s'amuser à imaginer des projets de service super cadrés (télé à ...h, goûter à ...h etc.) et voir la réalité quelque temps après, le rapport à la bouffe étant pour moi le plus sujet à détournement, surtout si l'on n'a pas réfléchi à son propre rapport à la nourriture. Après, je ne vais pas inventer l'eau tiède en disant qu'en se parlant les choses s'améliorent...
je soigne tout ce qui bouge ! Et parfois même ceux qui ne bougent pas...