IBODE

Mesures transitoires en bloc opératoire : rejet de la demande d'annulation du décret

Par
Publié le 23/01/2025

C'est une déconvenue pour la profession : portée par le Collectif Inter-Blocs, une requête en référé pour faire annuler le récent décret cadrant les mesures transitoires a été rejetée début janvier 2025 par le Conseil d'État. Une seconde procédure est néanmoins en cours.

bloc opértoire, opération, soignants, chirurgien

L’objectif était de faire annuler un texte qui « fragilise la profession et les patients ». Le texte en question ? Le décret sur le dispositif des mesures transitoires, paru fin octobre 2024 dans le Journal officiel, et qui suscite la méfiance et l’inquiétude des infirmiers de bloc opératoire (IBODE). Le 13 décembre 2024, le Collectif Inter-Blocs (CIB) déposait une requête auprès du Conseil d’État pour en suspendre en urgence l’application.

Un double enjeu pour le Conseil d'État : disposer de suffisamment de professionnels infirmiers formés pour faire tourner les blocs opératoires, et sécuriser juridiquement les infirmiers ne disposant pas du diplôme d’IBODE qui y exercent déjà sans autorisation.

Résultat de plus de 5 ans de va-et-vient entre le Conseil d’État, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et les organisations représentantes des IBODE (voir encadré), il autorise les infirmiers en soins généraux disposant d’une expérience en bloc opératoire à réaliser les actes normalement exclusifs aux IBODE, listés dans le décret du 30 janvier 2015. Il leur permet ainsi d’obtenir une autorisation temporaire d’un an, renouvelable une fois, à condition qu’ils justifient d’une inscription à une formation complémentaire, dont les modalités ont été définies par un arrêté paru le 21 janvier dans le Journal Officiel. Le dispositif des mesures transitoires doit répondre à deux préoccupations formulées par le Conseil d’État : disposer de suffisamment de professionnels infirmiers formés pour faire tourner les blocs opératoires, et sécuriser juridiquement les infirmiers ne disposant pas du diplôme d’IBODE qui y exercent déjà sans autorisation.

Pour la profession : un texte qui porte atteinte de manière grave et immédiate, non seulement à la sécurité et à la santé des patients mais aussi aux intérêts des IBODE

Levée de boucliers des organisations professionnelles

Mais pour les organisations et associations représentantes de la profession, le compte n’y est pas. Dans sa requête auprès du Conseil d’État, le CIB justifie le caractère « urgent » de sa demande d’annulation en avançant plusieurs arguments, le premier étant que le texte « porte atteinte de manière grave et immédiate » non seulement à la sécurité et à la santé des patients mais aussi « aux intérêts » des IBODE. L’absence d’une formation « exigeante » chez ces infirmiers compromettrait en effet la qualité de la prise en charge des patients, et dévaloriserait les compétences de la spécialité. Par ailleurs, le décret est dès le départ entaché, si ce n’est d’une méconnaissance du principe de sécurité juridique, à tout le moins « d’une erreur de droit » en ce qu’il vient  « valider une pratique illégale ». À savoir donc la réalisation d’actes par des infirmiers qui ne sont pas légalement autoriser à le faire puisqu’ils ne disposent pas du diplôme requis. Autre point dénoncé : le texte permet aux infirmiers faisant fonction de bénéficier d’une autorisation définitive d’exercer en bloc opératoire « alors que seule une autorisation à titre provisoire devait être instituée à titre transitoire. »

15 000 IBODE à former d'ici 6 ans

Autant d’arguments auxquels le Conseil d’État, après une audience qui s’est tenue le 9 janvier 2025, ne s’est pas montré sensible. Il a ainsi rejeté la requête du CIB, arguant en premier lieu du besoin de pouvoir s’appuyer sur un nombre suffisant de professionnels pour faire tourner les blocs opératoires. Selon des chiffres avancés par le ministère de la Santé en 2023, 23 700 IBODE auraient été ainsi nécessaires « pour assurer un fonctionnement optimal ». Or, en décembre 2021, on ne comptait que 7 891 IBODE en exercice, contre 8 796 en décembre 2024, dont 5 660 dans les établissements sanitaires publics et 3 136 dans le privé, avance le Conseil d’État dans sa décision. Il faudrait former plus de 15 000 IBODE dans les 6 prochaines années pour répondre aux besoins, à raison de 800 places ouvertes par an en instituts de formation. Parallèlement, le nombre d’infirmiers en soins généraux intervenant en blocs opératoire pour réaliser les 3 actes exclusifs autorisés par le décret de 2019, était de 11 500.

Il en résulte que, afin que soit « garantie la sécurité juridique des actes de soins accomplis » par les infirmiers en blocs opératoires et « assurée la santé des patients en attente d’une intervention », « il est urgent, dans l’intérêt public, qu’un nombre suffisant de professionnels, non titulaires du diplôme d’État d’infirmier de bloc opératoire, soit, en vertu d’un régime transitoire, rapidement autorisé à pratiquer l’ensemble des actes normalement réservés aux IBODE. » Voilà pour les besoins en effectifs. Quant aux risques éventuels pour la santé et la sécurité des patients et la dévalorisation de la spécialité, le Conseil d’État a estimé insuffisants les éléments apportés par le CIB, qui ne justifient donc pas qu’il annule en urgence le décret.

Les mesures transitoires en 4 dates

Le dispositif des mesures transitoires est en discussion depuis des années.
- En janvier 2015, un premier décret fixe les actes infirmiers relatifs aux compétences exclusives des IBODE.
- En juin 2019, un décret met en place le dispositif des mesures transitoires. Il autorise alors les infirmiers en soins généraux exerçant en blocs opératoires à réaliser 3 des actes exclusifs aux IBODE : aide à l’exposition, à l’hémostase et à l’aspiration au cours d’une intervention chirurgicale. Seuls les infirmiers qui justifient d’au moins un an d’expérience en bloc peuvent y prétendre.
- En décembre 2021, le Conseil d’État annule le décret de 2019 et demande au gouvernement de revoir sa copie afin que le dispositif permette d’assurer le bon fonctionnement des blocs jusqu’à ce que le nombre de titulaires IBODE soit suffisant.
- En février 2022, la DGOS présente son nouveau projet de décret : celui étend les mesures transitoires aux 10 actes exclusifs IBODE, suscitant l’ire de la spécialité.

Une seconde procédure est en cours

La décision du Conseil d’État n’a pas spécialement surpris le CIB. Une telle procédure – qui suppose de dénoncer un texte comme illégal pour le faire surprendre – est difficile à faire aboutir. « C’est toujours compliqué de prouver l’urgence pour les patients », réagit Grégory Chakir, son porte-parole. Pour autant, la durée de l’audience, 1h30, et la présence, « assez étonnante », de plusieurs représentants du ministère de la Santé, constitueraient des signaux encourageants pour la deuxième procédure engagée dans le même temps par le CIB, sur le fond cette fois. À la différence de la requête en urgence, celle-ci est plus longue et pourrait lui permettre de démontrer plus clairement en quoi le décret « est préjudiciable aux patients et à la profession ; on dénonce l’esprit du texte. » « Il y a eu une attention portée au sujet, nous avons été beaucoup interrogés, le juge a été sensible à nos arguments, donc il y a des possibilités » que la seconde procédure aboutisse, espère Grégory Chakir.

Une alternative proposée : une formation en alternance adaptée, qui prend en compte l’expérience professionnelle des infirmiers pour leur permettre d’accéder au diplôme d’IBODE

Dans un communiqué faisant suite à la décision du Conseil d’État, le CIB a de nouveau fustigé une mesure qui « loin de répondre aux besoins structurels des blocs opératoires, expose les patients à des risques accrus et dévalorise profondément une spécialité fondée sur des compétences pointues et une formation exigeante. » Seule une formation diplômante peut garantir la maîtrise des gestes techniques requis au bloc opératoire, les autorisations temporaires d’exercer, qui plus est sans formation préalable, ne répondant pas aux exigences attendues, poursuit-il. Il en a également profité pour rappeler ses propres propositions pour pallier le manque actuel d’effectifs IBODE : une formation en alternance adaptée, qui prend en compte l’expérience professionnelle des infirmiers pour leur permettre d’accéder au diplôme d’IBODE. « Cette approche garantit à la fois une montée en compétence des professionnels et le maintien des exigences de qualité et de sécurité des soins, piliers essentiels de cette spécialité. »

Si le CIB est la seule organisation à l’avoir dénoncé auprès du Conseil d’État, le décret sur le dispositif des mesures transitoires suscite l’ire d’une large partie de la profession, toutes spécialités confondues ; dans un élément commun rarement vu, 16 organisations infirmières s’érigeaient en décembre dernier contre le texte, perçu comme une menace pour la reconnaissance des compétences et l’attractivité de la profession.


Source : infirmiers.com