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Santé des soignants : ces recherches qui font bouger les lignes

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Publié le 11/04/2025

Dans le cadre de leur collaboration autour de la recherche sur la santé des professionnels de santé, la Fondation MNH et la Drees ont organisé un colloque afin de présenter les travaux en cours sur le sujet et qui bénéficient de leur soutien. En voici une sélection.

infirmier et aide-soignant, hôpital, chambre, blouse bleue

Crédit photo : BURGER / PHANIE

Il faut « veiller sur la santé physique et mentale des professionnels de santé car un soignant qui se sent bien est un soignant qui soigne bien. » Ces premiers mots de Yannick Neuder, le ministre de la Santé, prononcés en introduction du 2e colloque «Recherches et innovations sur la santé des professionnels de santé» organisé par la Fondation de la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH) et la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees)* en ont constitué le fil rouge. Objectif : présenter l’avancée des travaux de recherche menés sur la santé des professionnels de santé depuis 2 ans et portés par les deux organisations, ainsi que ceux à venir et les initiatives déjà mises en place sur le terrain.

Accélérer la recherche et la production de savoirs

Il y a en effet un enjeu à « accélérer la recherche, la collecte de données et la production de savoirs », a poursuivi le ministre. Car pour trouver comment préserver la santé des professionnels de santé, encore faut-il pouvoir objectiver les situations qu’ils rencontrent à l’aide de données probantes. Or, à l’heure actuelle, le manque de recherches sur le sujet limite le déploiement de politiques publiques. Mobiliser les acteurs autour de la production de connaissances et de savoirs fait d’ailleurs partie des mesures issues des grands travaux lancés par Agnès Firmin-Le Bodo, alors ministre chargée des Professions de santé, sur la santé des soignants, en mars 2023. Nombre de projets présentés répondaient ainsi aux préconisations du rapport élaboré par les pilotes de la mission désignés par la ministre (voir encadré). Au programme donc de l’événement : l’analyse de l’impact sur la santé mentale du passage de l’hôpital au libéral chez les infirmiers, une estimation du coût économique que fait peser la mauvaise santé des soignants, ou encore la mise en place d’un centre de santé dédié aux professionnels de santé au sein du centre hospitalier d’Angers.

La mission «Santé des Soignants – Innovons et Agissons Ensemble» d'Agnès Firmin-Le Bodo
En mars 2023, Agnès Firmin-Le Bodo désignait les docteurs Philippe Denormandie, chirurgien neuro-orthopédique et directeur relations santé du groupe MNH, et Marine Crest-Guilluy, médecin généraliste, co-fondatrice de l’association « Guérir en mer », ainsi qu’Alexis Bataille-Hembert, infirmier et porte-parole du programme de recherche Chaire de design d'expérience soignants, pour piloter une enquête nationale auprès des professionnels de santé. Prenant la forme d’un questionnaire, elle devait permettre de recueillir des données, mais aussi les bonnes pratiques mises en place sur le terrain. Avec pour objectif d’établir une feuille de route listant les actions à élaborer pour améliorer la santé des professionnels de santé.

Point sur les travaux de recherche en cours...

Le colloque a permis à plusieurs chercheurs de faire le point sur leurs travaux et d'en présenter les premières conclusions.

Cartographie des auteurs de travaux de recherche sur la santé des professionnels de santé en France – EHESP

Cette recherche, menée par Quentin Gicquel-Ibeka, en formation à l’EHESP, dresse le constat d’un faible nombre de travaux de recherche sur la santé des professionnels de santé et sur leur manque de diversité. Les études existantes, qu’elles aient été menées par des institutions hospitalo-universitaires ou par des auteurs issus des sciences sociales, « traitent principalement des médecins. Les professions paramédicales sont moins étudiées de manière spécifique », observe-t-il. Elles se concentrent également beaucoup sur la santé mentale et le burn-out des soignants, la deuxième thématique la plus abordée étant celle des addictions. Enfin « 80% d’entre elles sont réalisées à l’hôpital ». 

Addictions, santé mentale et parcours professionnels (TRAILSS) – IRDES : 

Ce projet présenté par Julia Legrand, docteure en sociologie, et Estelle Augé, docteure en sciences économiques, entend étudier les impacts d’une transition de l’hôpital vers le salariat sur la santé mentale des infirmiers. Rappelant l’étude de la Drees qui mettait en lumière qu’une infirmière sur 2 quittait l’hôpital au bout de 10 ans, les deux chercheuses concluent de leur étude que « ce sont les infirmières travaillant à l’hôpital qui sont en moins bonne santé mentale qui vont vers le libéral ». Elles s’appuient notamment sur la consommation de médicaments. Car si les libéraux ont des horaires plus lourds, liberté décisionnelle et autonomie leur permettraient d’être en meilleure santé. Ces résultats sont toutefois à prendre avec précaution car les écarts entre les deux modes d’exercice sont « faiblement significatifs ».

...et à venir

Plusieurs nouvelles recherches ont également été lancées, notamment par des institutions publiques, à commencer l'Assurance maladie, qui entend se préoccuper de la santé des professionnels exerçant dans le médico-social.

Coût de la mauvaise santé des professionnels de santé (VALORIS) – EHESP : 

Quel est le coût de l’absentéisme des professionnels de santé ? Et celui du présentéisme (soit le fait de venir travailler tout en étant malade) ? C’est l’objet de la recherche menée actuellement par Nicolas Sirven, professeur des universités et maître de conférences, via un questionnaire adressé aux managers des établissements sanitaires. D’après ses premiers résultats, un infirmier absent entraînerait en moyenne une perte de 2 004 euros, soit 1,35 fois son salaire par séjour, et de 1 259 euros en cas de présentéisme. « On connaît le coût de l’inaction », constate-t-il. Prochaines étapes attendues : la solidification et la diffusion des résultats, suivies d’une extension du questionnaire aux EHPAD et autres établissements médico-sociaux.

Prévention des risques professionnels dans le secteur médico-social – CNAM : 

L’Assurance maladie s’empare du sujet de la santé des professionnels qui exercent dans le médico-social via le recueil de données relatives aux arrêts de travail et maladies professionnelles. Et note que, en 2021, ce sont l’équivalent de 9 600 équivalents temps plein qui ont été perdus dans les EHPAD. Ces mesures sont essentielles pour déterminer l’accompagnement que la CNAM peut mettre en place auprès des 2 600 structures du secteur, notamment sur la prévention efficace et durable des risques, indique Laure Le Douce, ingénieur conseil au sein de l’organisme.

Ces initiatives qui se déploient sur le terrain

Le colloque a également été l’occasion de remettre deux prix Santé des soignants, un individuel et un collectif.

Prix santé des soignants à Valérie Jarno, aide-soignante à  l’EHPAD Ty Noal (Morbihan), lauréate de la distinction individuelle : 

L’aide-soignante a été distinguée pour la mise en place d’une semaine de bien-être dédiée au personnel de son établissement. « J’ai constaté que beaucoup de professionnels avaient des compétences », acquises dans le cadre de leur exercice (comme la réalisation de massages auprès des résidents), « qu’on pouvait transférer sur nos collègues soignants », raconte-t-elle. « On sait que le métier est difficile. Cette semaine de bien-être amène une bouffée d’oxygène. » Organisée au départ sans financement dédié, l’initiative bénéficie désormais d’un budget qui permettra de solliciter des professionnels extérieurs. Elle a surtout ouvert le dialogue entre les personnels de l’EHPAD, qui évoquent plus facilement leur santé et leurs besoins.

Prix Santé des soignants à l’équipe prévention et santé publique, du CHU d’Angers, distinction collective : 

Suite au rapport de la mission sur la santé des professionnels de santé, l’équipe du CHU a consulté les personnels hospitaliers sur l’éventuel déploiement d’un centre de santé qui leur serait dédié. 92% des 1 085 répondants se sont montrés intéressés par le déploiement d’un tel lieu. L’objectif est désormais de l’installer en centre-ville, dans une maison médicale de l’ Association des Professionnels de Santé Angevins (APSA), pour y proposer dans un premier temps des consultations de médecine générale (bilans de médecine préventive, dépistage des cancers et maladies infectieuses…). Une évaluation devra être réalisée pour déterminer si l’offre de soin est en adéquation avec les besoins. Si elle s’avère satisfaisante, l’équipe espère l’étendre à d’autres formes de prise en charge (psychologues, consultations addictions…).

Une collaboration efficace entre privé et public
Il s'agit de la deuxième édition de ce colloque, porté par le partenariat entre la Fondation MNH et la Drees. Cette collaboration doit servir à mettre en lumière les travaux de recherche menés sur la santé des professionnels de santé, ainsi que les acteurs qui s'y consacrent. Inédite, elle permet d'apporter « rigueur et exigence, mais aussi des données », a affirmé Fabrice Lenglart, le directeur de la Drees en introduction. L'initiative sert à présenter un état des lieux des travaux en cours ou à venir, mais aussi à « créer des connexions. Une meilleure exploitation des données est essentielle pour objectiver la qualité des actions à engager », a défendu de son côté Benoît Fraslin, président de la MNH [ndlr : propriétaire d'Infirmiers.com] qui s'est félicité de voir l'événement réunir 250 inscrits. De quoi prouver qu'il y a un « intérêt croissant pour le sujet qui nous préoccupe

*Qui s’est tenu le mercredi 9 avril 2025 au ministère de la Santé, à Paris.


Source : infirmiers.com