« Nous ne photographions pas la mort, nous immortalisons l’amour ». Cette phrase, sur la page d'ouverture du site «Souvenange», résume l'esprit de l'association, qui propose aux parents endeuillés de réaliser des «images douces et tendres» par des photographes bénévoles. Lors des 9èmes Rencontres pour la recherche en soins en psychiatrie organisées par l’Association pour le développement de la recherche en soins en psychiatrie (ADRpsy) qui se sont tenues à Ecully près de Lyon, les 3 et 4 mars derniers, Estelle Cotte Raffour, infirmière à Grenoble mais aussi photographe bénévole pour l'association, a présenté les résultats de son étude sur l'apport de la photographie dans le deuil périnatal. Elle a répondu à nos questions.
Comment en êtes vous arrivée à réaliser des clichés dans le cadre d'un deuil périnatal ?
J'ai débuté ma carrière il y a 25 ans, dans un service où j'ai rencontré des parents endeuillés et en tant que soignante j'étais très démunie, je ne savais pas tellement quoi faire, quoi apporter pour les soulager. Plus tard, j'ai croisé la route de "Souvenange" (pour souvenir + ange), cette association qui m'a paru offrir un outil très intéressant : la photographie, qui se trouvait être une de mes passions. En tant que bénévole de l'association, je réalise donc des prises de vue et de la retouche photo dans le cadre du deuil périnatal. On appelle deuil périnatal le deuil de parents qui font face au décès d'un enfant pendant la grossesse ou dans les sept premiers jours de vie.

En quoi la photo peut-elle apporter quelque chose à ces parents dans ce moment de souffrance ?
Comme on le sait, la mort est très tabou dans notre société et qui plus est la mort d'un bébé. On parle peu du deuil périnatal. C'est une question qu'entoure un grand silence. D'où l'intérêt de ces photos, qui peuvent permettre les échanges. De pouvoir garder la photo d'une petite main ou d'un petit pied permet aux parents, aux proches, de communiquer sur ce qui leur est arrivé.
Cela fait plusieurs années que je réalise ces photos et en tant que professionnel du soin, je me suis justement posée la question de savoir quels effets avaient ces photos sur la santé mentale des parents. Après quelques recherches, je me suis rendu-compte qu'il n'y avait aucune étude qui portait sur ce sujet, en tout cas en France. Il y avait donc un manque et il me paraissait important de combler ce manque. Cette réflexion m'a amenée à questionner ma propre pratique.
Quelle a été votre démarche ?
Depuis 2009, il existe une circulaire en France qui recommande aux soignants de constituer des traces mémorielles et la photographie est un outil répandu, simple et assez peu coûteux pour réaliser ces traces mémorielles. Parfois, certaines maternités sont assez réticentes à l'idée de nous laisser entrer pour faire des photos, donc il me semblait important de leur apporter des preuves en parlant le même langage que les soignants, apporter des preuves que cette démarche pouvait être utile. Notre étude a donc consisté à comparer les parents qui avaient des photos avec les parents qui n'en avaient pas sur le critère des troubles anxieux et dépressifs. Cette enquête nous a permis de mettre en évidence qu'il n'y avait pas plus de troubles anxieux ou dépressif chez les parents qui possédaient des photos de leurs nouveau-nés décédés. Nous avons inclus environ 1 300 parents dans notre étude, qui est actuellement en cours de parution. Et eux (les parents) le vivent plutôt bien : on a beaucoup de remerciements. Ces clichés leur permettent d'engager la discussion avec les proches, parfois avec des collègues de travail. C'est pour eux une manière d'ouvrir la parole.
Ce projet participe de cela ? De pouvoir parler de cet enfant et de le faire exister d'une certaine manière ?
Oui, la mort est tellement cachée qu'on peut en avoir peur et le fait d'apporter des photos qui sont très douces, une petite main, un petit pied, avec un travail sur les couleurs, peut permettre de démystifier un peu tout cela. Notre étude met en évidence que ces photos constituent plutôt un outil sûr. Il faut que les soignants soient rassurés : c'est un outil sûr pour rassurer les familles.
Les parents ne sont pas plus anxieux, mais est-ce bénéfique ?
D'après les retours que nous avons, ces photos leur permettent d'être plus satisfaits des soins reçus, de se sentir davantage accompagnés, et ça, on sait que c'est un facteur protecteur pour la santé mentale. On les rend acteurs et ils sont encore en train de prendre soin de leurs bébés en élaborant ces photos, en réfléchissant aux prises de vue, en préparant un joli pyjama ou un doudou. Ce ne sont pas seulement des photos de bébés mais des photos des liens entre les parents et le bébé. On voit par exemple la main d'une maman entrelacée avec celle du bébé. Le deuil périnatal, c'est un lien qui s'est brutalement interrompu, donc avec nos photos, on garde des traces de ce lien qui a été bref, mais qui a existé.
Comment travaillez-vous avec les parents sur le terrain ?
On échange très directement, très simplement avec les parents dans les maternités. Ils nous font des retours sur le travail que l'on fait. On s'adapte. l'idéal est d'avoir parlé de la possibilité de faire une photo bien en amont, afin que les parents puissent se préparer. On les invite à penser à ces photos, éventuellement à prévoir un doudou, de petits objets, ça peut aussi être des photos des frères et sœurs. Cela reste une proposition faite par les soignants. Les parents s'emparent de l'outil ou non. Parfois ce sont eux qui nous surprennent : j'ai déjà eu des parents qui avaient invité les grands-parents sans nous prévenir, pour faire des photos de famille. On a aussi des parents qui nous envoient des photos très anciennes, qui datent de 30 ans, et qui nous demandent de les retoucher.
Retrouvez ici l'association "Souvenange", spécialisée dans l'accompagnement du deuil périnatal.
Les 9èmes Rencontres pour la recherche en soins en psychiatrie organisées par l’Association pour le développement de la recherche en soins en psychiatrie (ADRpsy)
Les 9èmes Rencontres pour la recherche en soins en psychiatrie se sont déroulées le 3 et 4 mars 2024 au Site du Valpré à Écully (69).Le développement de la recherche en soins en psychiatrie au cours des dernières années a été marqué par la montée en puissance de la qualité et de la richesse des projets de recherche. L’implantation et l’ancrage de la Recherche en Soins est aujourd’hui significatif et acquis. Le déploiement d’une culture de recherche en soins est à l’œuvre mais doit être soutenu.
Forte de ces constats, l’ADRpsy (Association pour le développement de la recherche en soins en psychiatrie) se propose de rassembler des infirmier·ère·s et soignant·e·s se distinguant par leur curiosité, leur rigueur, et qui œuvrent à leurs travaux ou projets de recherche dans un contexte souvent peu propice. Des infirmier·ère·s et soignant·e·s qui cherchent, se mettent en recherche, puis font de la recherche.
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