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Pénurie mondiale d'infirmiers : l'OMS alerte sur les inégalités d'effectifs et de répartition

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Publié le 08/07/2025

Dans son rapport sur la situation des effectifs infirmiers dans le monde, l'Organisation mondiale de la santé alerte notamment sur les inégalités de répartition, de conditions de travail et de formation de ces professionnels entre pays riches et pays pauvres, dans un contexte généralisé de pénurie de soignants.

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Crises économiques qui se succèdent, conflits et tensions géopolitiques, incertitudes quant à l’aide au développement dédiée aux pays aux plus faibles revenus…, le contexte mondial fragilise les systèmes de santé et affecte la santé et le bien-être des populations, en particulier les plus vulnérables. Ainsi s’ouvre le dernier rapport « State of the world’s nursing » de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les effectifs de la profession infirmière dans le monde. Les impacts de la situation mondiale sur la santé humaine se traduisent par « le ralentissement de la réduction de la mortalité maternelle, néonatale et infantile, et par l’augmentation de maladies non-transmissibles, des problématiques de santé mentale, de maladies transmissibles, d’antibiorésistance, et de la menace des risques infectieux. »

La profession infirmière essentielle à la réalisation des objectifs de santé globale

Or la réduction des inégalités d’accès aux soins et le déploiement de la couverture sanitaire universelle* font partie des 17 Objectifs de développement durable (ODD) élaborés par l’Organisation des nations unies (ONU). Ces derniers couvrent l’ensemble des enjeux de développement dans tous les pays (climat, éducation, santé, énergie, égalité des genres, lutte contre la pauvreté…).

La profession infirmière, parce qu’elle représente la plus importante en termes de nombre de professionnels en exercice, est essentielle à la réalisation de ces objectifs de santé, fait valoir l’Organisation dans son rapport. À condition que leurs effectifs et leurs compétences soient en adéquation avec les besoins des populations.

36 millions d'infirmiers seront en exercice dans le monde d'ici 2030.

« Les infirmiers représentent la part la plus importante au sein des effectifs des professions de santé et du soin et possèdent un large éventail de compétences applicables dans presque tous les services de soin », souligne l’OMS. Ils jouent un rôle central dans la délivrance des soins, dans la promotion de la santé, dans la prise en charge des soins palliatifs… Dans les zones les plus isolées ou les plus pauvres, ils sont d’ailleurs souvent les seuls à délivrer des soins. Ils sont donc essentiels à la résilience des systèmes de santé dans le monde. En 2023, l’Organisation chiffre à 29,8 millions le nombre d’infirmiers en exercice, contre 27,9 millions en 2018. Et selon les projections, les effectifs devraient passer à 36 millions d’ici 2030, soit une hausse de 2,7% par an. Une croissance particulièrement forte est attendue dans les régions d’Asie du Sud-est et du Pacifique occidental, du fait du poids des populations de l’Inde et de la Chine.

Une augmentation mondiale des effectifs qui reste insuffisante

Leur densité sur les territoires a également augmenté entre 2013 et 2023, pour atteindre 37,1 professionnels pour 10 000 habitants en moyenne. L’OMS identifie ainsi plusieurs pays qui l’ont vu croître de près de 10% au cours des dix dernières années, dont certains aux faibles revenus : Somalie, Éthiopie, Indonésie mais aussi Afrique du Sud. Et dans les années à venir, chacune des 6 régions de l’OMS (Afrique, Amériques, Asie du Sud-Est, Europe, Méditerranée orientale et Pacifique occidental) devrait voir certains des pays qui la composent enregistrer une hausse de leur densité supérieure à 2,5% par an, reflet possible « des effets découlant des investissements réalisés dans la production d’infirmiers au niveau national et des efforts sur l’emploi ou la rétention des personnels. »

De quoi donc percevoir l’avenir des soins dans le monde avec plus de sérénité ? Pas tellement, répond l’OMS. Car ces chiffres ne seront in fine pas suffisants pour couvrir l’ensemble des besoins – on estime que 30 millions d’infirmiers supplémentaires seraient nécessaires en 2030 – et ce d’autant plus que la situation des effectifs varient d’une région à l’autre. Et surtout d’un niveau de revenus à l’autre.

Des perspectives de pénurie particulièrement fortes dans les pays à bas revenus

C’est l’enseignement principal de ce rapport. Sans surprise, ce sont les pays à plus bas revenus qui pâtissent le plus de la pénurie de soignants en général, et d’infirmiers en particulier, avec une multiplication de facteurs qui obèrent leurs capacités à accroître des effectifs déjà insuffisants. « Les inégalités dans la répartition des infirmiers, leur densité, les capacités de formation, les salaires et les conditions de travail sont évidentes, à la fois dans les pénuries existantes et dans celles à venir », prévient ainsi l’OMS.

Les régions d’Afrique et de Méditerranée orientale auront à supporter 70% de la pénurie mondiale d’infirmiers d’ici 2030.

Les régions d’Afrique et de Méditerranée orientale ne devraient ainsi pas profiter de l’augmentation globale des effectifs infirmiers d’ici 2030. Avec comme impact, une dégradation probable de l’état de santé de leurs populations, confrontées à de multiples crises et facteurs aggravants (conflits, explosion démographique, difficultés économiques…). Ces régions constateront ainsi « une réduction très légère » et, surtout, auront à « supporter 70% de la pénurie mondiale d’infirmiers d’ici 2030. »

Des conditions de travail et d'emploi extrêmement difficiles

Leur situation est d’autant plus complexe que les conditions de travail et d’emploi y sont nécessairement moins favorables que dans les pays à plus haut revenu. Le salaire médian d’un infirmier est évalué à 774 dollars américains par mois, selon les données de 82 pays, avec de très forts écarts ; les régions d’Afrique et de Méditerranée orientale enregistrent les rémunérations les plus basses, tandis que les pays à hauts revenus sont les seuls à proposer des salaires supérieurs à 2 000 dollars mensuels. « Les femmes sont peut-être moins bien payées que les hommes, quand bien même elles exercent la même profession, là où les attributs des femmes dans le secteur du soin et de la santé sont souvent sous-évalués », avance également le rapport. S’y ajoute, pour les pays de ces régions, des difficultés à intégrer les infirmiers diplômés dans leur système de santé, notamment du fait de leur situation économique défavorable.

Les pays à hauts revenus dépendent plus fortement que les autres des infirmiers nés à l’étranger (23%).

Enfin, parallèlement, 77% des pays à bas revenus rapportent avoir des lois assurant la protection des infirmiers dans leur environnement de travail. Et seuls 42% des pays déclarent avoir mis en place des services pour protéger la santé mentale et le bien-être de leurs soignants. Il existe « un besoin général pour des programmes plus complets et plus répandus de santé mentale », souligne-t-il.

Les migrations d’infirmiers vers les pays riches creusent les inégalités

Conséquence de ces inégalités : les pays à bas revenu tendent à perdre leurs infirmiers diplômés au profit des pays à plus hauts revenus. L’écart entre l’investissement réalisé dans les études et les opportunités peu attractives d’emploi encourage en effet la migration de ces professionnels de santé, avance le rapport. Ainsi, « approximativement un infirmier sur 7 en 2023 était née dans un autre pays » que son lieu d’exercice. « Les pays à hauts revenus dépendent plus fortement des infirmiers nés à l’étranger (23%) que les pays qui relèvent d’une autre classification de revenus. » Le chiffre s’élèverait ainsi en moyenne à un infirmier sur 6 pour les pays les plus riches. Une manne pour ces derniers, qui doivent compenser leur propre facteur aggravant de pénurie : le vieillissement de leur population infirmière. Dans les 20 pays aux revenus les plus élevés, et selon ses projections, les infirmiers qui devraient prendre leur retraite d’ici 10 ans sont en effet plus nombreux que les futurs diplômés, évalue l’OMS. Un peu plus de 3 millions de ces professionnels seraient nécessaires d’ici 2030 pour combler les effectifs rien que dans ces pays.

Nous savons que les pays en développement vulnérables perdent des centaines de milliers d'infirmières, souvent en raison d'un recrutement agressif de la part des pays riches.

De quoi faire bondir le Conseil international des infirmières (CII), qui alerte régulièrement sur la tendance des pays les plus riches à ponctionner les pays plus défavorisés pour renouveler leurs effectifs infirmiers. Lors de son Congrès, qui s’est tenu début juin 2025 à Genève, l’organisation indique avoir présenté « des chiffres frappants démontrant à la fois la puissance économique des soins et l’exploitation économique au cœur de la migration inéquitable des infirmières ». Il s’insurge notamment des économies que ces migrations font faire aux pays les plus riches en termes de formation : elles s’élèveraient en tout à plusieurs milliards de dollars, sans aucune compensation en retour. « Nous savons que les pays en développement vulnérables perdent des centaines de milliers d'infirmières, souvent en raison d'un recrutement agressif de la part des pays riches », s’émeut ainsi le Dr José Luis Cobos Serrano, le nouveau président du CII. Or, rappelle-t-il, « Nous ne pouvons pas priver certains pays de ressources humaines précieuses dans le domaine de la santé pour en approvisionner d'autres », au risque de fragiliser encore plus l’état de santé des populations les plus fragiles. Et de s’écarter toujours plus d’une couverture sanitaire universelle.

12 actions prioritaires à mettre en place

En complément de son rapport, l’OMS rappelle les 12 actions et politiques prioritaires à déployer pour renforcer les soins infirmiers et d’obstétrique, tirées de ses Orientations stratégiques mondiales pour les soins infirmiers et obstétricaux 2021-2025  :
- Planifier une évaluation des effectifs infirmiers, actuels et futurs
- S'assurer que les effectifs infirmiers soient en adéquation avec les besoins en soins primaires et les priorités en santé des populations
- Recruter et maintenir en poste les infirmiers là où ils sont essentiels, notamment dans les zones rurales, éloignées du soin
- Accélérer l'implantation du Code de pratique mondial de l’OMS pour le recrutement international des personnels de santé (2018)
- Aligner les formations sur les différents rôles que les infirmiers pourront être amenés à remplir au cours de leur exercice
- Optimiser la formation d'infirmiers pour répondre, voire dépasser, les besoins des systèmes de santé
- Élaborer des programmes d’éducation qui correspondent aux standards de qualité des soins et répondent aux besoins des populations
- S'assurer que les établissements de formation disposent des meilleurs méthodes et technologies pédagogiques et d'une véritable expertise clinique
- Revoir et renforcer les mécanismes de régulation, afin de permettre aux infirmiers d'exercer au mieux de leurs capacités l'ensemble de leurs compétences
- Adapter les politiques relatives aux lieux de travail pour mieux protéger les soignants
- Établir et renforcer les positions de leadership dans la gouvernance des effectifs infirmiers, en formant des infirmiers expérimentés au management en santé, notamment
- Investir dans le développement des capacités de leadership des infirmiers
- Développer plus largement la pratique avancée pour favoriser des soins de haute qualité
- S’attaquer aux biais de genres, en assurant notamment des rémunérations équitables
- Utiliser les technologies et outils digitaux au mieux pour répondre aux besoins des systèmes de santé
- Permettre aux infirmiers de contribuer à l'adaptation au changement climatique à travers l'éducation des publics et la mise en place de pratiques plus vertueuses pour l'environnement
- Offrir un soutien adapté à l'éducation, aux conditions de travail et à la protection des infirmiers qui exercent dans des zones de conflits ou particulièrement défavorisées.

Accéder au rapport (en anglais) de l’OMS

*Définie par l’OMS, la couverture sanitaire universelle signifie « que chaque personne peut avoir recours aux services de santé dont elle a besoin, où et quand elle en a besoin, sans être exposée à des difficultés financières. Cela concerne l’ensemble des services de santé essentiels tout au long de la vie, de la promotion de la santé à la prévention, au traitement, à la réadaptation et aux soins palliatifs. »


Source : infirmiers.com