REPORTAGE

Au CMP Vitruve, des soignants s'activent pour apaiser la souffrance psychique

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Publié le 26/11/2025

Le Centre Médico-Psychologique (CMP) Vitruve, situé dans le 20e arrondissement, accueille des patients adultes en souffrance psychique. Infirmiers, psychologues, psychiatres, assistants sociaux travaillent de concert pour offrir un suivi au plus près de cette population souvent précaire. 

Entrée du CMP Vitruve dans le 20ème arrondissement de Paris

Deux personnes attendent, à 9h15, l'ouverture des portes du Centre Médico-Psychologique Vitruve, petite structure discrète nichée au pied de hautes tours résidentielles du 20e arrondissement. L'établissement, qui dépend du GHU Paris psychiatrie & neurosciences, prend en charge un secteur qui couvre la moitié de l'arrondissement et propose des consultations publiques et entièrement prises en charge d'infirmiers, de psychiatres, de psychologues, d'assistantes sociales, et même de diététiciennes, pour les patients du quartier qui sont en souffrance psychique. «La file active atteint plus de 2100 patients reçus en ambulatoire chaque année», annonce Laëtitia Ricou, cadre de santé, pour une équipe d'une vingtaine de professionnels soignants et du secteur médico-social. Les patients sont des adultes, à l'exception de quelques mineurs accueillis au cas par cas, que le CMP préfère envoyer dans des structures plus adaptées. La crise du Covid a laissé des traces. «On a beaucoup de nouveaux patients», observe Laëtitia Ricou qui avance le chiffre de 10% d'augmentation par an. «Le 20e arrondissement, ce sont les deux extrêmes : des jeunes et des personnes âgés. On constate de plus en plus de jeunes qui viennent taper à la porte pour des crises d'angoisse, ou qui sont très déprimés...» 

Pivot de l'organisation des soins, le Centre Médico-Psychologique est en lien étroit avec l'hôpital et les acteurs de la psychiatrie de secteur, avec un objectif affiché : faire le maximum pour éviter l'hospitalisation. «On est le garant du suivi et du travail autour du projet du patient (projet de soin, de réinsertion, socio-professionnel, etc, réfléchi et discuté en équipe)» résume Bernard Villatte, médecin-psychiatre au CMP Vitruve. La structure, qui s'inscrit dans une vaste filière de soins, héberge également quatre équipes mobiles et propose un accompagnement social alors que la population du 20e arrondissement de Paris connaît des difficultés multiples (financières, de logements,...)

De sentir une réponse cohérente face à la pathologie mentale, qui tend à rendre les choses difficiles à comprendre, fait partie du soin. 

Suivi personnalisé 

Les patients parviennent au CMP de plusieurs manières : soit ils viennent d'eux-mêmes, soit ils y sont orientés après une hospitalisation pour crise psychotique, état maniaque ou dépression..., soit ils sont adressés par un médecin ou par une structure de ville. «Dans les quatre semaines qui suivent la prise de contact, tous les patients sont reçus par une infirmière (le CMP en compte 9) pour un entretien d'accueil et d'orientation», explique Laëtitia Ricou, qui énumère la liste des motifs de consultations. «Nos patients présentent des pathologies chroniques complexes, essentiellement des troubles psychotiques, schizophrénie sous toutes ses formes, troubles bi-polaires, état anxio-dépressifs, addictions, autisme, états limites, troubles de la personnalité et enfin psychiatrie du sujet âgé». 

Structure du secteur public, le CMP se doit d'accepter tout le monde avec, bien souvent, des pathologies lourdes et des prises en charge à long terme, personnalisées autant que possible. «Selon l'état clinique du patient», explique Bernard Villatte, «on peut être amenés à lui donner des consultations plus rapprochées ou bien à rajouter des entretiens infirmiers, à lui proposer par exemple de venir tous les jours pour prendre son traitement sur place si le besoin d'être accompagné se fait sentir». L'établissement travaille depuis peu (moins d'un an) avec un Infirmier en Pratique Avancée (IPA), Etienne Bertrand, spécialisé en addictions et troubles psychiques : «L'IPA complète le suivi médical dans un souci de continuité de soins et de qualité des soins. Il peut même prescrire pour des patients stabilisés. Sa présence dégage du temps médical pour d'autres patients», se réjouit Bernard Villatte qui évoque plus globalement l'importance du travail d'équipe, mais également le lien essentiel avec les autres structures médico-sociales du secteur. «C'est très spécifique à la psychiatrie mais le fait de sentir une réponse cohérente face à la pathologie mentale (qui tend à rendre les choses difficiles à comprendre), fait partie du soin », explique le psychiatre. « L'objectif est de faire en sorte que les patients vivent le plus confortablement possible, sans décompenser. Tout ce travail de réseau contribue à les contenir et les aide à se sentir mieux ». 

Je suis déprimé, angoissé, j'entends des voix...

Dans ce tissu d'acteurs constitué autour du patient, les infirmières ont un rôle particulier à jouer. Certaines personnes arrivent avec des plaintes : «Je suis déprimé(e), angoissé(e), j'entends des voix...» Agathe Bamba et Farida, infirmières, sont chargées de les accueillir. «On s'assure avant tout que les patients fassent partie de notre secteur et on leur demande brièvement le motif de leur venue» précisent-elles. La consultation dure environ une heure. «On collecte tout ce qu'on peut», résume Farida. «De leur enfance à leurs symptômes, en passant par l'histoire de leur maladie, ou l'exploration de l'alimentation, de leur sommeil et du contexte familial...» Des informations cruciales car elles vont servir à orienter les patients. 

Tous les vendredis matins, l'équipe se réunit et les infirmiers font le bilan de tous les patients accueillis et reçus en entretien au cours de la semaine pour décider de la meilleure orientation : un suivi par un psychiatre ou par un psychologue, ou bien une orientation vers une autre structure plus adaptée (les psychologues de l'association EPOC par exemple, qui reçoivent plus rapidement pour des consultations quand le CMP a un délais d'attente de 6 mois). «C'est du cas par cas. On étudie la demande du patient, sa situation sociale, sa situation dans son ensemble et à partir du recueil de données très précis des infirmiers et on oriente», explique Laëtitia Ricou. La décision est collégiale, mais les infirmières ont l'avantage d'avoir rencontré le patient. Leur point de vue est donc important pour les décisions. «Par exemple, il peut nous arriver d'insister pour que le patient soit mis sur liste d'attente d'un psychologue lorsqu'on estime qu'il est vraiment fragile, pour éviter une rupture de soin». Chaque semaine, les infirmières se chargent aussi de recontacter les patients pour leur faire part de l'orientation choisie et pour fixer les rendez-vous.

Certains patients sont ensuite reçus par un psychiatre ou par un psychologue. Jessica Ozenne, psychologue au CMP, propose des psychothérapie d'inspiration psychanalytiques, des psychothérapies par la parole sans durée préétablie, ou encore des psychothérapies de soutien, plus ponctuelles, pour permettre aux patients de traverser un épisode difficile. «On dispose d'une liste d'attente où les médecins ou les infirmiers peuvent inscrire des personnes qui demandent des psychothérapies, et il existe une case à cocher si la demande est urgente», explique-t-elle. Les personnes en situation d'urgence sont reçues dans un délais de deux-trois semaines maximum.

Un travail d'équipe central 

«On réfléchit régulièrement en équipe mais il s'agit davantage alors de tisser ensemble le travail qu'on fait avec les personnes et se mettre d'accord sur nos orientations», souligne Jessica Ozenne. «Au-delà de cela, il peut aussi y avoir un travail pour des cas particuliers, de lien : par exemple, si je reçois en entretien une personne avec une problématique sociale massive, ce n'est pas ma partie mais je peux solliciter un(e) collègue et on peut être amenés à faire bouger des situations de concert». C'est d'ailleurs tout l'intérêt d'une telle structure : de permettre ce travail en équipe sur des situations. 

Les problématiques sociales ne sont pas négligeables, elles sont même centrales pour la plupart des patients reçus ici. Catherine Rodrigues, assistante sociale au CMP Vitruve accompagne les patients en fonction de celles qui émergent. «La première démarche concerne surtout le soin, lorsque les personnes n'ont pas de couverture sociale par exemple». Il faut les aider à ouvrir leurs droits pour des renouvellements de papiers ou à cause des difficultés administratives. «Ici les consultations sont gratuites donc les formalités peuvent se faire en parallèle du suivi», précise Catherine Rodrigues qui se charge également du suivi social : problèmes financiers, problèmes de logements, dettes, demande d'aide alimentaire... «On fait aussi souvent le lien avec les curateurs par exemple ou avec divers services». Lors d'une demande d'orientation vers le travailleur social, l'assistante sociale discute toujours avec le médecin ou l'infirmier avant d'organiser des visites à domicile conjointes : «ou bien avec un infirmier et un assistant social pour évaluer les besoins (pour un syndrome de Diogène par exemple), ou quand la personne ne peut plus se maintenir dans son logement parce qu'elle n'est plus suffisamment autonome. On se concerte alors au sujet de l'orientation la plus adaptée à la personne». Certains patients sont suivis au CMP depuis une vingtaine d'années. «Aujourd'hui, les démarches numériques simplifient les choses pour les personnes qui savent s'en servir, mais avec ce public de personnes âgées, de personnes qui ne maîtrisent pas toujours la langue etc...  Ça peut être très compliqué», note Catherine Rodrigues, qui s'occupe d'une vingtaine de dossiers par semaine.  

CMP Vitruve

Violence verbale 

Chaque jour, deux infirmières présentes le matin administrent les traitements dans deux salles de soins, deux autres infirmières réalisent les entretiens et deux autres encore sont mobilisées dans les Ehpad, ou à domicile. «On fait aussi beaucoup de travail de réseau», note Laëtitia Ricou. La veille, la cadre accompagnée d'une infirmière s'est rendue au centre Plein Ciel, un centre médico-social pour rencontrer les éducateurs qui reçoivent des jeunes entre 18 et 25 ans afin de se présenter et de prendre connaissance de la structure.  

L'exercice infirmier comporte aussi ses difficultés. «En psychiatrie, on est souvent victimes de violences verbales, pendant les soins», explique Agathe Bamba, qui se souvient d'un jour où une personne en colère s'est présentée avec des barres de fer. «Ce genre de cas reste rare heureusement. On a gardé notre sang froid et le patient s'est calmé. Un vigile a été placé au CMP pendant deux jours autour de la date programmée de son prochain rendez-vous ». Parmi les difficultés, les infirmières, qui sont en première ligne, sont aussi confrontées à la saleté ou à l'insalubrité. «Comme on travaille proche du patient et qu'on a souvent des patients SDF, ça peut être délicat. Certains patients apportent aussi des punaises de lit. Dans ce cas, on suit des protocoles pour tout nettoyer». Heureusement, il suffit parfois de quelques échanges pour donner tout son sens au métier : «Un patient âgé un jour s'est mis à pleurer lorsque je lui ai serré la main», raconte Agathe Bamba. «Le fait que vous m'ayez serré la main, vous m'avez considéré, m'a expliqué ce monsieur. Ça m'a touché, je garde cette scène à l'esprit tous les jours. C'est cet aspect humain qui est plaisant. Lorsque le patient vient, l'accueil est très important pour créer un climat de confiance (l'intonation de la voix, le sourire etc). Notre rôle de soignant c'est de permettre ainsi l'alliance thérapeutique». 

Des missions à domicile et en Ehpad 

Les infirmières du CMP peuvent également se rendre à domicile, pour évaluer le contexte du patient, ou pour les patients du CMP qui sont «sous contrainte*». Lorsqu'ils ne respectent pas leur programme de soins, ces patients sont contactés par les équipes du CMP qui évaluent l'éventualité d'une mise en danger (d'eux-même ou d'autrui) et qui peuvent, si besoin, intervenir au domicile, en présence de la police. Ces cas, relativement rares, arrivent environ 4 à 5 fois dans l'année. «On discute avec le patient, quand on arrive à avoir accès au logement, pour tenter de le ramener aux soins. Si on s'aperçoit que son état s'est dégradé, on en parle au médecin et on peut programmer une hospitalisation».

Le CMP a enfin une convention avec deux Ehpad, l'Ehpad Alquier Debrousse, qui compte 330 résidents et l'Ehpad Sara Weill Raynal, plus petit, qui compte 90 résidents. Des infirmières s'y rendent une demi-journée ou une journée tous les 15 jours, et un psychiatre, le docteur Villatte, trois demies journées par mois : les infirmières rencontrent les équipes, font du recueil de données pour les résidents qui auraient des troubles psychiques. De son côté, le médecin réalise de l'analyse de pratique et de la formation des personnels. Le CMP accueille enfin une cinquantaine de DIRP par an : «patient à domicile indéterminé en région parisienne», qui regroupent des voyages pathologiques (un touriste étranger qui viendrait à décompenser), ou des patients sans domicile fixe, attribués à tour de rôle sur les secteurs parisiens. «Ce travail-là n'a rien de routinier», sourit Agathe Bamba, avant d'aller à la rencontre d'un patient qui se présente pour la première fois au CMP. 

 

Les soins psychiatriques sous contrainte concernent les patients dont le consentement est altéré par des troubles mentaux et dont l'état nécessite des soins et une surveillance médicale constante. Ils sont étroitement encadrés par la loi.


Source : infirmiers.com