
Qu’est-ce qui vous a amené à devenir infirmière ?
Je n’y suis pas venu tout de suite. J’ai d’abord opté pour un bac technologique en vue de faire du commerce parce que je n’étais pas assez douée en sciences pour pouvoir envisager un bac général. Je me suis très vite aperçue que cela ne me convenait pas. J’ai malgré tout poursuivi en BTS commercial pour devenir manageuse. J’ai réalisé mon alternance dans une entreprise de pompes funèbres. J’ai été assistante funéraire pendant deux années. C’est à ce moment-là que j’ai mis un pied dans le monde du soin d’une certaine façon. Lorsque j'allais chercher « mes défunts » dans les ehpad ou dans les cliniques, je rentrais dans les services. J'ai commencé à redécouvrir les blouses blanches. Je les connaissais déjà un petit peu parce que, petite, j'ai eu des soucis de santé qui m'ont amenée à être hospitalisée et opérée à plusieurs reprise. Je subissais alors les infirmières plus que je ne les appréciais. Lors de mon alternance, j'ai appris à redécouvrir le soin. M’occuper des défunts m’est apparu comme très humain. Mon empathie s'est vraiment moulée dans cette profession-là. En revanche, mon travail consistait quand même à enrichir un patron et ça ne faisait pas sens pour moi. J’ai donc continué mes études avec l’objectif de tenter les concours d’infirmières. Et ça a marché !
En intervenant dans des cités sensibles, j’ai découvert de nouvelles relations de soins qui me semblaient plus vraies, plus simples, plus faciles.
Votre diplôme en poche, dans quelle direction êtes-vous allée ?
À la sortie de l’IFSI, j'ai intégré le service de soins palliatifs qui m’avait accueilli en stage en dernière année. J'étais quand même très attachée à tout ce qui tournait autour de la mort. Je trouve que c'est un moment de la vie qui est intéressant et j'étais vraiment très attirée par tout ce qui était encadrement du patient en fin de vie. J'ai donc souhaité commencer ma carrière là-dedans. Dans ce service hospitalier, j’ai assez rapidement rencontré mon conjoint et cela a créé une ambiance un peu bizarre dans le service. Je ne m'y retrouvais plus et je suis partie en réadaptation fonctionnelle quelques temps. Puis en hémodialyse où j’ai eu la sensation de devenir un robot qui ne faisait que brancher/débrancher ses patients à des machines. Ça n’avait pas sens pour moi.
L’hôpital a, en plus, commencé à refondre tous les services. La perspective de devoir bouger d’un service à l’autre m’a effrayé. Cela manquait de stabilité à mon goût. J’ai décidé de rompre mon contrat et j’ai intégré une association de soins à domicile. J’intervenais dans des cités sensibles. J’ai découvert de nouvelles relations de soins qui me semblaient plus vraies, plus simples, plus faciles. J’étais cependant toujours salariée d’une entreprise et on ne me laissait pas travailler librement, mettre mes protocoles de soins en place. J’ai alors décidé de revenir à la campagne et d’ouvrir mon propre cabinet, il y a de cela 12 ans maintenant.
Finalement, c’est l’exercice libéral qui vous convient le mieux ?
Oui ce sont des conditions de vie particulières mais je m'y retrouve bien. Il n’y a pas de patron ou de cadre pour me faire revenir sur mes congés. Nous travaillons en alternance avec ma collègue. Deux jours de repos, deux jours de travail, week-end inclus. Au total, cela fait 15 jours de travail par mois. Cela équivaut à un 80 % auquel il faut ajouter les heures passées sur la partie administrative.
Je vois autour de 25 patients par jour, ce qui n’est pas énorme comparé à ce que je faisais lorsque j’étais en cité. Je suis à la campagne dans une petite commune de 2000 habitants avec en plus une centaine de lieux-ditx.
Ce qui me motive au quotidien, c’est de rendre service, d’être là pour les autres.
Vous avez confié dans une précédente interview être devenue « addict » au fait d’être utile à l'autre…
Alors ça j'en suis un peu revenue (rires…). Effectivement, j'ai un travail qui est utile. Je ne suis pas là pour faire fonctionner une grosse boîte, mais pour accompagner des humains dans des moments où ils en ont besoin. Aujourd’hui, je fais une différence entre se sentir utile et se sentir nécessaire. Je crois que nous, les infirmières, « souffrons » toutes un peu du syndrome de la sauveuse et nous y perdons un peu. Je pense à des patients que j’ai voulu aider et qui ne le voulaient pas. Ils étaient dans le refus de soins et je n’arrivais pas à l'accepter, ça a été difficile. Je pense tout particulièrement à un patient qui s’est suicidé. J’ai fini par comprendre, en prenant du recul, qu’on ne peut pas aider quelqu'un qui ne le souhaite pas. Donc utile oui mais je ne me sens pas nécessaire pour autant. Ce qui me motive au quotidien, c’est de rendre service, d’être là pour les autres.
Avez-vous en tête des patients avec lesquels la relation est particulièrement forte ?
J’apprécie lorsque je sens que les gens s’ouvrent et font confiance. Il n’y a pas de mensonges. Ils sont tels qu’ils sont. Parfois j’ai affaire à des caractères un peu bruts mais j’aime bien. Je ne sais pas si c'est le fait d’exercer à la campagne mais je les trouve simples dans le bon sens du terme.
Et puis, je pense forcément aux fins de vie parce que ce sont des moments particuliers où l’on touche à quelque chose de sacré. On met de côté le soin actif, le fait de faire des pansements, de poser des perfusions, etc. On est projeté dans une autre dimension du soin.
Comment appréhendez-vous les situations de fin de vie ?
Ce n'est pas facile surtout que l'on n'est pas très bien formés aux soins palliatifs à l'école. En tout cas, à mon époque. J’ai appris sur le tas. Chaque patient est différent et aura sa propre façon d’accepter la mort ou non… J'ai un patient qui est décédé il y a peu. Cela faisait deux ans qu'il luttait contre un cancer. Il a été très au clair sur le fait qu’il n’en guérirait pas et nous avons pu parler de sédation profonde. Nos discussions ont été très fortes dès le départ mais ce n’est pas le cas avec tous les patients.
J’ai toujours beaucoup écrit. J’ai fini par me dire que cela pouvait intéresser d'autres collègues, qui travaillent seuls, comme moi.
Vous avez publié deux ouvrages, crée un compte Instagram. Quels messages voulez-vous faire passer ?
Lorsque je me suis installée en libéral il y a 12 ans, même si je travaillais en alternance avec ma collègue, je me suis sentie assez seule. Le meilleur moyen que j'ai trouvé pour prendre du recul sur les situations de soin, a été d'écrire. J’ai toujours beaucoup écrit. J’ai fini par me dire que cela pouvait intéresser d'autres collègues, qui travaillent seuls, comme moi. Je trouve que les médias se concentrent surtout sur les infirmiers travaillant aux urgences, en réanimation, etc. On voit assez peu les libéraux alors que nous sommes nombreux dans la profession. Nous vivons des situations de soin qui sont intéressantes et qui méritent d'être mises en lumière
En bref, j’ai voulu partager mon ressenti, mes émotions, mes doutes, etc. Et puis c’est aussi une manière de rendre hommage à ces patients que je croise et qui partent.
Bio express
- 2004 : bac technologique
- 2006 : BTS commercial
- 2007 : entrée à l’IFSI
- 2010 : diplômée de l’IFSI
- 2013 : ouverture du cabinet en libéral
- Ouvrages parus :
On ne nait pas infirmière ! éd. Autrement (2017), 288 p., 18 €.
Bonjour, c’est l’infirmière ! éd. Flammarion (2019), 256 p., 16 €.
- Compte Instagram : @cestlinfirmiere
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