Qu'est-ce que la nouvelle loi infirmière a acté pour la pratique avancée ?
Julie Devictor :
Deux éléments majeurs sont à noter avec le vote de cette loi. D'abord, une ouverture de nouveaux lieux d'exercice des IPA en lien avec la prise en charge de l'enfant, les PMI, l'aide sociale à l'enfance et puis la santé scolaire.
Le deuxième point extrêmement important est la remise d'un rapport dans les six mois après l'adoption de la loi, portant sur l'évolution éventuelle des mentions actuelles, ce qui nous semble important parce qu'elles doivent évoluer. Aujourd'hui, il y a un certain nombre de champs médicaux ou de spécialités médicales qui se sentent exclus du cadre juridique actuel, tout comme un certain nombre d'infirmiers experts. Je pense notamment aux infirmiers travaillant en soins palliatifs ou dans le domaine des plaies et cicatrisations. Mais le fait de multiplier ces nouvelles mentions risque de morceler finalement les parcours de soins et la prise en charge globale de l'IPA. C'est pourquoi nous pensons qu'il faudrait élargir les mentions actuelles avec davantage de transversalité dans l'exercice de l'IPA et avec une approche populationnelle et pas spécifique à des pathologies listées.
Perrine Boursin :
On compte maintenant depuis 6 ans la mise en place de la pratique avancée et c'est vraiment très bien que ce soit dans le texte de loi. Parce qu'en regardant dans le rétroviseur, on peut voir comment des réalisations concrètes en pratique avancée ont participé à améliorer certains parcours de soins et aussi à quel point c'est un manque dans les parcours de soins où elle n'est pas mise en place. C'est donc très bien d'élargir les lieux d'exercice des IPA. Cela permet à un plus grand nombre de patients de bénéficier d'un suivi ou d'un co-suivi par des IPA, sachant que l'on travaille en collaboration étroite avec les médecins, en équipe, autour du patient et de ses proches, ce qui est une plus-value.
Est-ce que selon vous cette montée en compétences va favoriser le partage de nouveaux savoirs et de la recherche, notamment avec l'universitarisation de la profession?
Julie Devictor :
C'est censé effectivement aller dans ce sens-là. Aujourd'hui il y a un obstacle quand même majeur à l'universitarisation des formations infirmières, c'est qu'il y a encore beaucoup trop peu d'enseignants-chercheurs issus de la profession infirmière ou de la discipline de sciences infirmières.
Et l'un des obstacles au développement de ces nouveaux rôles, c'est qu'il n'existe pas actuellement de statut dit bi-appartenant et qui permettrait à des infirmiers titulaires d'un doctorat de postuler à des postes de maîtres de conférences tout en maintenant leur activité clinique, que ce soit en ville d'ailleurs, avec un statut de salariat ou libéral, ou à l'hôpital. Alors que cela existe pour les médecins. Moi j'ai fait ce choix de devenir maîtresse de conférences à l'université Paris Cité, mais j'ai beaucoup hésité justement parce que je devais renoncer à mon activité clinique.
J'ai réussi à négocier avec le directeur général de l'AP-HP de conserver une journée d'activité clinique par semaine, et j'en suis ravie mais c'est une situation privilégiée. Je pense que c'est important de pouvoir conserver, si on le souhaite, un pied dans la clinique et de pouvoir mener trois missions finalement qui s'entremêlent entre elles : la mission clinique, d'enseignement et de recherche.
Perrine Boursin :
C'est vrai qu'on avance sur cette universitarisation de la profession infirmière. On avance et en même temps on voudrait avancer plus vite parce que c'est quand même fantastique de pouvoir enfin accéder ainsi à une démarche scientifique dans l'exercice de notre profession. Mais c'est vrai que pour l'instant on est encore sur quelque chose d'un peu boiteux. On sait très bien, en tant qu'infirmiers qui sommes dans une démarche scientifique, à quel point l'un et l'autre se nourrissent.
Aujourd'hui le débat se pose aussi autour de la primo-prescription. Qu'en est-il et quelles sont vos positions?
Julie Devictor :
La primo-prescription a été actée dans le cadre de la loi RIST votée en mai 2023 mais, pour qu'elle s'applique intégralement, il a fallu attendre l'apparition des textes réglementaires, donc d'un premier décret extrêmement important pour la profession IPA qui est paru le 20 janvier 2025 et qui fixe l'organisation de l'accès direct aux IPA.
Maintenant reste effectivement la possibilité pour les IPA d'initier des prescriptions médicales alors que jusqu'à présent, en schématisant un petit peu les choses, elles ne pouvaient que renouveler ou adapter des prescriptions médicales. On est actuellement toujours dans l'attente d'un texte réglementaire qui doit fixer cette liste de primo-prescriptions. On a beaucoup travaillé sur le sujet en concertation avec les organisations représentatives des médecins et on en est venus à faire des propositions à la fois communes pour l'ensemble des mentions mais aussi spécifiques pour certaines. En ce qui concerne le suivi d'un patient dont la pathologie a déjà été diagnostiquée, l'IPA pourra introduire des prescriptions pour optimiser le traitement. Mais nous proposons qu'il y ait aussi cette possibilité de prescription par l'infirmier pour certains patients n'ayant pas bénéficié d'un diagnostic médical. Dans ces cas particuliers, l'IPA pourrait réaliser le diagnostic et initier une prescription médicale. Par exemple, dans le cas d'une hypertension artérielle de grade 1, un diabète de type 2. Ce sont des diagnostics possibles sur la base de mesures biologiques, donc réalisables par des non-médecins. Mais tout cela, bien sûr, en collaboration étroite avec un médecin traitant qui resterait le coordonnateur du parcours de soins du patient.
Perrine Boursin :
En tant qu'IPA, on est bien conscients de ce qu'on sait faire et de ce qu'on ne sait pas faire, on ne se prend pas pour des médecins ! Il y a quelque chose autour de la confiance aussi qui est à gagner. Pourtant on est des bac+5, ce n'est quand même pas n'importe quoi !
Est-ce qu'il y a toujours un engouement des étudiants pour la pratique avancée? Où en est-on du nombre d'IPA formés?
Julie Devictor :
Oui, les universités font le plein, il y a environ 700 nouveaux diplômés par an. Par exemple, à l'université Paris Cité, on a beaucoup plus de candidatures que de personnes retenues pour suivre cette formation. Mais il y a un certain nombre d'obstacles à surmonter pour se lancer en formation IPA, notamment pour les infirmières libérales, car c'est une formation exigeante et qui ne permet pas de continuer son activité clinique normale en parallèle. Même si un certain nombre d'aides sont mises en œuvre, cela ne suffit pas. Si on veut que cette filière continue d'être attractive, il va falloir trouver des solutions pour que les infirmiers et infirmières puissent se libérer les deux années nécessaires pour se former en tant qu'IPA.
Quelles sont maintenant les principales attentes des IPA?
Julie Devictor :
Il y en a deux prioritaires. Tout d'abord, avancer sur cette histoire de mentions qu'il va falloir vraiment repenser rapidement. Encore une fois, je pense que les IPA ont un intérêt majeur, notamment dans les parcours complexes, dans les situations complexes de patients et qui pourraient vraiment venir renforcer un suivi. Je pense par exemple à des patients avec une maladie rare. On ne va pas demander aux IPA d'être spécialistes de la maladie en question, mais ces patients-là ont un parcours de soins qui est complexe, parce que multipathologiques, multisuivis en soins primaires. Je pense aux patients qui sont greffés, je pense à beaucoup de parcours qui sont quand même assez exclus pour le moment du cadre juridique de la pratique avancée. Et puis l'autre sujet, c’est la formation. Si on augmente les responsabilités des IPA et les activités-missions des IPA, obligatoirement il faut aussi repenser le champ de la formation. On sait aujourd'hui qu'elle est assez hétérogène sur le territoire en France et on ne va pas se mentir, c'est un problème.
Perrine Boursin :
Le dernier point reste notre revalorisation financière, parce qu'on monte en compétences, on apporte du plus au système de santé et derrière ça veut dire aussi que c'est beaucoup d'engagement.
Julie Devictor :
En termes de valorisation financière à l'hôpital, il y a une différence salariale maximale d'environ 50 euros par mois entre une IDE et une IPA, ce qui est quand même assez peu en regard de la formation suivie et des responsabilités étendues. Donc ça, à un moment, ça va bloquer ? Et côté libéral, cela reste aussi encore compliqué. Parce que tout le parcours en accès direct pour l'instant n'est pas valorisé, c'est-à-dire que seuls les patients orientés par un médecin signataire d'un protocole d'organisation peuvent faire l'objet d'une valorisation financière en termes d'activité de l'IPA. Donc normalement, il va y avoir un nouveau chantier, une nouvelle ouverture des discussions sur la convention nationale infirmière version 3 concernant les IPA, très prochainement, on espère.
*Propos recueillis lors du salon Infirmier, le 27 mars 2025, alors que la loi infirmière n'avait pas encore été votée au Sénat.
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