Il « dévoie la représentativité », tacle la Fédération nationale des infirmiers (FNI) ; c’est un « transfert de pouvoir inédit et dangereux », s’insurge le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) ; la mesure est « profondément dangereuse pour l'architecture conventionnelle », critique l’Union nationale des professions de santé (UNPS). Les Libéraux de santé (LDS)* vont jusqu’à le qualifier d’« agression politique et conventionnelle ». La cible de cette levée de bouclier unanime : un sous-amendement, intégré après l’Article 21 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2026 (PLFSS 2026), qui propose de confier les négociations des accords conventionnels interprofessionnels dans les Maisons de santé pluriprofessionnelles (ACI MSP) aux seules « organisations reconnues représentatives de ces structures au niveau national ». Ce qui exclurait de facto les syndicats professionnels. Déposé par le groupe Écologiste et social et rédigé avec le soutien d’AVECsanté, une association gestionnaire qui s’est notamment donnée pour mission de développer l’exercice coordonné en équipe pluriprofessionnelle via les MSP, le texte a été examiné le dimanche 9 novembre et adopté.
Un glissement vers "une logique organisationnelle"
Pour les syndicats des professionnels libéraux, il met en danger la légitimité conventionnelle et, surtout, il risque d’abîmer leur relation avec l’Assurance maladie. « En excluant les syndicats mandatés par les professionnels de santé, ce dispositif opère un glissement dangereux : il remplace la représentativité professionnelle, légitime et reconnue, par une logique organisationnelle portée par des structures qui n’ont pas vocation à parler au nom des praticiens qui y exercent », relève ainsi la FNI. Le Sniil craint ainsi un déplacement qui s’opèrerait vers les organisations gestionnaires, telles qu’AVECsanté justement, dont les voix lors des négociations primeraient alors sur celles des professionnels. Cette mesure traduit une méconnaissance du paysage conventionnel, s’agacent conjointement la FNI et les LDS, ces derniers y voyant également « l’ambition malsaine d’AvecSanté d’entretenir une confusion entre représentation syndicale et associations de modèles organisationnels ».
Pour le Sniil, la mesure est la conséquence d’un échec collectif : celui des organisations syndicales qui ont choisi de se désengager des négociations, ouvrant ainsi « la voie à la prise de contrôle du dialogue conventionnel par les gestionnaires de structures ». S’il ne les nomme pas, le syndicat d’infirmiers libéraux a certainement en tête les organisations de médecins, MG France et la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), qui ont quitté la table des échanges en juillet dernier après qu’a été décidé un report de 6 mois des revalorisations tarifaires au sein des MSP. « Ce désengagement a fragilisé l’équilibre interprofessionnel et offert un prétexte législatif à ceux qui veulent éloigner les professionnels des décisions qui les concernent », accuse le Sniil.
Plusieurs réformes qui mettent à mal le processus de négociation
La pilule a d’autant plus de mal à passer qu’elle n’arrive pas seule. Les Articles 24 et 25 du PLFSS 2026 menacent également l’équilibre des négociations en accordant à l’Assurance maladie un pouvoir « unilatéral » pour modifier les tarifs. Pensé notamment pour limiter le taux de rentabilité des établissements de radiothérapie, évalué à 21% par l’Assurance maladie, « ce dispositif ouvre la voie à ce que toutes les professions de santé conventionnées soient exposées à terme à des baisses de tarifs administratives, vidant les conventions de leur substance », pointent les LDS. S’y ajoutent les modalités de négociations conventionnelles autour de l’instauration du Réseau France Santé voulu par le Premier ministre, Sébastien Lecornu, dont la mise en place s’effectuerait par simple arrêté. Selon l’article du PLFSS 2026 qui acte sa création, Assurance maladie et représentants ne disposeront que deux mois pour parvenir à un accord. En cas d’échec, les tarifs seront fixés unilatéralement par le ou la ministre de la Santé. De quoi rendre ces négociations « factices », s’irritait la FNI début novembre.
« Ces réformes, en apparence techniques, révèlent une volonté claire de modifier en profondeur les règles de la négociation conventionnelle en limitant le rôle des organisations représentatives de professionnels de santé dans la définition des politiques de santé », dénonce de son côté l’UNPS, qui prévient que les soignants sur le terrain seront les premiers pénalisés par ces choix. « Ces décisions politiques vont à rebours de toute logique de concertation renforcée et de reconnaissance du rôle des syndicats », achève-t-elle.
Les syndicats réclament ainsi la suppression du sous-amendement sur les ACI MSP et la restauration à la fois du dialogue conventionnel et de la place que les organisations professionnelles y occupent, les LSD et la FNI refusant également la création du label France Santé par arrêté.
*Les Libéraux de santé regroupent les 10 principaux syndicats représentatifs de professionnels de santé libéraux : les CDF, la CSMF, la FFMKR, la FNI, la FNO, la FNP, la FSPF, le SDA, le SDBIO et le SNAO.