Imaginez un monde où les infirmiers en psychiatrie seraient dotés de super compétences : prescrire des examens biologiques, ajuster des dosages et réaliser bien d’autres actes médicaux habituellement réservés aux psychiatres. Science-fiction ? Pas du tout ! C’est une réalité rendue possible par la pratique avancée mais également par les protocoles de coopération infirmiers. Alors que la psychiatrie s'érige en grande cause nationale, devons-nous saluer et encourager ces nouvelles pratiques ou s’alarmer de la montée en compétence des infirmiers ?
Mais d'abord : c’est quoi un protocole de coopération ?
Instaurés par la loi HPST (Hôpital, Patients, Santé et Territoires) de 2009, les protocoles de coopération permettent aux infirmiers de réaliser, sous conditions strictes, des actes médicaux délégués par un médecin référent qui en conserve la responsabilité.
En psychiatrie, cela peut inclure l’ajustement de certains traitements, l’évaluation clinique avancée, voire la prescription de bilans biologiques.
Un système de gradation des troubles le STRAP* classe les patients en 5 niveaux d’intensité, définissant le professionnel en charge de la prescription :
● Niveau 1-2 : urgence psychiatrique → médecins,
● Niveau 3 : troubles modérés → infirmiers en pratique avancée (IPA),
● Niveau 4-5 : troubles stabilisés → infirmiers sous protocole (IDEp).
Pour ceux qui souhaitent en savoir plus, je vous encourage à découvrir les projets menés au CH Le Vinatier (Lyon) et portés par le cadre supérieur responsable de l’innovation Brian Levoivenel.
*Le STRAP (Système de Typologie et de Répartition de l’Activité en Psychiatrie) est un outil conçu pour classer les patients en fonction de la sévérité et de la complexité de leurs troubles.
Opportunité : vers une psychiatrie plus réactive et plus humaine ?
Si l’on en croit les partisans de ces protocoles, ils offrent des avantages non négligeables :
● Une meilleure réactivité : en psychiatrie, le temps d’attente pour une consultation médicale peut être très long. Permettre aux infirmiers d’ajuster certains traitements ou d’initier des examens permet de gagner un temps médical précieux.
● Une meilleure prophylaxie : les infirmiers, au contact quotidien des patients et disposant de plus de temps clinique que les médecins, sont bien placés pour détecter les premiers signes de décompensation ou pour prévenir les rechutes.
● Une valorisation du rôle infirmier : les infirmiers qui acceptent des responsabilités supplémentaires peuvent après validation d’une formation, prétendre à une prime.
L'objectif est d'optimiser l’organisation des soins en psychiatrie en affectant les ressources adaptées
aux besoins des patients.
Danger : une dérive vers une médecine low-cost ?
Les sceptiques, eux, tirent la sonnette d’alarme :
● Une délégation qui cache un manque de moyens ? Certains y voient une manière insidieuse de pallier la pénurie de psychiatres et de réduire les coûts en personnel.
● Une interrogation sur les compétences des infirmiers : n’est-ce pas risqué de déléguer des actes médicaux à des IDE?
Et les IPA dans tout ça ?
Du côté des Infirmiers en Pratique Avancée (IPA), l’arrivée des protocoles de coopération suscite des appréhensions. Et nous pouvons le comprendre car après deux années d’études et de laborieux efforts pour enfin obtenir une reconnaissance professionnelle, voici que de nouveaux infirmiers peuvent, eux aussi, accéder à des délégations d’actes médicaux en 35h de formation !!!
Les principales craintes exprimées sont :
● Une dilution des compétences : à trop élargir les missions des infirmiers sous protocole, ne risque-t-on pas d'invisibiliser les pratiques avancées ?
● Un risque de perte d’identité professionnelle : si des actes IPA deviennent accessibles aux IDE, quid de la reconnaissance et de la valorisation du métier ?
● Une injustice salariale : les IPA sont peu valorisés financièrement alors que les infirmiers sous protocole peuvent prétendre à une prime de 100 euros brut. D’où un sentiment de déclassement qui incite à considérer l’autre comme une menace.
A ce sujet, il y a plus d’une vingtaine d'années lorsque j’étais infirmier en unité d’entrée il n’y avait pas d’aide-soignant dans mon équipe. A l’époque les infirmiers considéraient le nursing en psychiatrie comme un soins techniques nécessitant des compétences IDE…
Puis avec l’application de la loi des 35h, les aides-soignants se sont imposés, le plus souvent, dans la douleur. Ces dernières années, l’implantation des pairs aidants a également fait polémique chez les soignants comme l’implantation des IPA a fait polémique chez les cadres et comme l’implantation des infirmiers sous protocoles de coopération fait aujourd'hui polémique chez les IPA.
Bref, l’histoire se répète mais qui peut sérieusement me dire que les aides-soignants, les pairs aidants ou les IPA n’ont pas enrichi l’offre de soin et la satisfaction des usagers ? Et surtout chaque acteur ne bénéficie-t-il pas comme les usagers de la montée en compétences des autres ?
De réelles perspectives d'évolution de carrière
De plus, les différentes formations permettant la mise en œuvre des délégations d’actes sont toujours validées par des experts médicaux. Et le meilleur moyen de dissiper les craintes, c’est de regarder objectivement le champ de compétences. Et pour ce qui est de celles des infirmiers sous protocole de coopération, on comprend en étudiant le système de typologie et de répartition de l’activité en psychiatrie qu’elles sont bien complémentaires à celles des IPA.
Enfin, pour relever le défi de continuer à attirer et surtout retenir les talents à l'hôpital, nous allons connaître encore d’autres mutations de nos parcours de professionnalisation. Ces changements à venir, s'ils peuvent parfois être sources d’interrogation et d'inquiétude, doivent surtout nous permettre de faciliter les mobilités entre les métiers et donner de réelles perspectives d’évolution de carrière aux professionnels de santé.
Il est urgent de revaloriser le statut des IPA sur la grille indiciaire et le positionnement hiérarchique des cadres, et urgent aussi de créer un statut d’IPA supérieur aligné sur la grille indiciaire des cadres supérieurs.
La pratique infirmière sous protocole de coopération doit ainsi être envisagée comme un tremplin vers la pratique avancée et non comme une activité concurrente. Mais pour ce faire, il est urgent de revaloriser le statut des IPA sur la grille indiciaire et le positionnement hiérarchique des cadres, et urgent aussi de créer un statut d’IPA supérieur aligné sur la grille indiciaire des cadres supérieurs afin de valoriser le leadership clinique autant que le management dans nos établissements de santé.
Et peut-être que la bonne question à se poser n’est pas forcément de savoir si c’est bien ou mal qu’un aide-soignant soit autorisé à prendre une tension, qu’un infirmier puisse renouveler une prescription ou qu’un IPA puisse réaliser des primo prescriptions ? En effet, quand on sait que la prévalence des troubles mentaux ne cesse d’augmenter depuis la crise COVID et qu’à ce jour c’est plus de dix millions de personnes qui nécessitent des soins psychiques en France, ne devrions nous pas, alors, en priorité, nous demander : est-ce que les différents acteurs qui vont prochainement s’occuper de ma santé mentale ou de celle d’un de mes proches ont le niveau de qualification requis pour assurer les nouvelles missions qui leur sont confiées ?
Souhaitons donc que 2025 soit l’année d’un investissement important dans les formations paramédicales qu’elles soient initiales ou spécialisées et que le décret du 20 janvier 2025 soit suivi d’arrêtés ambitieux conformément à l’esprit de la loi pour accorder toujours plus d’autonomie aux IPA afin de mieux répondre aux besoins de santé et aux impératifs de qualité, de sécurité des soins et de satisfaction des usagers.
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