SOCIOLOGIE

L'expertise soignante, qu'est-ce que c'est?

Publié le 29/04/2025

L’expertise soignante se caractérise par un haut niveau de compétences techniques éprouvées enrichies d’aptitudes sociales et relationnelles. Petit tour d’horizon de la littérature scientifique pour cerner ce concept souvent galvaudé.

Expert soignant

La littérature sociologique (Stampnitzky, 2013) consacrée au concept «expertise» relève souvent l’importance des processus d’institutionnalisation comme producteurs de savoirs, notamment dans le champ de la santé.

L’expertise, un éclairage dispensé par un acteur auquel on reconnaît une compétence particulière

Dans son article «Expert, État et théorie des champs», l’auteur précise qu’au fil des années, l’expertise dans cette institutionnalisation a pris de l’ampleur. Il prend comme exemples les champs de la médecine, de la science, du droit, de l’économie et de la gestion. Les travaux consacrés à l’expertise et aux professions ont souvent présumé que la clé du pouvoir des experts se trouvait dans une structure professionnelle aux contours bien définis (Stampnitzky, 2013).

Dans le même cas de figure, Lucie Tanguy, dans son article Le sociologue et l’expert (1995), nous apprend que le concept d’expertise «désigne une pratique qui consiste à demander à une personne ou des personnes singulières d’examiner une situation qui fait problème, afin d’éclairer un débat, voire une orientation politique». Certes, nous ne sommes plus dans le champ de la santé, mais nous pouvons néanmoins considérer la signification de cette approche. Elle démontre que l’expertise reste un domaine d’éclairage d’un fait par celui-là à qui on reconnaît des compétences. Il convient de rappeler que l’expertise dont il est question ici est une expertise clinique, diagnostique ou thérapeutique. Il s’agit en un mot de la connaissance et une bonne expérience du terrain.

Les décisions adaptées à la situation prises par le soignant expert

Nous avons pu observer que ce concept varie en fonction des auteurs et des courants de pensée. D’après les travaux de Resnick, (1984), l’expertise est considérée comme étant « le prolongement de la compétence ». D’après la même source, c’est Benner (1995) qui va adapter cette théorie aux soins infirmiers. Un professionnel qui est doté d’une expertise en soins «aurait engrangé suffisamment de situations pour les appréhender de façon synthétique, en avoir une reconnaissance intuitive, se centrer rapidement sur les aspects importants de la situation, sans formuler d’hypothèse non productive et prendre immédiatement des décisions adaptées, avec marges d’erreur infime».

Dans le cas du professionnel infirmier, Patricia Benner (stade 5 du dernier niveau du modèle de Dreyfus qui comprend les différents stades de la compétence : novice, débutant, compétent, performant et expert) ajoute : «L’infirmière experte ne s’appuie plus sur un principe analytique pour passer du stade de la compréhension de la situation à l’acte approprié. L’experte qui a une énorme expérience comprend à présent de manière intuitive et appréhende directement le problème, sans se perdre dans un large éventail de solutions ou de diagnostics».

Un investissement au-delà de la compétence

Cela montre bien que l’expérience est utile et nécessaire à l’expertise. Pour ces auteurs, «l’expert fonctionne cognitivement sur un mode synthétique». D’autres comme Anne-Claire Macquet et Philippe Fleurance (2006) pensent que «l’expert apparaît comme une source d’information pour connaître les éléments constitutifs des modes d’adaptation efficaces et singuliers».

Un autre courant de pensée est basé sur la théorie d’Ericsson (1993). «L’expertise ne dépend pas tant de l’expérience en elle-même, que de l’effort permettant de dépasser les compétences acquises, pour aller au-delà». En d’autres termes, «l’expert se nourrit d’un esprit critique et d’une motivation à l’origine de l’effort engagé, de façon à aller plus loin que la compétence», c’est «avoir des capacités à réaliser des performances exceptionnelles» dans un domaine identifié. «Souvent l’experte pressent les problèmes et c’est à partir de ces indices peu révélateurs pour ses collègues moins expérimentés qu’elle note l’imminence d’une complication». Du point de vue de la psychologie, nous pourrons dire que l’expert a une résolution des problèmes qui se rapporte à l’intuition.

Les quatre axes qui déterminent son action dans l’organisation

Par ailleurs, ces auteurs pensent aussi que la compétence n’explique pas tout. Un expert doit surtout anticiper, avoir un esprit d’ouverture et doit formaliser des pratiques. «L’expertise est apparue comme une hyper adaptation à la tâche» (Macquet et Fleurance, 2006). Il a la responsabilité de promouvoir et d’accompagner le changement afin d’assurer le transfert des savoirs pour dynamiser et faire progresser son équipe.

Nous pouvons ainsi définir l’expert selon les quatre axes qui déterminent son action au sein de l’organisation (Roy et Verne Rey, 2014). D’abord de «son pouvoir» : «donné par les "autres", il est reconnu en tant que sachant ». Ensuite, de « ses orientations » dans son action : «il est tourné vers le passé et le présent». Il occupe bien la temporalité. Il «se réfère à ses expériences et connaissances techniques acquises » et accorde d’abord plus d’importance au "détail", à "la précision" et "privilégie le diagnostic de l’existant". Puis, à "ce qu’il est" ».

L’expertise soignante, un haut niveau de compétences techniques éprouvées enrichies d’aptitudes sociales et relationnelles

L’expert doit avoir enfin le sens d’une «approche relationnelle dans son domaine» pour faciliter la communication dans son entourage. Il se caractérise par «ce qu’il fait». L’expert conseille, «donne son avis» et «agit dans le cadre» réglementaire. Son éclairage apporte une aide considérable dans la prise de décision tant au niveau de son périmètre qu’au niveau transversal.

On dira en conclusion que l’expertise soignante consiste à avoir une expérience, suffisamment longue dans la durée, qui justifie d’avoir une compétence spécifique dans le métier de soin au sens large. C’est en d’autres termes, témoigner d’un haut niveau de compétences techniques, en tenant compte de l’aspect social de la prise en charge du patient.

Dr Paul Mekann Bouv-Hez

Source : infirmiers.com