RECHERCHE

Quand le son devient un outil pour le soin

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Publié le 31/03/2025

Limiter les crises d'anxiété chez des patients hospitalisés en psychiatrie, ou aider à la rééducation des patients victimes d'AVC grâce au son, autant de recherches qui intéressent de près le monde de la santé. Trois questions à Coralie Vincent, ingénieure en développement d'expérimentation pour l'axe Son/Musique et Santé au sein du laboratoire Sciences et Technologies de la Musique et du Son.

Ircam

Le dispositif CoMo-Rééducation

L’axe Son/Musique et Santé du laboratoire STMS a organisé fin décembre une première journée annuelle autour de ses projets de recherche. Cet axe regroupe les actions du laboratoire qui s'intéressent au son pour la prévention et la promotion de la santé et du mieux-être, pour les interventions dans la prise en charge du patient, et aux mécanismes de la perception de la musique et du son chez l’homme. Cette journée proposait ainsi la présentation de cinq projets présentés en tandem, formés par un chercheur dans le domaine de la santé et un chercheur dans le domaine du traitement du signal, informatique et musique, autour de différents thèmes : de la phonation, de la rééducation, du traitement des acouphènes, de la prise en charge des situations de crises des patients psychiatriques en milieu clinique ou encore des troubles dégénératifs chez la personne âgée.

Coralie Vincent, ingénieure en développement d'expérimentation pour l'axe Son/Musique et Santé au sein du laboratoire Sciences et Technologies de la Musique et du Son, revient pour nous sur deux de ces projets, sur lesquels elle travaille actuellement. 

Pourriez-vous nous parler du projet «Psyson» ? 

Il s'agit d'un projet de recherche à la croisée de la clinique, des technologies pour la musique et le son, et du design. Pour éviter la montée en puissance des crises d'anxiété chez des patients hospitalisés en psychiatrie, des designers et des chercheurs ont imaginé un dispositif d'enveloppe (matérielle et immatérielle) qui permet de prendre en charge la crise grâce à la fois au son et à un fauteuil spécialement imaginé pour l'occasion. Le soignant a une tablette entre les mains et c'est lui qui mène la séance.

Une enveloppe sonore très apaisante permet d'envelopper le patient. Installé sur un fauteuil spécialement conçu pour le moment, qui comporte un élément vibrant au niveau de la colonne vertébrale, celui-ci peut écouter une série de moreaux sélectionnés à l'avance, qui doivent l'aider à se détendre. Il s'agit d'un dispositif relativement englobant, avec des enceintes placées assez proches des oreilles mais pas complètement, afin que l'équipe soignante puisse garder la communication avec le patient. Le dispositif, intégré à un programme de soins infirmiers et adapté individuellement aux patients, associe l’IRCAM (L’Institut de recherche et coordination acoustique/musique, un centre français de recherche scientifique, d'innovation technologique et de création musicale), le GHU Paris (Le groupe hospitalier universitaire Paris psychiatrie & neurosciences) et l'Ensci Les Ateliers, une école de création industrielle associée au Centre de Recherche en Design ENS Paris Saclay. 

le dispositif Psyson

De quoi êtes-vous partie ?

Lorsque je suis arrivée, le projet était déjà bien avancé, le siège était déjà conçu, mais j'ai pu contribuer à la partie informatique du dispositif, à savoir la création d'une application qui permet d'avoir accès à un grand nombre de morceaux de musique. Une autre partie importante du projet pour nous consistait en un entretien musico-soignant, afin de déterminer avec le patient les musiques que ce dernier souhaite écouter pour se mettre en situation d'apaisement lors d'une éventuelle crise d'anxiété. Pour pouvoir être efficace pendant cette partie de l'entretien, il fallait pouvoir répondre assez rapidement aux demandes grâce à un accès facilité à un choix musical très vaste. Nous avons donc travaillé sur une interface qui permette d'interagir de manière un peu plus fine que sur une simple application. Des options permettent ainsi d'être guidé dans ses choix, de choisir des morceaux plus rythmés ou instrumentaux en fonction des demandes du patient. L'interface, encore en développement, permettra à terme de faciliter grandement la recherche pour obtenir une playlist sur mesure. 

A ce stade, des patients experts et un cadre se sont prêtés à une première expérimentation autour de ce projet, destiné ensuite à être déployé dans 6 unités d'hospitalisation d'Ile-de-France. Les premiers retours ont été très positifs, très enthousiastes. Les patients experts ont aussi pu faire part de ce qui pouvait être amélioré et valider ce qui leur semblait efficace.

Vous êtes également en train de travailler sur un dispositif sonore pour accompagner les patients victimes d'AVC dans la rééducation. Pourriez-vous nous en dire plus ?  

Ces patients, qui ont par exemple du mal à mobiliser un bras, vont être aidés par le son associé au mouvement, qui va de fait créer une certaine forme de motivation. Ce dispositif a plusieurs avantages : un exercice qui va paraître très long quand on le fait en silence devient plus facile à réaliser à partir du moment où le geste est accompagné d'un son ; et le son peut aussi aider à rétablir une posture : lorsque le bras baisse, le son change légèrement et aide ainsi le patient à repérer le changement, et à corriger son geste. 

Dans le cadre de sa thèse, Iseline Peyre a ainsi développé des exercices spécifiques pour lesquels la sonification de mouvements pourrait permettre soit d’améliorer ou d’étendre le schéma corporel, soit de faciliter l'initiation du mouvement et l'exploration spatiale. A partir de trois types d'exercices qui correspondent à des besoins très spécifiques  : garder une posture statique, passer d'une posture à une autre (avec un mouvement) et enfin un exercice conçu autour d'une sorte de jeu de memory dans lequel le patient doit reproduire des séquences sonores, le son devient un outil au service de la rééducation. A ce stade, des essais ont été organisés avec des thérapeutes, dont j'ai pu collecter les retours. Là encore ils ont trouvé le projet intéressant. On perçoit également l'intérêt d'échanger avec des professionnels aux compétences complémentaires, car à l'utilisation, chacun avait des suggestions relatives à sa sensibilité. Un exemple : on avait choisi des sons plutôt agréables mais on a aussi recherché la variété, or, l'un des sons a été jugé un peu angoissant par certains soignants : il évoquait la forêt la nuit (avec du vent, de l'eau, des oiseaux...). Un autre son projetait une ambiance urbaine, de gare. Même chose, des participants ont préféré privilégier une ambiance de nature. C'était passionnant d'étudier ces retours, puisqu'ils correspondaient aux sensibilités de chacun, mais aussi aux différents types d'exercice : un praticien en libéral n'observait pas les mêmes choses qu'un soignant hospitalier...

L'idée aujourd'hui est de développer de nouvelles utilisations du dispositif avec des personnes déficientes visuelles, dans le cadre d'un partenariat avec l'hôpital Sainte-Marie, dans le 14e arrondissement. 


Source : infirmiers.com