C’est un véritable «couteau dans le dos», un revers qui pourrait mettre en difficulté une multiplicité d’acteurs de la formation infirmière. Votés en Haut conseil des professions paramédicales (HCPP) et en Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), le décret et l’arrêté qui actent la réforme de la formation initiale infirmière n’avaient plus qu’à passer l’étape du Conseil national de l’évaluation des normes (CNEN), chargé d’émettre un avis sur l’impact, notamment financier, des normes sur les collectivités locales. Et c’est pourtant là, après deux ans de travail et alors que le nouveau référentiel apparaît comme «une opportunité historique pour la profession», que ça coince. Lors du passage des textes devant l’instance, «les régions ont bloqué le vote», explique Damien Sarméo, président de la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières (FNESI), et ont réclamé un report du vote à la prochaine session, à la mi-janvier 2026. À la différence des autres formations en santé, ce sont en effet les régions qui assurent la gestion de l’enseignement infirmier. Elles financent la formation à hauteur de 7 500 euros par étudiant, indique la FNESI, et se chargent de l'attribution des bourses - qui sont régulièrement versées en retard. «Cela ne nous surprend pas qu’elles bloquent, parce qu’elles le font systématiquement dès qu’il y a une évolution de la formation», soupire Damien Sarméo.
En cause : le coût que la réforme de la formation ferait peser sur le budget des régions, celles-ci pointant le remboursement des frais kilométriques. Or celui-ci n’a pas évolué depuis 2009 et les textes ne prévoient même pas son augmentation. «Il est déjà insuffisant, et certaines régions ne respectent pas le cadre réglementaire actuel», s’étrangle le président de la FNESI. En creux, la Fédération y voit une conséquence du contexte budgétaire et politique, alors que se profile le vote compliqué d’un projet de loi de finances par les parlementaires, auquel vient se heurter le projet de décentralisation annoncé par Sébastien Lecornu, le Premier ministre. Celui-ci suppose notamment de démanteler les Agences régionales de santé (ARS) et de transférer un certain nombre de leurs compétences aux collectivités locales, dont les départements. «Les régions essaient de négocier», et utilisent les étudiants infirmiers comme «un levier de pression », dénonce Damien Sarméo. « Sauf que nous, étudiants, n’avons pas à être utilisés comme tels !»
Quelles conséquences pour l'application de la réforme ?
Le délai obtenu doit permettre aux régions de constituer un groupe de travail pour discuter des modalités du remboursement des frais de déplacement, faisant craindre à la FNESI une diminution de ces indemnités. Inenvisageable, pour la Fédération, qui ne cesse d’alerter sur les conditions de plus en plus précaires des étudiants en sciences infirmières. «La plupart sont obligés de se salarier, et un étudiant sur 3 saute un repas», s’insurge son président. «Au bout d’un moment, on va tous arrêter la formation.»
Le report du vote a lui aussi d’importantes conséquences. Car derrière, instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) et universités disposeront d’un délai beaucoup plus court pour façonner les nouvelles maquettes de formation. «Tout le monde s’est accordé sur le fait qu’il ne fallait pas reproduire les mêmes erreurs qu’en 2009», continue Damien Sarméo. À l’époque, le texte qui actait l’intégration de la formation dans un parcours Licence-Master-Doctorat (LMD) était paru le 31 juillet, soit un mois avant la rentrée et sa date de mise en application.
«La gestion régionale n'apporte rien, si ce n'est des blocages, de l'instabilité, des abandons de formation et une santé mentale des étudiants en déclin», fulmine la FNESI dans un communiqué de presse, dénonçant un véritable «sabotage» de la réforme.
Un référentiel qui fait consensus
Le coup est d’autant plus dur que les textes encadrant le nouveau référentiel sont prêts. Quelques jours plus tôt, la FNESI saluait en effet dans un communiqué le vote, le 9 décembre dernier, du HCPP et du CNESER en faveur de l’arrêté et du décret encadrant le nouveau référentiel. Ceux-ci réaffirmaient «des engagements forts au service de la qualité de la formation», avançait-elle, dont «une intégration universitaire renforcée» et «une évaluation systématique des lieux de stage», celle-ci relevant d’une demande récurrente de la Fédération. «Nous réclamions une plateforme nationale […], mais cette évaluation doit pouvoir faire remonter les terrains de stage qui sont maltraitants», explique Damien Sarméo. «Le but ne serait pas d’être simplement contraignant pour les terrains identifiés comme tels mais de proposer des solutions, de vérifier l’encadrement, qu’il y ait bien un livret d’accueil, que les professionnels soient formés à l’encadrement, qu’il y ait un nombre de places suffisant…»
Le texte est certes perfectible mais il fait néanmoins consensus entre l’ensemble des acteurs de la formation : universités, formateurs, étudiants, professionnels. Ce qui rend la prise de position des régions et le délai qu’elles imposent d’autant plus frustrants. La FNESI entend essayer d’ouvrir le dialogue avec les collectivités – mais de l’avis de Damien Sarméo, la démarche semble mal engagée.
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