C’était l’une des promesses des différents ministres de la Santé qui se sont succédé depuis Frédéric Valletoux : l’ouverture de négociations conventionnelles pour les infirmiers libéraux (IDEL). À l’issue du vote au Sénat de la loi infirmière, Yannick Neuder, l’actuel ministre chargé de la Santé, l’avait réitérée, annonçant leur tenue « dans les prochains jours ». Il aura finalement fallu attendre un peu plus longtemps avant qu’il ne signe avec Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, la lettre de cadrage qui doit donner le « la » à ces négociations. Adressée à Thomas Fatôme, le président de l’Assurance maladie, elle fixe les enjeux des discussions à venir entre l’organisme et les syndicats représentants de la profession infirmière libérale.
Évolution et attractivité du métier au cœur de ces négociations
Face à la problématique posée par le vieillissement de la population et l’augmentation attendue des besoins en soins infirmiers, « deux préoccupations majeures doivent guider notre action », déclarent les deux ministres dans le document, dont Hospimedia a pu obtenir copie. La première, c’est bien sûr l’attractivité du métier. Si l’augmentation constante du nombre d’étudiants inscrits en institut de formation en soins infirmiers démontre que la profession attire toujours autant, elle est à nuancer avec celle du nombre d’abandons : selon une enquête du Comité d'entente des formations infirmières et cadres (CEFIEC), un étudiant infirmier sur 3 avait décroché des études avant d’obtenir son diplôme en 2022. L’autre préoccupation, c’est bien sûr l’évolution du métier, consacrée par la loi infirmière, qui confie plus de missions aux infirmiers. Elle suppose que les pouvoirs publics positionnent « ces professionnels de santé sur les segments de l’offre de soins où leur valeur ajoutée est la plus forte. » « Ces négociations devront donc en premier lieu permettre de revaloriser et d’améliorer les conditions d’exercice des infirmiers », font valoir les deux ministres, qui encouragent à envisager « une revalorisation de leur activité technique à domicile ». Un volet sera également dédié aux infirmiers en pratique avancée, attendu par la profession depuis la publication de la loi Rist en mai 2023, qui prévoyait des négociations spécifiques pour ces professionnels.
Valoriser les nouvelles compétences
Mise en œuvre du statut d’infirmier-référent, consultation et accès direct pour la prise en charge des plaies et cicatrisation, permanence des soins ambulatoires…, ces négociations conventionnelles doivent permettre de matérialiser ces évolutions désormais actées au niveau réglementaire, poursuivent les ministres. « En outre, six ans après son introduction dans la convention, il conviendra de tirer les premiers enseignements de la mise en œuvre du bilan de soins infirmiers pour les patients dépendants en se concentrant notamment sur les patients plus lourds. » La mise en place de ce BSI ne s’était en effet pas faite sans heurts, les représentants des IDEL ayant régulièrement dénoncé l’inadéquation des forfaits d’abord envisagés par rapport aux exigences de la prise en charge de patients âgés et fortement dépendants.
Et prendre en compte les nouvelles organisations de soin
Enfin – et il s’agissait de l’une des revendications mises en avant par les syndicats d’IDEL en amont de la publication de cette lettre de cadrage – le document appelle la CNAM à porter « une attention particulière aux enjeux de répartition des infirmiers sur le territoire. Si l’introduction d’une régulation à l’installation dans le champ conventionnel a réduit les inégalités selon les territoires, la très nette distinction entre l’activité d’un infirmier selon qu’il est installé dans une zone sous-dotée ou dans une zone sur-dotée doit nous interroger : l’égal accès aux soins sur le territoire est une priorité du gouvernement », préviennent les deux ministres. La CNAM aura donc à travailler sur le renforcement des mécanismes conventionnels pour permettre un meilleur rééquilibrage sur le territoire.
Pour répondre à l’ensemble de ces enjeux, les deux ministres conseillent à l’Assurance maladie de s’appuyer sur les expérimentations locales issues de l’Article 51. À commencer par le dispositif EQUILIBRES, dont la généralisation est attendue, qui a permis d’introduire un mode de rémunération à l’heure pour les IDEL. Ses résultats en termes de coûts et de bénéfices pour la prise en charge se sont avérés « probants », même si certains paramètres doivent encore être « sécurisés ». De manière générale, ces négociations doivent être guidées par « une logique de simplification des démarches administratives des infirmiers », conclut le document.
Pour la première fois, la notion de « valeur ajoutée » des infirmiers libéraux est mentionnée dans un courrier officiel.
Pour les syndicats, des points de vigilance
« Des bases ambitieuses » sont posées « pour permettre le déploiement des nouvelles expertises infirmières », a réagi la Fédération nationale des infirmiers (FNI) à la réception de cette lettre de cadrage. « Pour la première fois, la notion de « valeur ajoutée » des infirmiers libéraux est mentionnée dans un courrier officiel », se félicite-t-elle. Le document constitue « une étape structurante, qui traduit une prise en compte significative des attentes de la profession », poursuit la FNI, qui marque toutefois une prise de distance avec la volonté affichée du gouvernement de généraliser le dispositif EQUILIBRES. En cause : les « biais de sélections des expérimentateurs » qui avaient été soulevés lors de son évaluation.
Chez Convergence infirmière aussi, on alerte sur la généralisation de cette expérimentation Article 51. Ou plutôt sur le cadre dans lequel elle sera discutée, au même titre que la montée en charge des IPA. Les deux « doivent faire l’objet d’enveloppes financières dédiées afin de ne pas amputer ce qui doit être alloué à la hausse de nos honoraires », prévient le syndicat. Quant aux autres enjeux listés par la liste de cadrage, réévaluation du BSI et zonage des infirmiers seront l’objet de toute son attention. La première est « indispensable », du fait de forfaits jugés « pas à la hauteur » ; le débat sur le second, s’il est essentiel, doit prendre en compte les réalités du terrain. Convergence infirmière entend ainsi veiller à ce que « les SSIAD soient soumis aux mêmes contraintes d’installation que les IDEL. » Enfin, il portera la question de la pénibilité de l’exercice en libéral, où les violences faites aux soignants sont encore trop présentes.
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