La proposition de loi définitivement adoptée le 19 juin 2025 redéfinit les missions des infirmiers, encadrées depuis 2004 par un décret jugé obsolète. Elle consacre également dans la loi les notions de «consultation infirmière» et de «diagnostic infirmier», et confie aux infirmiers un pouvoir de prescription de certains médicaments ou examens listés par arrêté. Qualifiée «d'historique» voire de «révolutionnaire» par les infirmiers, elle doit pourtant déboucher à la fois sur des décrets pour assurer sa mise en application effective, a rappelé Joël Moret-Bailly, professeur de droit, mais aussi sur de prochaines négociations conventionnelles - qui devraient se tenir durant l'été. Le gouvernement a envoyé à cet effet à l'Assurance Maladie une lettre de cadrage, ouvrant justement la voie à une négociation. Malgré l'unanimité politique sur ce texte attendu par le secteur, cet enjeu financier interpelle notamment à gauche, où l'on craint une réforme mise en place sans accompagnement, qui pourrait aboutir à faire «travailler plus sans gagner plus».
Notre pays ne sait pas anticiper, pour justement pouvoir rémunérer à leur juste valeur l'ensemble des professions qui sont liées à la Sécurité Sociale, à savoir les professionnels de santé, les professionnels du médico-social et tous les acteurs auprès de la population.
Au Sénat, Anne-Sophie Romagny, sénatrice de la Marne et membre de la commission des Affaires sociales, et le Collectif des Infirmiers Libéraux en Colère (CILEC) ont présidé un colloque sur le métier infirmier et son avenir, lundi 23 juin. Les discussions ont notamment porté sur les cartes à jouer par les IDEL dans ces négociations.
Nouvelles missions, pour quelle rémunération ?
La Cour des compte a récemment jugé le budget de la Sécurité Sociale hors de contrôle, l'attractivité des métiers de santé est en perte de vitesse, les besoins en soins sont immenses... Comment à partir de là parvenir à mettre les comptes en adéquation avec l'urgence ? «Le PLFSS 2026 s'annonce sous des augures compliqués», a rappelé Elisabeth Doineau, sénatrice de la Mayenne et rapporteure générale de la Commission des Affaires Sociales du Sénat, notant dans le même temps que le besoin en soins, en accompagnement des personnes en situation de handicap et des patients âgés va se compliquer dans les années à venir. «Notre pays ne sait pas anticiper, pour justement pouvoir rémunérer à leur juste valeur l'ensemble des professions qui sont liées à la Sécurité Sociale, à savoir les professionnels de santé, les professionnels du médico-social et tous les acteurs auprès de la population», a déploré la sénatrice, qui a pointé «une forme d'acceptation du déficit, alors même que «nous sommes au bout de ce que nous pouvons amortir au niveau de la dette sociale» (le budget de la sécurité sociale prévoit un déficit social de plus de 22 milliards d'euros en 2025, ndlr).
Les atouts des IDEL à la table des négociations
Appelant à une forme de raison («Il va donc falloir envisager une véritable trajectoire de retour vers l'équilibre», la sénatrice a pourtant relevé des atouts importants côté soignant qu'il s'agira de mettre en avant à la table des négociations. «Vous êtes des acteurs de terrain, dont le statut vient d'être revu grâce à cette loi infirmière. C'est, pour moi, une opportunité à saisir. Vous êtes directement concernés parce que vous constatez les excès, tous les jours. Il va falloir qu'un euro dépensé soit un euro utile. Or je pense que vous devez à présent être acteurs dans l'efficience des soins. Je suis convaincue que les infirmiers et infirmières peuvent jouer un rôle très important en termes d'efficience des soins et de consommation des produits de santé». Un pouvoir de vigie donc, mais également un rôle essentiel sur le territoire - qu'il faudra là aussi mettre en avant.
Les infirmiers libéraux, acteurs d'un maillage territorial essentiel
Le maillage des infirmiers libéraux (130 000 professionnels en France) est un indéniable gage d'égalité d'accès aux soins dans les territoires. Une idée soutenue depuis longtemps par l'Ordre national des Infirmiers dans un contexte de pénurie des médecins et autour de la problématique des déserts médicaux, ou encore de la coordination ville/hôpital parfois déficiente. Qu'ils soient dans des cabinets libéraux, en maison de santé pluriprofessionnelles, en maisons de santé de soins coordonnés, les IDEL sont présents partout et forment un maillage très important sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones sous-dotées. Ils sont donc par-là à même de constituer l'une des réponses au problème de l'accès aux soins dans un contexte de virage ambulatoire, face aux enjeux du maintien à domicile ou encore de la prise en charge des maladies chroniques.
La consultation infirmière, le diagnostic infirmier, ce sont des choses que nous faisons au quotidien.
«La consultation infirmière, le diagnostic infirmier, ce sont des choses que nous faisons au quotidien», a noté Anne-Gaëlle Kramer, vice-présidente du Collectif des Infirmiers Libéraux en Colère. «Avec le virage ambulatoire, les gens arrivent à J0, J1, J2. Les infirmiers, les infirmières, se rendent au domicile des patients après leur appel téléphonique, évaluent la douleur, observent l'aspect d'un pansement ou l'évolution d'une plaie, l'adéquation ou non de la prise en charge médicamenteuse... Autre exemple : lorsqu'un anti-coagulant est prescrit chez quelqu'un, les infirmiers, infirmières réalisent de l'éducation auprès du patient. Et ça, jusque-là, ça n'était pas pris en compte, ça n'était pas reconnu», a précisé vice-présidente du CILEC. Si la loi représente une réelle avancée, il va falloir que les négociations la transforment en actes.
"Cibler les consultations nécessaires et impératives"
«Il faut néanmoins définir dans ces négociations le périmètre de ces consultations», a avancé Nicole Debré-Chirat, députée du Maine et Loire et rapporteure de la Loi infirmière à l'Assemblée Nationale, «ce sera par exemple des consultation de prévention, sur la santé des femmes, ou de prévention, mais tout ne peut pas être consultation, sinon le risque c'est que les négociations conventionnelles n'aboutissent pas». (...) Il faudra donc cibler les consultations nécessaires et impératives qui devront être remboursées par la Sécurité Sociale et ne pas vouloir que tout ce que l'on faisait aujourd'hui devienne une consultation, sinon on n'y arrivera pas».
La présence des infirmiers libéraux qui relaient l'hôpital parfois saturé, qui permettent le maintien à domicile ou la continuité des soins ne tiendra pas éternellement si elle repose uniquement sur la bonne volonté de ces professionnels.
En première ligne
Les infirmiers et infirmières jouent «un rôle de première ligne», a rappelé à son tour Corinne Bourcier, sénatrice du Maine et Loire, rapporteure de la loi infirmière l'Assemblée Nationale. Or la loi consacre un pouvoir de prescription essentiel. «Vous alliez vous même acheter certains antalgiques mais l'infirmier ne pouvait pas jusque-là le prescrire. Parfois il arrive aussi qu'il manque un produit sur les prescription médicales à la sortie de l'hôpital. Il n'est pas normal de retourner chez son médecin pour se faire prescrire ce produit quand les infirmiers peuvent le faire».
Si la loi représente un premier pas de taille dans la reconnaissance du rôle des infirmiers, elle ne constitue cependant en réalité qu'une première marche. «Cette présence des infirmiers libéraux, qui relaient l'hôpital parfois saturé, qui permettent le maintien à domicile ou assurent une présence continue dans des zones sous-dotées, assurent enfin une continuité dans les soins, doit être reconnue, car celle-ci ne tiendra pas éternellement si elle repose uniquement sur la bonne volonté de ces professionnels», scande la sénatrice, appelant les professionnels paramédicaux à faire valoir ce rôle absolument crucial dans le contexte actuel.
Quelle prise en compte de la pénibilité ?
Elisabeth Doineau a enfin rappelé son attachement à la prise en compte de la pénibilité du métier infirmier, aussi bien sur le plan physique que sur le plan mental («la charge mentale étant très lourde»). Un point qui selon elle doit également «faire partie du coeur des négociations». Une question sur laquelle il va donc falloir «travailler» et notamment, a-t-elle précisé, «s'interroger sur la branche accident du travail et maladies professionnelles», si l'on veut envisager une soutenabilité de la Sécurité Sociale dans la durée. La sénatrice a évoqué par exemple Le Fonds d'investissement pour la prévention de l'usure professionnelle (FIPU) qui «doit davantage accompagner tout professionnel quel qu'il soit et forcer l'employeur à mieux l'accompagner, que ce soit les infirmiers ou d'autres professionnels».
La promesse des négociations était annoncée «avant l'été 2025». L'été est là depuis le 21 juin et les IDEL espèrent.
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