LOI RIST

Primo-prescription : les IPA dénoncent la volonté du "lobby médical" de réécrire les textes

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Publié le 06/06/2025

Le président du Conseil national de l'Ordre des médecins a fait savoir sa volonté de saisir le Conseil d'État pour questionner les textes réglementaires, déjà publiés, qui autorisent l'ouverture de l'accès direct et la primo-prescription aux infirmiers en pratique avancée. De quoi susciter l'ire de ces derniers, qui dénoncent des réflexes corporatistes.

Le nouveau rapport de l'IGAS formule 20 recommandations pour l'inscription en pratique avancée des spécialités infirmières.

« Dans un État de droit, la rédaction des textes réglementaires ne se fait pas sous la pression d’un lobby, fût-il médical. La séparation entre intérêts professionnels et autorité publique est un pilier démocratique. » Ces propos agacés, véhéments, sont ceux de l’Union nationale des infirmiers en pratique avancée (UNIPA). Et l’objet de leur colère : la volonté affichée du président du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) de saisir le Conseil d’État pour réévaluer les textes qui ouvrent l’accès direct et la primo-prescription aux infirmiers en pratique avancée.

C’est une information diffusée par Egora qui a mis le feu aux poudres. Dans un entretien avec le site d’informations et d’actualités médicales, le Dr François Arnault, président du CNOM, exprime son opposition à l’arrêté, paru dans le Journal officiel du 30 avril, qui fixe la liste des produits que les IPA seront désormais autorisés à primo-prescrire, en particulier dans le cadre de l’accès direct. Le texte est l’aboutissement du travail mené en concertation à la suite de la publication de la loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite loi Rist, votée en mai 2023. Or il viendrait remettre en cause le rôle du médecin dans le suivi de patients atteints de pathologies chroniques, à commencer par le diabète : « Il n'est plus mentionné qu'il faut un passage obligatoire chez un médecin », explique-t-il ainsi à Egora, ce qui irait à l’encontre des dispositions de la loi Rist. Celle-ci mentionnerait bien, en réalité, qu'un passage préalable chez le médecin serait obligatoire dans le cas du suivi de ce type de patient. Il fait ainsi savoir la volonté du CNOM de saisir le Conseil d’État sur le sujet. Une réunion est prévue ce vendredi 6 juin. 

Une interprétation erronée de la loi

Or l’affirmation du président du CNOM est fausse, a immédiatement réagi l’UNIPA dans un communiqué, qui l'accuse d'interpréter librement la loi Rist. Et de rappeler l’une des dispositions du décret qui fixe les conditions de l’ouverture de l’accès direct aux IPA, publié le 20 janvier dernier : ceux-ci participent « à la prise en charge globale des patients dont le suivi [leur] est confié par un médecin ou s’adressant à eux. Lorsqu’[ils n’exercent] pas dans les conditions » prévues par la loi, à savoir dans le cadre d’un exercice coordonné (à l'hôpital, en clinique, dans un établissement social ou médico-social ou, en ville, dans une maison ou un centre de santé), « la conduite diagnostique et les choix thérapeutiques sont définis par le médecin [leur] ayant confié le suivi du patient. » 

Plus précisément, la loi, telle qu'elle est rédigée, stipule que les IPA sont autorisés « à prendre en charge directement les patients dans le cadre des structures d'exercice coordonné mentionnées », précisant qu'un « compte rendu des soins réalisés par l'infirmier en pratique avancée est adressé au médecin traitant et reporté dans le dossier médical partagé.» Pour le reste, elle renvoie aux décret et arrêté pour définir les conditions de l'exercice.

Interpréter la loi comme imposant un tel passage revient à réécrire le texte législatif, à contresens de la volonté du Parlement.

« Non, la loi Rist n’impose pas un diagnostic médical préalable à la prise en charge par l’IPA », et autorise donc bien un tel professionnel qui exercerait selon les conditions qu’elle pose à définir la conduite diagnostique et les choix thérapeutiques. « Aucune mention d’un “diagnostic médical préalable” n’est exigée. Interpréter la loi comme imposant un tel passage revient à réécrire le texte législatif, à contresens de la volonté du Parlement », s’insurge le syndicat qui accuse le CNOM de vouloir brouiller les lignes entre coordination et validation obligatoire par un médecin. « Or, en droit, la coordination des soins vise une articulation entre professionnels, non une autorité hiérarchique. » 

L'arrêté sur la primo-prescription « s’inscrit dans la droite ligne des objectifs portés par la loi Rist, en faveur d’une organisation plus agile, plus accessible et plus réactive du système de santé », appuie également de son côté l'Ordre des infirmiers dans son propre communiqué. Prenant acte du recours engagé par le CNOM auprès du Conseil d'État, l'ONI tient toutefois à souligner que les compétences des IPA en matière de prescription sont déjà bien « encadrées, précises et ciblées ». « Elles ne remettent pas en cause le rôle du médecin, mais permettent une prise en charge plus rapide et continue de pathologies identifiées, dans le respect de la sécurité des patients », insiste-t-il. Surtout, elles répondent à une nécessité du terrain et doivent faciliter le travail des IPA déjà en exercice, notamment en ville.

L'UNIPA alerte sur "un risque d'ingérence"

Plus inquiétant, l’UNIPA perçoit dans la démarche du CNOM « un risque d’ingérence ». « Apprendre qu’une réunion est organisée le 6 juin avec le ministère “ pour que le texte convienne à l’Ordre ” — alors même que ce texte est déjà publié — est profondément préoccupant », alerte-t-il. Elle est d’autant plus incompréhensible, estime-t-il, que le contenu des textes réglementaires a été élaboré en concertation avec des représentants médicaux. Un argument que martèle aussi l'Ordre national des infirmiers, qui observe qu'il est le « fruit d’un processus de concertation approfondi » qui a mobilisé « l’ensemble des parties prenantes, y compris l’Académie nationale de médecine.» 

La saisie du Conseil d’État par le CNOM relèverait en réalité plus de réflexes corporatistes, à rebours des besoins de la population, confrontée par ailleurs à des difficultés croissantes d’accès aux soins, et ce dans un contexte d’augmentation du nombre des pathologies chroniques. « L’accès aux soins des personnes soignées doit demeurer prioritaire : la confiance dans la loi, la reconnaissance des compétences infirmières et l’intérêt général ne sauraient être négociés au profit d’intérêts corporatistes », martèle l’UNIPA, appelant le ministère de la Santé à garantir le maintien des textes dans leur version publiée et menaçant, dans le cas contraire, de saisir à son tour le Conseil d’État. « Face aux défis inédits d’accès aux soins auxquels est confronté notre système de santé, le temps est à la reconnaissance pleine et entière de tous les professionnels de santé, dans un cadre partagé et coopératif », renchérit l'Ordre des infirmiers qui veut, lui, faire le pari de « la responsabilité collective ».

Ce n’est pas la première fois que le CNOM, par la voix de son président, s’élève contre l’ouverture de l’accès direct et de la primo-prescription aux IPA.  En juillet 2024, déjà, François Arnault s’était fendu d’un édito dans un bulletin de l’Ordre des médecins pour remettre en cause arrêtés et décrets d’application de la loi Rist, qu’il jugeait contraire à son esprit. Et à la suite du passage du texte en commission mixte paritaire, l’UNIPA avait dénoncé l’influence des représentants médicaux dans la suppression des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) de la liste des structures d’exercice coordonné où l’IPA est autorisé à suivre un patient sans passage préalable chez un médecin.


Source : infirmiers.com