«Chaque jour dans notre pays, 65 professionnels de santé sont agressés. Ce chiffre est vertigineux, sans compter le fait que cette statistique est par nature une sous-estimation, tous les soignants touchés ne signalant pas forcément les actes dont ils ont été victimes…» Ce constat rappelé par le ministre chargé de la Santé et de l'Accès aux soins Yannick Neuder, le Sénat a salué, ces 6 et 7 mai, le contenu de la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé. Le vote solennel du texte porté par Anne-Sophie Patru (Union Centriste, Ille-et-Vilaine) et examiné en procédure accélérée est fixé au 13 mai mais son adoption ne fait aucun doute. Elle interviendra un peu plus d'un an après l'approbation à l'unanimité par l'Assemblée nationale.
Le délit d'agression sexuelle ajouté
Rappelant combien les violences physiques, verbales ou numériques s'avèrent "inacceptables", encore plus lorsqu'elles sont commises dans le secteur de la santé, le ministre espère que la proposition marquera «un tournant décisif» avec «un seul mot d'ordre : la tolérance zéro» vis-à-vis de ces agressions et «le zéro impunité» à l'égard de leurs auteurs. Pour cela, les sénateurs ont validé l'alourdissement des peines approuvé l'an dernier, avec quelques ajouts supplémentaires : l'élargissement du qualificatif de circonstances aggravantes et du délit d'outrage inscrit au Code pénal à toute infraction commise «sur un membre du personnel exerçant au sein d'un prestataire de santé à domicile». En pleine affaire Joël Le Scouarnec, cet ancien chirurgien accusé de centaines d'agressions et de viols sur des victimes, dont une majorité de mineurs, les sénateurs ont fait en sorte d'inclure au titre des circonstances aggravantes tout délit d'agression sexuelle commis «par ou sur un professionnel de santé durant son exercice».
Par rapport au texte des députés, des élargissements ont aussi été apportés à l'emploi de ce qualificatif en cas d'acte matériel. Cela inclut tout vol de «matériel médical, paramédical ou tout produit de santé» mais aussi «lorsqu'il est commis au préjudice d'un professionnel de santé à l'occasion de l'exercice ou en raison de ses fonctions».
Un débat sur l'outrage et l'injure
Le délit d'outrage introduit l'an dernier pour «les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l'envoi d'objets quelconques» a été conservé avec certains ajouts. La commission des affaires sociales l'avait initialement supprimé, le jugeant inadapté au but poursuivi, pour lui substituer la notion d'injure inscrite dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Comme l'a cependant souligné Yannick Neuder, ce correctif aurait «laissé de côté la plus grande diversité d'actes malveillants couverte par le délit d'outrage», les insultes ou menaces dont font l'objet les soignants n'ayant que «de manière minoritaire un caractère public». Au final, le texte entérine le délit d'outrage commis sur un professionnel de santé ou tout membre du personnel exerçant auprès de lui, avec une circonstance aggravante s'il a lieu à l'intérieur d'une structure sanitaire, sociale ou médico-sociale voire au domicile du patient. Et il conserve le renvoi à l'injure voté en commission.
Le reste de la proposition de loi subit aussi quelques précisions voire édulcorations, les sénateurs étant désireux de trouver «un juste équilibre entre l'émoi fort compréhensible des soignants et la qualité du droit» à travers «des mesures dont l'utilité et la qualité juridiques sont avérées». Pas question pour Anne-Sophie Patru que ce «soutien sans faille» à leur égard se fasse «au prix d'un bavardage législatif».
Récapitulatif des peines pour violence, vol, outrage et injure :
- 20 ans de réclusion criminelle pour des violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, une durée ramenée à 15 ans s'il y a mutilation ou infirmité permanente ;
- 7 ans de prison et 100 000 euros (€) d'amende pour des agressions sexuelles autres que le viol ;
- 5 ans de prison et 75 000 € d'amende en cas d'incapacité totale de travail pendant plus de huit jours, une peine ramenée à 3 ans et 45 000 € si aucune incapacité de travail n'est avérée ou si celle-ci est inférieure ou égale à huit jours ;
- 5 ans de prison et 75 000 € d'amende pour vol ;
- 7 500 € d'amende et une peine de travail d'intérêt en cas d'outrage voire 6 mois de prison en sus de l'amende si les faits se sont déroulés au sein d'une structure sanitaire, sociale ou médico-sociale voire au domicile du patient ;
- 1 an de prison et 15 000 € d'amende l'injure.
Encourager le réflexe du dépôt de plainte
Le texte final facilite également le dépôt de plaintes pour en faire «un réflexe en cas d'agression». Actuellement, moins d'un tiers des signalements de violence donnent lieu à l'engagement d'une procédure judiciaire par la victime. Les directions du sanitaire et du médico-social vont désormais pouvoir agir de la sorte comme les employeurs des cabinets médicaux et paramédicaux, pharmacie, etc. Côté libéraux, un décret précisera ultérieurement les organismes représentatifs autorisés à porter plainte, en l'occurrence les ordres professionnels et unions régionales des professionnels de santé. De leur côté, les pouvoirs publics travaillent à mettre en place un «dispositif de visioplainte», a fait savoir le ministre.
Parmi les apports sénatoriaux, à signaler cette «attention particulière portée à la prévention des risques liés au trafic de stupéfiants dans les établissements de santé, en particulier […] psychiatriques, qui peuvent être exposés à des situations de vulnérabilité accrue». Enfin, le texte final sécurise dans la loi la possibilité offerte aux administrations d'accorder la protection fonctionnelle à un agent public entendu sous le régime de l'audition libre. Ce volet interfonction publique vaut entre autres dans le versant hospitalier et autorise également à agir de la sorte pour un recueil d'observations, la reconstitution d'une infraction, l'identification des suspects ou plus largement toutes les mesures alternatives aux poursuites telles que la composition et la transaction pénales.
Retrouvez ici le texte de loi :
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