« Députés, sauvez des vies : le 23 janvier votez la loi #ratios » C’est par ces mots postés le 19 janvier dernier sur le réseau social X que le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) encourageait l’Assemblée nationale à approuver le texte relatif à l’instauration de ratios soignants/patients « de qualité » qui devait y être examiné 4 jours plus tard. Il aura été entendu : la proposition de loi (PPL) a été adoptée à 126 voix pour, et 7 voix contre.
Devant ses collègues élus, Guillaume Garot (Parti socialiste), son rapporteur, a défendu l’idée d’un vote conforme au texte adopté par le Sénat en novembre 2022. Une préoccupation qui l’animait déjà lors de sa présentation en Commission des affaires sociales en décembre dernier : « Que nous disent les soignants ? Qu’ils courent d’un patient à l’autre, d’une chambre à l’autre, qu’ils n’arrivent pas à faire face, et qu’ils se considèrent souvent comme mal traitants envers leurs patients. Cela fait deux ans que le texte est coincé entre le Sénat et l'Assemblée nationale, il ne faut pas perdre aujourd'hui davantage de temps. » L’urgence reste de faire valider le texte et lui éviter une seconde lecture, qui imposerait des délais supplémentaires à sa mise en œuvre.
Juste avant, Yannick Neuder, le ministre chargé de la Santé et de l’Accès aux soins, favorable à la proposition de loi, rappelait que nombre de professionnels de santé témoignent d’une véritable perte de sens de leur métier et que l’hôpital fait face à une crise sans précédent marquée par la fuite de ses personnels. En août 2023, une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) révélait ainsi que près d’un infirmier sur deux quittait l’hôpital au bout de 10 ans de carrière.
Une réforme structurelle à l'objectif double
Dans ce contexte généralisé de dégradation des conditions de travail et d’épuisement des professionnels, la PPL sur les ratios aurait deux effets bénéfiques : redonner de l’attractivité aux métiers de la santé – et notamment aux infirmiers et aides-soignants, les professions ciblées – et assurer une meilleure sécurité des soins. Les études au sein des pays étrangers qui ont intégré une telle politique en le démontrent, ont avancé ses défenseurs. En Australie et en Californie, la mise en place de ratios de qualité a permis de ramener les soignants à l’hôpital et de réduire la mortalité. Et de générer des économies en évitant les longues hospitalisations et réduisant les risques. D’ailleurs, a notamment rappelé Josiane Corneloup (Droite républicaine), leur instauration « constitue une mesure qu’appelle l’ensemble des acteurs du système sanitaire ». « Il faut mettre fin au cercle vicieux » entre dégradation des conditions de travail et fuite des personnels, a renchéri Laurent Panifous (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires – LIOT). « L’adoption de cette proposition de loi enverrait un message clair » aux soignants. Soit la prise en compte par le législateur des difficultés prégnantes auxquelles ils sont confrontés.
Si on veut redonner de l’attractivité aux métiers du soin, il faut agir sur la rémunération et la formation.
Pour autant, la mise en place de ces ratios dans les établissements ne suffira pas, à elle seule, à régénérer l’hôpital. « Si on veut redonner de l’attractivité aux métiers du soin, il faut agir sur la rémunération et la formation. Il faut qu’on en voie la traduction réelle dans le projet de financement de la Sécurité sociale, il faut mettre les crédits pour mieux rémunérer et embaucher davantage de soignants mieux formés », a martelé Guillaume Garot. « C’est une réforme structurelle, qui appelle une autre réforme structurelle sur la formation », a ajouté Yannick Neuder, qui a précisé qu’à raison de 24 000 infirmiers formés par an, il faudra de toute façon plusieurs années avant de pouvoir ne serait-ce que pourvoir aux 60 000 postes actuellement vacants.
Une mission confiée à la HAS
Concrètement, ce sera désormais à la Haute autorité de santé (HAS) de définir ces ratios en fonction de chaque spécialité et en tenant en compte de leur charge en soin. « C’est son rôle de faire des propositions. Les professionnels sont mieux qualifiés que le législateur pour savoir quel type de ratio il faut mettre en œuvre », a défendu Guillaume Garot. Les établissements disposeront toutefois d’une marge de manœuvre pour les adapter, avec l’approbation des Commissions médicales d’établissements (CME) et les Commissions des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques (CSMIRT). Leur entrée en vigueur, elle, est prévue pour le 1er janvier 2027. Enfin, lorsqu’un directeur de structure constatera qu’il ne peut pas respecter les ratios définis pendant une durée de 3 jours, il lui faudra en informer son Agence régionale de santé (ARS).
Des points de vigilance existent
Ces ratios sont dits « de qualité » et n’entraîneront donc pas de fermeture de services ou de baisse d’activité dans le cas où les établissements ne seraient pas en mesure de les atteindre, a tenu à rassurer l'élu face aux inquiétudes de certains députés. « En Allemagne », depuis la mise en place d’une telle mesure en 2018, « 62% des hôpitaux ont fermé des lits en raison de la réglementation, et 80% des soignants déclarent que celle-ci n’a pas réduit leur charge de travail », a en effet opposé Jean Moullière (Horizons). Karine Lebon (Gauche démocrate et républicaine) a, elle, appelé à être vigilant sur les risques possibles de dépassements d’horaires ou d’effectifs, et l’éventuelle « concurrence entre les services pour obtenir des ratios plus importants », quand Frédéric Valletoux (Horizons, ex-ministre de la Santé) a alerté sur « la surcharge administrative », déjà trop présente à l’hôpital, qui ne pèserait par ailleurs que sur le secteur public ; la loi ne s’appliquera en effet que sur les structures exerçant une mission de service public hospitalier.
Des craintes qui font écho à celles formulées un peu en amont de l’examen du texte par l'Association française des directeurs des soins (AFDS) et l'Association nationale des cadres de santé (Ancim). Dans un communiqué, elles mettaient en garde contre les « effets délétères » que la mesure pourrait avoir, entre iniquités entre établissements et services et risques de fermetures de lits. La PPL « ne s'appliquera pas sur un claquement de doigts » mais sur « un horizon de moyen terme », entre 4 et 6 ans, « le temps d'évaluer les besoins puis de former les soignants », a répondu Guillaume Garot.
Il s’agit d’une première brique pour reconstruire l’hôpital, mieux prendre en charge les patients, mieux respecter ceux qui les soignent et mieux anticiper les besoins de formation.
Reste enfin le financement de cette mesure, une question qui occupe tous les esprits alors que le gouvernement ne cesse de marteler sa volonté de limiter les dépenses de l’État. Yannick Neuder la chiffre à hauteur de 7 milliards d’euros. Ce qui suppose d’augmenter l’Objectif national de dépenses de l’Assurance maladie (ONDAM) année après année. Pour rappel, lors de son discours de politique générale, François Bayrou a promis une hausse de l’ONDAM de 3,3% pour 2025, contre les 2,8% qui avaient été évoqués par le gouvernement Barnier.
"Un point de départ" et non "un point d'arrivée"
« Nous saluons l’adoption en 1ere lecture, par l'@AssembléeNat, de la proposition de loi relative à l'instauration d'un nombre minimum de #soignants par patient hospitalisé », a immédiatement réagi l’Ordre national des infirmiers sur X, à la suite du vote. « Cette loi constitue une avancée majeure pour la qualité des soins et pour l'amélioration des conditions de travail des professionnels de santé. » De son côté, le SNPI a salué le fait que la France avait « enfin » adopté une loi fixant un cadre assurant un nombre de patients par soignant compatible « avec la qualité des soins ».
📢 Nous saluons l’adoption en 1ere lecture, par l'@AssembléeNat, de la proposition de loi relative à l'instauration d'un nombre minimum de #soignants️️️️ par patient hospitalisé. Cette proposition de loi avait été initialement déposée par le sénateur @BernardJomier en… https://t.co/lcDCBp9BGX
— Ordre National des Infirmiers (@OrdreInfirmiers) January 23, 2025
« Il s’agit d’une première brique pour reconstruire l’hôpital, mieux prendre en charge les patients, mieux respecter ceux qui les soignent et mieux anticiper les besoins de formation », a défendu Guillaume Garot. « C’est un point de départ. Pas un point d’arrivée. »
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