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Infirmière gériatrique aux urgences : un rôle clé dans la prise en charge des plus fragiles

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Publié le 14/05/2025

Virginie Adam est infirmière gériatrique aux urgences du centre hospitalier de Saverne, en Alsace (67). Depuis la création de son poste, il y a deux mois, elle prend en charge les personnes de plus de 75 ans qui arrivent aux urgences pour leur offrir un suivi et une orientation adaptée.

deux lits, couloir, service d'urgences, deux soignants, accueil

Crédit photo : S.Toubon

C'est un tout nouveau métier à l'hôpital de Saverne, en Alsace. Un métier qui existe seulement depuis quelques années dans certains hôpitaux en France : infirmier(ière) gériatrique. La prise de fonction de Virginie Adam comme infirmière gériatrique aux urgences de l'établissement date du mois de mars 2025. Et pour cause, il s'agit d'une création de poste dans le cadre d'une expérimentation au service de la filière gériatrique de territoire, née d'un appel à projet de l'Agence Régionale de Santé (ARS) Grand Est : le projet PANDA pour «Parcours en Admission directe Non programmée De la personne Âgée de + de 75 ans». Après un état des lieux réalisé sur le territoire, différentes actions ont vu le jour à destination des EHPAD, de la ville mais également des services d’urgences. Dans ce contexte, la présence de Virginie Adam aux urgences vise d'abord à «mieux repérer les fragilités des personnes âgées avant leur retour à domicile dans l’objectif de leur éviter une ré-hospitalisation», souligne l'infirmière, qui travaille à temps plein en collaboration avec une collègue à mi-temps. Toutes deux sont issues de la gériatrie. «J'ai fait du domicile, du long-séjour, et d'autres services aigus», résume Virginie Adam, bien au fait du réseau d'acteurs qui prend en charge les personnes âgées. 

Les infirmières gériatriques sont amenées à voir les patients qui pourraient présenter des fragilités sociales, au niveau de la motricité, de l'isolement, de la dénutrition, de la déshydratation ou encore par exemple des troubles cognitifs. 

Une consultation infirmière pour mieux orienter les patients âgés

Les patients de plus de 75 ans sont la plupart du temps admis aux urgences pour des chutes, ou pour des altérations de l'état général, de la déshydratation ou encore de confusion aigüe. «La prise en charge la plus compliquée, c'est justement la démence, la confusion, avec accès d'agressivité», explique l'infirmière. «On manque d'accueil d'urgence pour ces personnes et quand ce sont des gens qui vivent à domicile, ça peut être très compliqué pour les proches. Parfois on arrive à trouver un hébergement temporaire pour soulager un peu la famille et arriver à faire des demandes de placements en Ehpad ou dans des structures pour personnes âgées». 

«Lorsqu'il y a une admission de personne de plus de 75 ans aux urgences, sur recommandation du médecin ou de l'équipe paramédicale, les infirmières gériatriques sont amenées à voir les patients qui pourraient présenter des fragilités sociales, au niveau de la motricité, de l'isolement, de la dénutrition, de la déshydratation ou encore par exemple des troubles cognitifs», explique Virginie Adam.

Une prise en compte de l'environnement et du mode de vie de la personne

La grille PANDA comprend justement un questionnaire très complet : «On explore l'environnement et le mode de vie de la personne, détaille Virginie Adam. On cherche à savoir si elle vit seule, de quels matériels médicalisés elle dispose à domicile, comment se présente son logement (présence d'escalier, de plain-pied...), si elle dispose d'une aide à domicile, on a aussi des questions relatives à la nutrition (combien de repas fait-elle, qui prépare les repas...), un volet est également consacré aux chutes, un autre permet d'évaluer les signes de dépression, avec parfois des risques suicidaires, on s'enquiert de l'état cutané... Enfin c'est très large. On a aussi des questions qui concernent les aidants pour évaluer les besoins à domicile», liste l'infirmière. 

De conseils et des préconisations aux aidants

Elle téléphone également systématiquement aux proches du patient pour discuter avec eux de tout ce qui se passe à la maison, pour entendre leur ressenti... «On a ensuite un rôle de préconisation. On les dirige vers les acteurs extérieurs qui peuvent leur venir en aide. Lorsque les patients sont hospitalisés, ce n'est plus notre rôle de les suivre. On passe le relais aux assistantes sociales. Par contre s'ils rentrent à domicile, on les rappelle 48h, (maximum 7 jours), après leur retour pour faire le point. On refait une consultation infirmière à ce moment-là». Les infirmières gériatriques évaluent la situation et aident les proches à permettre le maintien à domicile lorsque c'est la volonté du patient. «On peut mettre en place des infirmières à domicile, des kinésithérapeutes, sur ordonnance du médecin ou on peut diriger les familles vers la DAC, soit le dispositif d'appui à la coordination, avec des équipes qui se rendent à domicile». 

On porte une blouse longue pour aller voir les patients mais on reste en civil justement pour que les gens, tant au niveau du personnel que des patients, fassent la différence : on n'est pas là pour faire des soins.

A la question de savoir si elle se sent pleinement intégrée au service des urgences, Virginie Adam nuance : «On se sent encore un peu électron libre». La marche à suivre n'est pas encore véritablement fixée : «L'équipe n'a pas encore tout à fait le réflexe de faire appel à nous, mais le poste est très frais. On regarde le dossier des personnes de plus de 75 ans et on cherche à détecter les éventuelles fragilités, puis on va leur rendre visite», explique l'infirmière, qui travaille donc dans une relative autonomie - et en civil : «On porte juste une blouse longue pour aller voir les patients mais on reste en civil justement pour que les gens, tant au niveau du personnel que des patients, fassent la différence : on n'est pas là pour faire des soins.».

Des situations complexes et des solutions en attente

En deux mois d'exercice, deux ou trois situations vraiment compliquées se sont présentées. «Ce sont souvent des personnes qui souffrent de troubles cognitifs, paranoïaques, liés à une démence de la personne âgée. Or dans ces situations, on est vite bloqués parce que ces patients ne sont pas faits pour la psychiatrie et qu'il existe assez peu de structures d'urgence adaptées (Unités fermées pour les personnes Alzheimer ou démentes, où les places sont très chères)... avec parfois des mois d'attente. Plus récemment, on a accueilli un monsieur de plus de 90 ans qui est venu pour incurie, avec un logement insalubre. On s'est retrouvées un peu coincées. On a fait une demande auprès de la DAC, et une demande auprès d'un Ehpad en urgence. Nous notre tâche c'est de ne pas faire hospitaliser les patients mais parfois, on a pas le choix, et ça permet de patienter en attendant une solution».

On est parfois un peu frustrées parce qu'on n'a pas de baguette magique.

Parfois heureusement les solutions sont plus faciles à trouver, se souvient Virginie Adam, qui évoque une femme un peu plus jeune que 75 ans mais qu'elle a pris malgré tout en charge : «parce qu'elle était atteinte de la maladie de Parkinson, avec des chutes à répétition, seule à domicile. On est parvenus à lui trouver rapidement une place en SMR (service médicaux de réadaptation) pour 3 semaines afin qu'elle réapprenne à marcher avec son Parkinson. On a réussi à la faire hospitaliser deux jours en service de chirurgie parce qu'elle avait fait une luxation du haut de sa clavicule, avant le SMR. Là c'était un succès, mais malheureusement ça ne se passe pas toujours comme ça. On est parfois un peu frustrées parce qu'on n'a pas de baguette magique et qu'on est souvent un peu limitées». 

Bilan déjà positif

Virginie Adam évoque une absence de «culture gériatrique» aux urgences, qui ne lui facilite pas toujours la tâche. «On est dans l'aigu et la culture gériatrique n'est pas vraiment en place», regrette-t-elle. C'est d'ailleurs l'un des rôles des infirmières gériatriques de sensibiliser les équipes médicales et paramédicales à cette culture. «On a par exemple un rôle d'information auprès des équipes paramédicales, davantage technique cette fois, sur l'hydratation, le changement de position, on informe sur l'importance de lever les jambes des patients âgés quand c'est possible, de limiter les risques d'aggravation au niveau cutané etc». La sensibilisation avance à petits pas, «les médecins n'ont pas encore vraiment encore le réflexe de faire appel à nous», explique l'infirmière, qui espère être peu à peu davantage identifiée et interpelée. Le bilan est déjà positif avec seulement 3 retours aux urgences en deux mois, «dont un pour un problème médical et deux pour un problème de maintien à domicile», précise l'infirmière.

Un soutien bienvenu aux professionnels des urgences

Côté patients et leur entourage, les retours sont également encourageants. «Au niveau des urgences, l'équipe paramédicale et certains médecins se montrent assez satisfaits parce que les infirmiers gériatriques font ce que les soignants n'avaient pas le temps de faire. Ils peuvent déléguer. On a aussi un retour positif des services de médecine et de chirurgie qui sont assez contents de ce questionnaire PANDA, très précis, qui les aide aussi dans la prise en charge du patient». L'infirmière met en avant son rôle social, pour lequel elle ne s'estime pas assez formée. «Parfois on tâtonne un peu, on ne connaît pas encore toutes les structures sur lesquelles s'appuyer, tous les leviers existants, mais on a un bon soutien de la part des assistantes sociales», conclut Virginie Adam. Le dispositif sera réévalué au mois de juin prochain. 

 


Source : infirmiers.com