Comment s’incarne le leadership infirmier dans les pays africains et parvient-il à contribuer à améliorer la qualité de la prise en charge des patients, dans des contextes par essence pénalisés par le manque de moyens et de ressources ? À l’occasion du congrès du Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l'espace francophone (SIDIIEF)*, Odette Mwamba-Banza, ancienne directrice des soins au sein de la clinique Ngamelia à Kinshasa (RDC), députée nationale et experte dans la prise en charge du virus Ebola, est venue présenter l’exemple de son hôpital, où le leadership infirmier a permis de modifier l’organisation de 3 services pour une meilleure prise en soin des patients.
Le leadership, c’est « la capacité de de modifier l’existant, et d’induire une meilleure manière d’agir pour améliorer la qualité de soin et la sécurité du patient
Les conditions du leadership infirmier
Qu’entend-on par "leadership" ? C’est « la capacité de reconnaitre ses forces et ses faiblesses, de mettre en œuvre ses compétences, d’influencer le terrain ou ses pairs, de modifier l’existant, et d’induire une meilleure manière d’agir pour améliorer la qualité de soin et la sécurité du patient », liste l’infirmière. Une posture qu’elle associe à "l’empowerment", soit un processus évolutif qui consiste à développer des aptitudes pour s’améliorer, une stratégie d’intervention et éducative, à mettre en place après identification des forces et des problèmes d’un métier, d’un service… Le tout reposant sur un partage de pouvoir entre les professionnels. « On ne peut pas autonomiser quelqu’un s’il n’a pas intériorisé ce que vous avez partagé avec lui », juge-t-elle.
Au sein de la clinique Ngalemia, le leadership s’illustre dans le mode de gouvernance. La direction des soins infirmiers, ou de "nursing", "gère les infirmiers et les paramédicaux », et se compose des directeurs, de leurs adjoints, de deux coordonnateurs (de soin, et technique), puis des chefs de service, de pavillon et enfin d’équipe. « Nous avons mis en place des cadres de concertation : des "conseils de nursing restreints", qui réunissent la direction et les chefs de service, et des "conseils de nursing étendus", qui réunissent la direction et les chefs de service et de pavillon », explique-t-elle. Un plan d’action opérationnel est par ailleurs défini tous les 5 ans au sein de la direction de nursing, qui fait l’objet d’évaluations annuelles et de mi-parcours. Et en termes d’organisation des services, la direction de nursing recourt à une alliance de 3 approches de gestion du travail : Kaizen, les 5S et Total Quality Management (TQM) (voir encadré), afin d’améliorer les conditions de travail.
Les approches 5S (Seiri, seiton, seiso, seiketsu et shitsuke) et Kaizen sont des méthodes de gestion et de management imaginées dans le cadre… des usines Toyota, au Japon. L’approche 5S vise à standardiser et fluidifier l’organisation du travail, pour limiter notamment les pertes de matériel et les accidents, optimiser le temps et les conditions de travail, et améliorer l’environnement. La méthode Kaizene tend à améliorer la productivité, par l’introduction de petits changements, et repose sur l’implication de tous les employés à tous les niveaux. L’idée étant de « pérenniser » ce qui a été pensé via la méthode 5S et « d’aspirer au meilleur ». Enfin, le TQM est un mode de management, inventé également au Japon dans les années 1950, qui cherche à améliorer la qualité de l’organisation du travail, de prévenir les risques et d’assurer une gestion judicieuse des ressources. Il intègre 3 principes : la gestion des risques, le développement durable, et la motivation et la reconnaissance du personnel. Au sein de la clinique Ngamelia, il s’incarne notamment dans le recours à la formation continue.
Le transformation innovante de trois services
Dans la clinique Ngalemia, le leadership infirmier a permis d’introduire des modifications dans 3 services différents.
- En gynécologie, depuis 2012, les conjoints des femmes enceintes sont désormais impliqués dans le suivi de leur grossesse, des consultations prénatales à l’accouchement. « Un travail de conscientisation a notamment été réalisé auprès des conjoints pour qu’ils accompagnent leur femme », relate Odette Mwamba-Banza. Par ailleurs, en salle de travail, les femmes peuvent se faire accompagner d’une personne de leur choix et sont libres d’adopter la position qu’elles souhaitent, dès lors que cela ne gêne pas le bébé à naître. Les effets positifs sont nombreux : « les femmes sont plus rassurées, elles ont plus confiance en l’équipe soignante ; l’adhésion aux différents modes d’accouchement est plus rapide et plus facile », énumère l’infirmière. De 6 037 consultations en 2012, le service est passé à 9 414 en 2021. Et le nombre de femmes accompagnées par leur conjoint, de 80 en 2012, est grimpé à 728 en 2021.
- En néonatologie, ensuite, les parents ont désormais la possibilité de rendre visites deux fois par jour à leur enfant, quand l’unité fonctionnait auparavant en circuit fermé où les contacts de la famille se limitaient aux seuls professionnels de santé pour le suivi de son état de santé. « Les mères peuvent même allaiter 3 fois par jour », précise Odette Mwamba-Banza. En revanche, les visites s’effectuent toujours à travers une vitre en cas de très grande prématurité. Là encore, les effets positifs se sont vite faits sentir, avec « des enfants qui évoluent mieux ».
- Enfin, en médecine interne, c’est toute une politique de prévention des escarres qui a été mise en place. Confrontés à des moyens limités, les personnels infirmiers ont réfléchi à l’amélioration des soins d’hygiène et de la surveillance et de la friction des points d’appui. Sont notamment pris en compte les facteurs de risque (immobilisme, âge du patient, pathologie…) pour identifier les personnes les plus à risque. Entre les changements de position des patients, le recours à un matelas anti-escarre – « seul matériel moderne dont nous disposons » - et à une pommade pour frictionner les points d’appui, « nous avons réduit la prévalence des escarres, qui est passée de 11% en 2012 à 3,71% au premier semestre 2022, avec les moyens du bord. »
La constitution du métier d’infirmier et de sa formation, au Congoe, a été longue et a couvert tout le XXème siècle, rappelle Odette Mwamba-Banza. En guise de formation, les professionnels étaient d’abord « initiés » après une période de 6 mois passés auprès des médecins durant la colonisation, durée qui est passée à 12 mois en 1919. Il faut attendre 1936 pour que soit créée la première école structurée d’infirmiers. La formation dure alors deux ans et permet de diplômer des infirmiers dits "A3". Elle s’étend en 1945 à 4 ans, améliorant les compétences des infirmiers, qui gagnent le niveau "A2". « Ce sont eux qui ont mené la lutte pour que nous disposions de l’Association nationale des infirmiers du Congo en 1968 », relate-t-elle, insistant sur le fait qu’ils possédaient une forte « connexion politique ». En 1972, ouvre alors l’Institut supérieur des techniques médicales (ISTM), toujours sur l’impulsion des infirmiers A2, « que l’on considérait sous-formés, mais qui avaient développé un vrai leadership », puis sont instituées en 1984 les directions de soins infirmiers dans les hôpitaux. La dernière date fondatrice du métier d’infirmier correspond à celle de la création de l’Ordre national infirmier congolais, en 2015, soutenue par le SIDIIEF. « Nous nous considérons comme des héritiers des A2 », raconte Odette Mwamba-Banza, « alors nous sommes allés solliciter nos politiciens. »
« Nos défis », rappelle-t-elle, « sont un environnement de travail inadéquat, la médiocrité du salaire et des primes » - un infirmier congolais gagne moins de 100 dollars par mois – « un faible taux de rapport d’incidents et accidents, et une insuffisance de matériels de soin et du personnel infirmier », avec notamment un personnel qui vieillit, remplacé par des professionnels plus jeunes mais moins aptes à réaliser les tâches complexes. Pour autant, veut-elle croire, « une infirmière ou un infirmier est un leader inné. Il suffit d’un environnement adéquat, d’une ouverture d’esprit et d’un engagement pour sauver des vies, ou à défaut de vouloir améliorer sensiblement vécu de nos populations. »
*Qui s’est tenu du 16 au 19 octobre à Ottawa.
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