Il y a 5 ans, le 17 mars 2020, face à la menace du Covid, la France se confinait pour la première fois de son histoire. La veille, Emmanuel Macron appelait à la « mobilisation générale ». Une mobilisation dans laquelle les professionnels de santé se sont tenus en première ligne, malgré le manque de moyens, tant humains que matériels.
Les crises sont des moments où l’on doit prendre des décisions qui conduisent à l’émergence de nouvelles pratiques, à l’inventivité, à la créativité.
L’ensemble du secteur de la santé alertait alors déjà depuis des mois sur une situation de plus en plus tendue sur le terrain, que la crise sanitaire est venue cruellement mettre en lumière et aggraver. Pour autant, les crises sont des moments « où l’on doit prendre des décisions », qui conduisent à l’émergence « de nouvelles pratiques, à l’inventivité, à la créativité », souligne Sandra Bertézène, professeure du Cnam et titulaire de Chaire de Gestion des Services de Santé, lors d’un webinaire organisé par Hospimedia* pour dresser le bilan de cette période. Car 5 ans après l’apparition des premiers cas, quels enseignements le secteur de la santé, et plus largement les pouvoirs publics, ont-ils tiré de cette crise inédite ?
En 48 heures, les Samu avaient constaté une multiplication par 3 ou 4 du nombre de leurs appels. On ne mesurait pas la portée de l’idée de vague épidémique.
Face à la crise, un système de santé peu préparé
Pour comprendre les impacts que la pandémie a eu sur le monde soignant, il faut revenir à ces premières semaines de 2020 quand apparaissent les premiers cas de Covid. Ce qui prime alors, c’est la sidération. Sur le terrain, on assiste « à une certaine confusion », se remémore François Braun, à l’époque président de Samu-Urgence de France (SUdF) et chef du pôle Urgences, médecine polyvalente, justice et précarité de l’hôpital de Mercy, au Centre hospitalier régional de Metz-Thionville (Mozelle). La région Grand Est, particulièrement touchée, subit de plein fouet la première vague épidémique. « En 48 heures, les Samu ont constaté une multiplication par 3 ou 4 du nombre de leurs appels. » Dans le nord, François-René Pruvot, alors président de la Commission médicale d’établissement du CHU de Lille, « ne mesure pas la portée de l’idée de vague épidémique ». « Je vois arriver des malades qui posent des problèmes d’isolement, de diagnostic ». Les établissements de santé ne sont pas, d’un point de vue organisationnel, préparés à affronter la crise qui se profile, et dont personne à cet instant ne présage l’ampleur.
La réponse venue du terrain
Pourtant, assez rapidement, s’enclenche « la réorganisation brutale et totale de l’hôpital », poursuit-il. « Le dialogue s’intensifie avec le ministère de la Santé pour coordonner certaines prises en charge », sont publiés textes réglementaires et circulaires qui doivent avoir une portée immédiate sur le terrain. Dans le Grand Est, François Braun impulse des transferts par TGV de patients vers d’autres régions, voire à l’international : ce sont ainsi 350 personnes qui seront redirigées dans des établissements moins saturés.
La créativité peut avoir lieu parce qu’il y a une décentralisation importante, avec une prise d’autonomie du terrain. C’est grâce à cela que les professionnels ont pu innover, créer en fonction de la situation.
« Au tout début du mois de mars, on suit une doctrine de gestion de crise normale. Mais on se rend compte rapidement que ça ne peut pas tenir. Et c’est là que se déclenche la créativité », complète Sandra Bertézène, qui a étudié les nouvelles formes d’organisation qui se sont mises en place dans les établissements d’Auvergne Rhône-Alpes lors de la crise. Cette créativité « peut avoir lieu parce qu’il y a une décentralisation importante, avec une prise d’autonomie du terrain. C’est grâce à cela que les professionnels peuvent innover, créer en fonction de la situation.» Une prise d’autonomie alors particulièrement bien vécue par les professionnels qui, au niveau local et face à l'impératif de soigner les malades « quoi qu’il en coûte», s’adaptent selon leurs moyens face à l’afflux de patients.
L'urgence et la flexibilité à l'origine de l'innovation
C’est cette flexibilité, cette souplesse laissée aux professionnels de santé, qui constitue peut-être l’héritage le plus intéressant de la période Covid, poursuivent les trois intervenants. Globalement, en particulier au sein du personnel médical, la crise a été perçue comme « une opportunité de porter l’idée du leadership partagé » entre les pouvoirs publics et leurs représentants et les professionnels de santé, avance François Braun, rappelant que ces questions n'étaient pas nouvelles. « Le leadership médical en situation de crise, c’est un problème qu’on pose depuis les attentats de Paris : qui prend le leadership dans ces situations ? » Les ARS ont eu « l’intelligence » de laisser les établissements s’emparer des directives nationales pour les adapter à leur situation propre. « Cette souplesse a été extrêmement riche », estime-t-il.
Au niveau national, une organisation encore trop verrouillée
Pour autant, au niveau national, il n’y a pas eu « d’évolution globale pour le système de santé », déplore Sandra Bertézène, même si les établissements ont su conserver les solutions qui ont fait leurs preuves lors de la crise : collaboration avec les structures du privé, adaptations des horaires pour rendre moins difficiles les rythmes de travail… « On est sur des évolutions locales, mais pas dans la remise en cause de notre système descendant, vertical. » « L’organisation ministérielle est loin de cette culture de la flexibilité », qui s’observe notamment dans les pays anglo-saxons, rebondit François Braun qui, en tant qu’ancien ministre de la Santé, parle en connaissance de cause.
Devant la diversité de l’imprévu, il faut avoir des structures flexibles et adaptables. C’est l’essence même du métier de soignant de s’adapter aux incertitudes.
Or c’est bien dans le transfert immédiat de l’autorité aux professionnels sur le terrain que réside la clé pour affronter les futures crises sanitaires, juge Sandra Bertézène. Car celles-ci relèvent de l’imprévu. « Ça veut dire quoi, se préparer à une crise, surtout imprévue ? », rebondit François-René Pruvot. La prochaine pourrait ainsi se manifester par « une toxicité de l’air sur toute l’Europe. Et ça n’a rien à voir avec ce que l’on a vécu » durant la période Covid. « Devant la diversité de l’imprévu, il faut avoir des structures flexibles et adaptables. C’est l’essence même du métier de soignant de s’adapter aux incertitudes », poursuit-il, plaidant pour l’intégration du leadership des professionnels de santé dans la gestion de crise, à la place « d’une organisation verrouillée ».
Sandra Bertézène, elle, évoque « une bureaucratie flexible : soit la capacité en temps de crise à confier la gestion des événements aux professionnels qui disposent de l’expérience de terrain nécessaire, avant de repasser à un mode d’organisation et de décision plus standardisé une fois la crise passée. La période Covid, conclut-elle, a été « une répétition générale. » « On sait qu’il y aura d’autres crises. À nous d’apprendre. »
La crise sanitaire a eu un autre effet : jeter un coup de projecteur sur les mesures du Ségur. Car si leur mise en application a été lancée après le plus fort de la pandémie, les textes étaient en réalité déjà en préparation bien avant son déclenchement, à la fin décembre 2019. « La crise a montré le bien-fondé qu’il y avait à avancer sur le sujet » de la santé et de son organisation, explique François-René Pruvot. « Il a fallu progresser dans l’ambulatoire, la télémédecine, et ce n’était pas lié à la crise. » Celle-ci a permis d’amplifier certains de ses effets, mais d’autres en ont, au contraire, été ralentis. Mais « le choc révolutionnaire n’a pas eu lieu », nuance François Braun, « et pas à cause de la crise, mais parce qu’on manquait d’un changement de paradigme dans notre système de santé » : soit partir non pas de l’offre de soins disponible sur les territoires mais des besoins en santé de la population. Avec comme corollaires la territorialisation et la collaboration entre l’ensemble des acteurs (publics/privés, médicaux/paramédicaux...).
*Webinaire diffusé le mardi 11 mars 2025.
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