Tout est parti d’une sollicitation du Collectif Inter-Blocs. « Ils avaient l’impression qu’on leur devait une surmajoration, que certains collègues l’avaient et d’autres pas », relate en effet Maître Haïba Ouaissi, du cabinet Cassius Avocats qui a porté l’affaire devant le tribunal administratif de Pau. Lors de la crise sanitaire, les soignants ont en effet été amenés à cumuler les heures supplémentaires. Pour reconnaitre leur engagement, le gouvernement a publié plusieurs décrets qui instauraient une majoration exceptionnelle. Plusieurs professions paramédicales étaient concernées parmi lesquelles les infirmiers, toutes spécialités confondues, et les aides-soignants.
Près de 10 000 soignants n'ont pas vu la surmajoration promise appliquée
Or, à l’issue de la période, nombre de professionnels ont constaté que cette surmajoration ne leur avait finalement pas été appliquée. « On parle de près de 10 000 soignants », compte ainsi Haïba Ouaissi. Parmi eux, donc, une infirmière de bloc opératoire travaillant au centre hospitalier palois qui, devant le tribunal administratif de Pau, a obtenu gain de cause. Dans son jugement rendu le 19 novembre 2024, celui-ci a annulé la décision du directeur du CH de ne pas lui accorder la somme due. « Elle comptabilisait 400 heures supplémentaires en 2021 et 34 heures sur la période 2020 », précise l’avocat. Soit un préjudice estimé entre 2 000 et 4 000 euros, que le centre hospitalier, qui n’a pas apporté d’argument lors de l’audience pour justifier son refus de la payer, s’est vu intimer de lui verser dans un délai d’un mois à compter du rendu de la décision. « La surmajoration est due parce que les heures supplémentaires ont été effectuées, et que l’hôpital n’apporte pas de preuve contraire », souligne-t-il. L’établissement « a commis une erreur de droit », a tranché le tribunal.
Une surmajoration cadrée dans le temps
Pour comprendre l’affaire, il faut revenir à la période de crise sanitaire. Alors que les urgences et les services de réanimation sont saturés par l’afflux de patients atteints de Covid, les soignants « ont été amenés soit à renforcer les blocs opératoires, soit les urgences, soit à venir compenser l’absence de certains de leurs collègues malades ou qui ont été détachés pendant une période provisoire dans d’autres services », rappelle Haïba Ouaissi. Le gouvernement publie alors deux décrets.
Le premier, daté du 11 juin 2020, concerne la période travaillée entre le 1er mars et le 30 avril 2020. Il vise à instaurer « de manière exceptionnelle et temporaire pendant l'épidémie du virus covid-19, d'une part, la compensation sous la forme de la seule indemnisation des heures supplémentaires réalisées » par les agents de la fonction publique hospitalière et de certains agents relevant du ministère des armées, et d’autre part, « la majoration de 50 % de la rémunération de celles-ci. » Un coefficient de 1,875 est ainsi appliqué aux 14 premières heures supplémentaires, les suivantes bénéficiant d’un coefficient de 1,905. Les heures supplémentaires de nuit, elles, sont majorées de 150%, et celles effectuées le dimanche ou lors d'un jour férié, de 99%. Avec une ultime précision : ces heures supplémentaires doivent être payées au plus tard au 1er septembre 2020.
Le deuxième décret, publié le 16 mars 2021, reprend les mêmes dispositions, mais étend la période éligible du 1er février au le 31 mai 2021 ; il sera plusieurs fois modifié pour incorporer d’autres périodes : entre le 2 août et le 31 octobre 2021, puis entre 1er novembre 2021 au 31 janvier 2022. Les mêmes coefficients sont appliqués, dans les mêmes modalités pour la première période. Entre le 2 août et le 31 octobre, un coefficient de 1,89 est appliqué à compter de la première heure supplémentaire effectuée, un autre de 2,52 entre le 20 décembre et le 31 janvier.
C'est une question budgétaire : les établissements n’avaient pas prévu cette dépense, et ils n’avaient pas les finances
Attention au délai de prescription
Or « une majorité d’établissements » n’a finalement pas respecté cette surmajoration, estime Maître Haïba Ouaissi. Pour réclamer leur dû, les soignants n’ont donc pas d’autre choix que d’entamer une procédure en deux phases. La première, explique-t-il, consiste à faire un recours amiable pour demander la régularisation de ces heures à l’établissement. Cette étape est obligatoire, insiste-t-il, et doit être réalisée avec le concours d’un avocat, au risque d’être irrecevable ensuite devant le tribunal. Car «quand il y a un silence ou un refus de l’établissement au bout de deux mois, on peut saisir le tribunal administratif. » Attention toutefois aux délais de prescription, prévient-il : 4 ans, plus l’année en cours. « C’est-à-dire que tous les recours que je fais à partir de février 2025 concernent la période à partir du 1er février 2021. » En résumé, plus les soignants tardent à se manifester, plus l’indemnité susceptible de leur être accordée diminue. L’IBODE, elle, a fait son recours en octobre 2021, avant de solliciter le tribunal administratif en février 2023. Contacté, le centre hospitalier de Pau n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Certains DRH nous remercient de faire ces recours, pour une raison simple : il leur faut une décision de condamnation pour payer. Sinon, la DGOS ne les autorise pas à le faire.
Comment expliquer que les hôpitaux n’aient pas appliqué cette surmajoration ? « C’est un peu le même problème que pour la Nouvelle bonification indiciaire, pour les infirmiers de blocs », avance Haïba Ouaissi, qui a contribué à ce que ce complément de salaire soit versé à ces professionnels, qui n’en bénéficiaient alors pas, grâce à deux décisions de justice. « C’est vraiment une question budgétaire : ils n’avaient pas prévu cette dépense, et ils n’avaient pas les finances ». Hôpitaux et établissements médico-sociaux n’ont pas cessé d’alerter au cours et après la crise sanitaire sur les surcoûts liés au Covid et à l'insuffisance de leur compensation. Ils se heurtent également aux directives de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), poursuit-il. « Certains DRH nous remercient de faire ces recours, pour une raison simple : il leur faut une décision de condamnation pour payer. Sinon, la DGOS ne les autorise pas à le faire. » Certains acceptent toutefois de régulariser la situation, évitant ainsi le tribunal. C’est le cas de l’hôpital de Nancy, qui s’est engagé à procéder au versement des sommes dues en décembre 2022, avec effet rétroactif.
Une décision qui devrait faire jurisprudence
« Nous avons une centaine de recours en cours, et il y en a d’autres qui arrivent tous les jours. Les décisions devraient être rendues à l’été 2025. » Le jugement du tribunal administratif de Pau pourrait faire jurisprudence, espère Haïba Ouaissi. « Il nous en fallait un en notre faveur pour débloquer la situation. C’est pour cela que c’est important. Et maintenant qu’il y a un tribunal qui a rendu cette décision, les autres ne peuvent que suivre », conclut-il, avançant que le cabinet d’avocats irait jusqu’au Conseil d’État en cas de procédure d’appel, voire jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme, si besoin.
DÉONTOLOGIE
Les militaires infirmiers soumis à de nouvelles règles déontologiques
LÉGISLATIF
Veille juridique du 16 au 28 février 2025
LEGISLATION
Veille juridique du 15 au 31 janvier 2025
BIBLIOGRAPHIE
Un traité de droit hospitalier pour encadrer les décisions