Les étudiants en soins infirmiers (ESI) ne vont pas mieux ; ce serait même plutôt l’inverse. Leur santé physique comme mentale continue de se dégrader, alerte la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières (FNESI) dans la dernière édition de son enquête Bien-être. « Il était nécessaire d’actualiser les récents chiffres, d’autant que nous sommes à 5 ans après la pandémie. Et nous sommes également dans l’enjeu de la prochaine refonte de la formation infirmière », explique Ilona Denis, sa présidente. Parallèlement, la FNESI observe empiriquement un vrai mal-être chez ses adhérents. Un premier chiffre, déjà : 71,82 % des ESI déclarent que leur santé mentale s’est « dégradée » ou « très dégradée » depuis leur entrée en formation. À titre de comparaison, lors de sa précédente enquête publiée en mai 2022, ils étaient 61,4%, contre 52,5% en 2017. Dans le même temps, 93 % des ESI déclarent se sentir épuisés mentalement, dont 72,30 % régulièrement, voire systématiquement. « Ce constat est alarmant, d’autant que les ESI sont les soignant·e·s de demain », s’inquiète la Fédération. Quant aux facteurs qui expliquent cette dégradation, malgré les multiples alertes, ils demeurent tristement les mêmes.
L'encadrement des étudiants en stage ne peut plus être personnalisé, et limite l’accompagnement individuel qui devrait être proposé à chaque ESI.
Le stage, toujours facteur numéro 1 du mal-être
Il y a d’abord le stage et ses conditions. Manque d’encadrement, qu’aggrave parfois le nombre d’étudiants présents simultanément dans un même service, violences institutionnelles ou des autres professionnels de santé eux-mêmes, ou encore discriminations…, l’expérience s’avère souvent éprouvante pour les ESI. 39% d’entre eux déclarent ainsi être en stage avec d’autres ESI alors même que la surcharge de travail, systémique dans certains services, ne permet pas aux équipes soignantes de les encadrer. « Cet encadrement ne peut plus être personnalisé, et limite l’accompagnement individuel qui devrait être proposé à chaque ESI », fait pourtant valoir la FNESI, qui juge que « ce phénomène est le reflet d’un dysfonctionnement profond du système de formation, où la volonté de former toujours plus remplace la lucidité de former mieux ». La faute notamment à la hausse des quotas d'étudiants, que le système n'est tout simplement pas en mesure d'absorber, commente Ilona Denis. « Il faut s’assurer que les capacités d’accueil en formation sont corrélées aux capacités de formation », plaide-t-elle. « La problématique, c’est que le système de formation n’est pas en capacité d’accueillir ces quotas.»
Parallèlement, les lieux de stage sont souvent le théâtre de violences, qu’elles soient psychiques (discrimination, notamment) ou sexistes et sexuelles (VSS). Comme l’ont mis en évidence les résultats de l’enquête de l’Ordre national des infirmiers (ONI) sur les VSS, les étudiants sont également victimes de ce phénomène. Un constat que la FNESI vient confirmer : près de 16% estiment ainsi en avoir été victimes. Si l’ampleur de ces violences est désormais connue, les étudiants se retrouvent généralement démunis quand ils y sont confrontés, entre minimisation des faits et manque d’informations sur les dispositifs de prévention et d’action existants. « Une omerta est fortement présente dans le système de santé, préférant garder le silence plutôt que dénoncer un·e collègue agresseur·euse », constate la Fédération. Or, dans 52,98 % des cas, ces agressions sont commises par un professionnel de santé.
À cela s’ajoutent des conditions de travail physiques qui prélèvent un lourd tribut sur la santé des étudiants, entre manipulations de patients et de charges lourdes, et station debout prolongée. 48,64 % des ESI déclarent ainsi souffrir de douleurs musculo-squelettiques, contre 42,1% lors de la précédente enquête Bien-être. « Les conditions de stages inquiètent réellement les futur·e·s infirmier·ère·s, car elles sont le reflet du système de santé dans lequel il·elle·s sont attendu·e·s. Face à des équipes en souffrance, des soignant·e·s surmené·e·s, comment continuer de croire et d’espérer en une amélioration de notre système de santé ? », s’interroge la Fédération.
Le mal-être des ESI en chiffres
- 71,82 % des ESI déclarent que leur santé mentale s’est « dégradée » ou « très dégradée » depuis leur entrée en formation.
- 48,64 % des ESI déclarent avoir des douleurs musculo-squelettiques.
- 69,91 % des ESI ont déjà pensé à arrêter la formation, 56% d’entre eux y ont pensé plus d’une fois.
- 38 % des ESI ont déjà consulté un professionnel de santé mentale depuis le début de leur formation, contre 23% en 2022.
- 39,62 % des étudiants sont dans l’obligation de travailler à côté de leurs études pour subvenir à leurs besoins.
- 77,97% des ESI considèrent avoir une qualité de sommeil « insuffisante » voire « très insuffisante ».
- 57,91 % des ESI font l’impasse sur des achats alimentaires à cause de problèmes financiers et 25,49 % d’entre eux le font régulièrement, voire systématiquement.
- 20,33 % des ESI ont déjà eu des idées suicidaires en lien avec la formation, et un ESI sur 10 a déjà tenté de se suicider.
Le stage devrait être un lieu sécurisant, favorable à l’apprentissage pour permettre d'acquérir des connaissances pour construire son raisonnement clinique infirmier.
Conséquence, parmi les ESI qui ont un jour pensé à arrêter la formation, 42% avancent le stage comme l’élément déclencheur. « Le stage devrait être un lieu sécurisant, favorable à l’apprentissage pour permettre d'acquérir des connaissances pour construire son raisonnement clinique infirmier », déplore la Fédération. « Il ne doit pas être un lieu de terreur ou de violence pour les ESI. » « Il faut qu’on puisse agir sur les conditions de stage, parce que sinon on va avoir de plus en plus d’arrêt de formation, d’étudiants qui ont eu envie de faire cette formation, qui étaient motivés, qui se sont engagés dans la volonté de défendre le système de santé et d’accompagner les patients au quotidien, mais qui se retrouvent découragés, démoralisés par des maltraitances, par des violences», réagit de son côté Ilona Denis.
L’une des solutions qu’elle défend depuis plusieurs années pour tenter de résoudre la situation consiste à mettre en place une plateforme nationale d’évaluation des stages. Et inciter ainsi les établissements à proposer des environnements de travail plus bienveillants.Les données seraient collectées anonymement pour ne pas freiner le témoignage des étudiants et leur permettre de s'exprimer librement sur la réalité des terrains de stage, fait valoir la présidente de la FNESI. Les terrains de stage obtenant une mauvaise évaluation pourraient ainsi être fermés, le temps de former les équipes à de meilleures pratiques d'encadrement. Annoncée à l'origine en octobre 2023, le déploiement de la plateforme demeure toutefois au point mort.
Des étudiants qui souffrent de la précarité
L’autre facteur qui concourt à dégrader la santé des étudiants, c’est bien sûr leur situation économique, souvent précaire. 16,5% des ESI indiquent avoir voulu arrêter la formation en raison de difficultés financières. Entre le versement tardif des bourses et une rentrée toujours aussi coûteuse, les futurs infirmiers sont en effet nombreux à devoir cumuler une activité professionnelle en plus de leurs études, parfois de nuit. Ils sont près de 40% à y être contraints. De quoi donc générer du stress et de la fatigue supplémentaires, alors que la formation infirmière s’avère déjà l’une des plus denses au sein de l’enseignement supérieur.
57,91 % des ESI font l’impasse sur des achats alimentaires
Et la précarité a un autre effet délétère : « 57,91 % des ESI font l’impasse sur des achats alimentaires à cause de problèmes financiers et 25,49 % d’entre eux le font régulièrement, voire systématiquement », s’alarme la FNESI. Beaucoup, là encore par manque d’information, ou parce qu’ils sont loin des campus universitaires ou des centres de distribution, n’ont pas recours aux aides alimentaires. Le contexte de l’inflation, avec en parallèle, une indemnisation des stages qui plafonne à 1,03€ de l’heure en première année, 1,31€ de l’heure en deuxième année et 1,71€ de l’heure en dernière année de formation, tend à aggraver ces difficultés financières. Il existe pourtant une solution, s’exaspère la Fédération. Promulguée en avril 2023 et visant justement à favoriser pour tous les étudiants un accès à un service de restauration à tarif modéré, la loi Levy prévoit qu’ils puissent manger soit dans un restaurant universitaire, soit dans une structure publique ou privée conventionnée avec le Crous. En l’absence d’une telle offre, une aide financière doit leur être proposée. Or les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) sont généralement situés à l’écart des campus, rendant l’accès difficile voire impossible à une offre de restauration pour les ESI. Quant à l’aide financière, elle n’est toujours pas en application.
Les comportements à risque augmentent
Victimes de ces difficultés prégnantes, les ESI développent des comportements à risque, voire en viennent à nourrir des pensées suicidaires – c’est le cas de 20,3% d’entre eux. « 16,60 % des ESI, soit plus d’1 ESI sur 6, a commencé à fumer du tabac à cause des conditions de formation », une proportion qui s’élève à plus d’un étudiant sur 2 pour la consommation d’alcool au minimum une fois par semaine, et à un sur cinq pour la consommation de substances telles que du cannabis, de la cocaïne, du LSD ou de l'ecstasy. « En 2022, c’était 1 ESI sur 8 qui était concerné », souligne la Fédération.
Tel qu’il est aujourd’hui, le système de formation sacrifie des étudiants. Il ne répond pas aux besoins du système de santé qui est pourtant confronté à une détresse majeure face au déclin démographique de la profession.
7 étudiants sur 10 ont déjà pensé à arrêter la formation
À l’arrivée, « environ 7 ESI sur 10 ont déjà pensé à arrêter la formation », estime-t-elle. Ce chiffre doit interpeller, alors que se profile la réingénierie de la formation, dans le sillage de la refonte de la profession. Et donc l’occasion de s’emparer à bras le corps de ces problématiques pour y apporter des solutions : aménagement du temps de travail pour les professionnels qui assurent le tutorat en établissement lors des stages, augmentation des indemnités de ces derniers pour les rendre équivalents à ce qui se pratique dans les autres filières (soit 4,35 euros de l’heure), renforcement de l’accessibilité aux Services de Santé Étudiante, présents au sein des universités, via un conventionnement avec des professionnels de santé de proximité, ou encore communication plus appuyée sur les cellules de lutte contre les VSS. Et au vu de la crise qui frappe le système de santé, il y a urgence à améliorer les conditions de formation pour favoriser la rétention des étudiants. « Tel qu’il est aujourd’hui, le système de formation sacrifie des étudiant·e·s. Il ne répond pas aux besoins du système de santé qui est pourtant confronté à une détresse majeure vis-à-vis du déclin démographique des professionnel·le·s de santé », conclut la FNESI
Diffusée entre le 20 novembre 2024 et le 14 février 2025 sur l’ensemble du territoire français, cette enquête a permis de recueillir 16 867 réponses exploitables, soit 14% des 120 000 de l’ensemble des étudiants infirmiers (formation socle ou en formation de second cycle (spécialités ou tout autre master s’inscrivant dans la continuité de la licence en soins infirmiers)). Parmi les répondants,
- 87,98% des étudiants sont des femmes,
- 11,41% sont des hommes,
- 0,61% ne s’identifient à aucun des deux genres.
- 80% ont moins de 25 ans, et près de 6% ont plus de 41 ans.
Le questionnaire comportait 73 questions portant sur 5 thématiques : conditions d’études et de stage, santé mentale, santé financière, santé physique, et discriminations, harcèlement et violences sexistes et sexuelles, précise par ailleurs la Fédération.
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