Les députés ont joué les prolongations, dans la nuit du 10 au 11 mars 2025, pour que soit adopté le projet le loi actant la refonte du métier infirmier à l'Assemblée nationale, ce qui a finalement été fait, à l'unanimité. Le texte acte quatre «missions socles» : la réalisation de soins infirmiers «curatifs, palliatifs, relationnels et destinés à la surveillance clinique», le suivi du parcours de santé des patients et leur «orientation», «la prévention», dont le dépistage et l'éducation thérapeutique, «la participation à la formation» des pairs et la recherche. Il crée aussi la «consultation infirmière», la notion de «diagnostic infirmier», et donne aux infirmières l'autorisation de «prescrire» certains produits, dont la liste sera définie par arrêté.
Une "première étape satisfaisante" pour l'Ordre Infirmier
Sylvaine Mazière-Tauran, présidente de l'Ordre National des Infirmiers (ONI), s'est dite «satisfaite» de cette «première étape», alors que l'adoption de la loi à l'Assemblée nationale marque «l'évolution de la profession et l'amélioration de la prise en charge». Ce n'est toutefois «qu'une première étape» et l'Ordre restera vigilant sur le travail qui sera conduit par les sénateurs. Le texte, dans son parcours législatif, bénéficie de la procédure accélérée (qui implique une lecture par chambre du Parlement, Assemblée nationale puis Sénat, avant d'être adopté, réduisant en cela la navette parlementaire). Une bonne chose pour l'ONI, qui espère l'adoption définitive de cette loi cruciale mais également la promulgation rapide des textes complémentaires (le décret en Conseil d'Etat puis la liste des actes) avant le 31 janvier 2026.
Les notions de "consultation infirmière" et de "diagnostic infirmier" sont actées
«Dans l'ensemble, les différentes propositions que nous avions portées, notamment sur la notion de 'consultation infirmière', la reconnaissance du 'diagnostic infirmier' dans le rôle propre et les missions d'orientation ou les compétences de soins relationnels ont toutes été prises en compte par les députés», a salué la présidente de l'Ordre. «Nous avons également pu obtenir que le texte sécurise les nouvelles compétences attribuées aux infirmières et infirmiers avec l’exception d’exercice illégal de la médecine». La formation, comme les sujets sur la rémunération ou encore les revalorisations salariales, qui ont pu être évoqués par les députés (la gauche comme l'extrême-droite ont notamment demandé des progrès dans la rémunération et la formation des infirmiers) ont tous été rejetés «puisque ce n'était pas véritablement le sujet de cette loi», a simplement noté Sylvaine Mazière-Tauran. L’Ordre appelle maintenant les sénateurs à se saisir «sans plus attendre» du texte pour l’examiner et l’adopter à son tour.
De concert, syndicats et grandes instances représentatives saluent un texte efficace qui devrait permettre de sortir d'un décret d'actes rigide et peu adapté. Pour Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI), le vote de ce texte représente «une grande satisfaction», alors que les infirmiers attendaient justement depuis 2004 la réactualisation du décret d'actes.
La reconnaissance du rôle essentiel de l'infirmier dans l'orientation du patient
Une autre mesure de taille pour le SNPI, celle qui acte la reconnaissance du rôle phare de l'infirmier dans l'orientation du patient, à travers «deux dimensions» : l'orientation officielle du patient par l'infirmier vers un autre professionnel de santé et l'orientation par l'infirmier sur la question du maintien des personnes âgées à domicile (en fonction de l'environnement du patient, de l'adaptation de son logement pour assurer ce maintien etc). «Cela fait 20 ans que l'on parle d'un plan Grand-Âge qui ne débouche toujours pas. Cette loi, c'est donc l'occasion de réaffirmer l'importance de l'infirmière, professionnelle de proximité et dans un lien de confiance avec le patient», note Thierry Amouroux.
Demain, si l'infirmier constate une plaie à l'occasion d'un passage auprès d'un patient, il va pouvoir intervenir directement sans repasser par la case médicale
Les notion de «premier recours» ou encore «l'accès direct» représentent aussi d'indéniables avancées pour la profession : «Demain, si l'infirmier constate une plaie à l'occasion d'un passage auprès d'un patient, il va pouvoir intervenir directement sans repasser par la case médicale, ce qui représente un gain de temps pour le patient, pour tout le monde, et ce qui limite les pertes de chance», souligne Thierry Amouroux. Globalement satisfait, le SNPI garde toutefois «un énorme regret» sur la 4e année de formation infirmière (qui en compte actuellement 3), proposition écartée du texte de loi à l'Assemblée. «On va se battre pour que cela passe au Sénat parce que les études internationales sont claires : lorsque l'on passe la formation de 3 à 4 ans, ça sauve des vies», n'hésite pas à confier le porte-parole, «grâce à un meilleur suivi, à un meilleur niveau professionnel».
De son coté, la FNESI, instance représentative des étudiants infirmiers, évoque au contraire avec soulagement le rejet d'une quatrième année de formation qu'elle estimait «décorrélée de la réalité». «Les étudiant·e·s infirmier·ère·s s’opposent fermement à la possibilité d’ajouter une année supplémentaire à une formation déjà éprouvante», avait-elle plaidé à ce sujet. Avec plusieurs arguments à la clé : cette année de formation supplémentaire priverait le système de santé de 25 000 nouveaux infirmiers lors de cette «année blanche», renforcerait le mal-être des étudiants alors que terrains de stage et encadrement manquent déjà cruellement, et enfin parce que cette année de plus n'a pas été prévue dans le calcul du budget.
Des limitations un peu décevantes dans l'accès direct
«On a une proposition de loi qui a été votée à l'unanimité, ce qui est un élément extrêmement important avant son passage au Sénat», a réagi pour sa part Daniel Guillerm, président de la Fédération Nationale des Infirmiers. «Cette loi ouvre des perspectives pour la profession. Ce qui va, dans les textes d'application, se traduire par des dispositifs concrets qui valoriseront la profession». Une réserve toutefois sur l'accès direct alors que la loi envisage une expérimentation dans des structures d'exercice coordonné : «On aurait préféré quelque chose de plus large», a convenu Daniel Guillerm, soulignant la «prudence» du législateur, taclant au passage le lobby des médecins, qui a pesé, selon lui, sur cette décision. «Il n'y a pourtant pas de crainte à avoir, nous ne sommes pas des irresponsables. Nous n'allons pas amener les infirmiers à prendre des responsabilités qu'ils ne peuvent pas assumer juridiquement. Tout cela va être décliné dans des textes d'application qui seront extrêmement périmètrés».
L’objectif de cette grande réforme, c'est d'injecter de l'agilité dans les textes pour que ceux-ci restent en phase avec une profession qui évolue assez vite
La Fédération Nationale des Infirmier entend bien surtout garder l'esprit de cette loi. «L'objectif de cette grande réforme, c'est d'injecter de l'agilité dans les textes pour que ceux-ci restent en phase avec une profession qui évolue assez vite, des sciences et des techniques qui évoluent également beaucoup plus rapidement qu'il y a 20 ans». La FNI est donc davantage favorable à l'adoption d'un texte «ramassé», qui trouvera sa déclinaison dans des décrets d'application et notamment dans le référentiel d'activités et de compétences, a expliqué Daniel Guillerm en direction des Sénateurs.
«Globalement on est satisfaits de cette loi», a souligné à son tour John Pinte, président du Sniil, le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux, saluant l'aspect «progressiste» de ce texte (avec la reconnaissance de la consultation infirmière, avec le rôle de l'infirmier dans la prévention, l'éducation à la santé, les soins palliatifs...). Une loi «légèrement améliorée» par les amendements retenus, estime-t-il.
Ce qu'on aurait voulu, c'est un accès direct sans passer par une expérimentation, parce qu'on est dans le cadre de notre rôle propre et donc de compétences reconnues depuis longtemps, que ce soit sur la prise en charge de la plaie ou la prise en charge des patients dépendants.
Le Sniil se montre toutefois fermement opposé à l'expérimentation sur l'accès direct adoptée dans le texte, soit une expérimentation de trois ans, dans cinq départements, qui permettra aux infirmiers exerçant dans un établissement de santé ou dans certaines structures pluriprofessionnelles, de « prendre en charge directement les patients ». «Ce qu'on aurait voulu, c'est un accès direct sans passer par une expérimentation, parce qu'on est dans le cadre de notre rôle propre et donc de compétences reconnues depuis longtemps, que ce soit sur la prise en charge de la plaie ou la prise en charge des patients dépendants. Actuellement, si j'exerce à l'hôpital, je n'ai pas besoin d'une prescription médicale pour prendre en charge un patient dépendant, pour prendre en charge une plaie. En ville, si, j'ai besoin de cette prescription médicale pour ouvrir le remboursement des soins. C'est ce qui nous pose problème dans la loi telle qu'elle a été adoptée», a ainsi résumé John Pinte. L'expérimentation est limitée à certaines structures mais aussi géographiquement. «On risque de repartir sur des protocoles entre médecins et infirmiers au sein des maisons de santé ou des CPTS et ce n'est pas ce qu'on attendait. En clair, cette expérimentation vient un peu limiter la portée de cette loi».
Le Sniil espère par ailleurs que les textes seront rapidement publiés, à l'automne. Autre point clé : celui des négociations conventionnelles qui doivent être entamées avant même l'adoption du texte demande-t-il.
Les IPA en attente d'avancées concrètes
Côté Infirmiers de Pratique Avancée : de nouveaux terrains d'exercice leur sont proposés, les services de protection maternelle et infantile (PMI), de santé scolaire et d'aide sociale à l'enfance. L’Union Nationale des Infirmiers en Pratique Avancée (UNIPA) se félicite des avancées pour la reconnaissance des infirmiers, mais alerte sur l’urgence de mesures concrètes. Elle salue notamment l’adoption de l’amendement reconnaissant le premier recours infirmier et un accès direct élargi, «un pas majeur pour l’offre de soins de proximité et qui bénéficiera aux IPA». Pour autant la profession reste en attente d'avancées concrètes listées dans un communiqué : «Une convention propre aux IPA, pour clarifier leurs rôles et structurer les négociations avec l’Assurance Maladie, la révision de leur rémunération, en cohérence avec les besoins de santé, l’urgence de publier l’arrêté sur la primo-prescription, déjà validé par les instances compétentes, et la reconnaissance d’une profession médicale intermédiaire, pour un positionnement clair dans l’offre de soins déjà obtenue avec le premier recours, ainsi qu'une refonte des mentions IPA, pour mieux répondre aux besoins populationnels».
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