Que se passe-t-il avec le texte sur la primo-prescription pour les infirmiers en pratique avancée ? Depuis la publication du décret, en janvier 2025, leur autorisant l’accès direct, la liste des produits et examens qu’ils sont censés pouvoir prescrire se fait plus qu’attendre. Pourtant, rappelle la SoFRIPA (Société française de recherche des infirmiers en pratique avancée) dans un communiqué, l’arrêté « est prêt à être publié depuis juillet 2024 », et il a passé « toutes les étapes de concertation entre les IPA et les médecins » et de validation au Haut conseil des professions paramédicales (HCPP), avant de recevoir l'aval de l’Académie de médecine.
En réalité, si le texte demeure dans les limbes, c’est tout simplement parce que Yannick Neuder, ministre chargé de la Santé, se refuserait à le publier en l’état. Et s’attacherait à le réécrire, indique Sebastien Chapdaniel, le président de la SoFRIPA, qui a participé à un échange avec lui la semaine précédente. Pire encore, c’est en fait toute la compétence des IPA à prescrire qui pourrait être remise en question. L’Union nationale des infirmiers en pratique avancée (UNIPA), qui était également présente lors de cette réunion, révèle de son côté qu’une modification de l’arrêté du 18 juillet 2018, qui fixe les axes techniques que les IPA sont autorisés à réaliser, pourrait venir restreindre drastiquement la liste des produits et examens dont ils peuvent actuellement renouveler la prescription. « Yannick Neuder souhaiterait reformuler le texte en remplaçant la mention “pour les pathologies dont il assure le suivi” », qui introduit la liste des prescriptions médicales en Annexe 5, « par “dans le cadre de sa mention” », précise Laurent Salsac, secrétaire adjoint du syndicat.
Un patient n’est pas simplement atteint d’une seule maladie. Il faut que sa prise en charge soit globale.
Or, dans un cas comme dans l’autre, l’impact de telles décisions sur l’exercice IPA serait énorme. Parce que, dans le meilleur des cas, elles repousseraient en premier lieu la publication de l’arrêté sur la primo-prescription au plus tôt à début 2026. « Réécrire l’arrêté signifie rouvrir des concertations avec les IPA, disons en avril-mai. Puis il faudra envoyer le texte au HCPP, qui ne se réunit qu’une fois par mois, donc mettons qu’il délibère dessus en juin ou juillet. Viendra ensuite le tour de l’Académie de médecine, à qui il faut généralement deux mois minimum pour rendre un avis », soit en septembre ou octobre, détaille Sebastien Chapdaniel.
Une menace pour l'exercice
Et il y a ensuite « ce frein considérable » à l’exercice IPA que représenterait une modification de l’arrêté de juillet 2018, réagit de son côté Laurent Salsac. Concrètement, un IPA ne serait plus en mesure de prescrire des traitements autres que ceux strictement liés aux pathologies dont il assure le suivi, dans le cadre de sa mention (pathologie chronique stabilisée, hémato-oncologie, psychiatrie et santé mentale, urgences, et néphrologie, dialyse et transplantation rénale). « Un patient qui est atteint de cancer peut souffrir de dépression, un autre qui souffre d’un trouble psychologique peut être diabétique », donne-t-il en exemple, expliquant que, en l’état actuel, les IPA sont en mesure de renouveler les traitements ciblant ces problématiques de santé associées. « Un patient n’est pas simplement atteint d’une seule maladie. Il faut que sa prise en charge soit globale ! » Et la position du ministre est d’autant plus difficile à digérer que les pharmaciens, eux, ne sont pas soumis à ces contraintes alors « qu’ils n’ont pas accès aux analyses, aux bilans sanguins… ».
Sur le terrain, les professionnels perçoivent cette volonté de réécrire l'arrêté de 2018 comme une menace. Selon une concertation menée par l’UNIPA auprès de 850 IPA à la suite de la rencontre avec le ministre chargé de la Santé, l’immense majorité (93%) indiquent vouloir conserver la formulation actuelle du texte. Et 68% d’entre eux estiment que sa modification mettrait en péril leur activité. Ce serait en réalité un vrai retour en arrière pour la profession, que rien ne vient justifier. « Cela fait 5 ans que l’on fonctionne ainsi, et cela n’a jamais causé de problèmes ou d’accidents », plaide Laurent Salsac. La preuve en est que, en termes de Responsabilité civile professionnelle (RCP), les IPA paient les mêmes tarifs que les autres infirmiers. « En formation, la première année est commune à tous les IPA, et c’est à ce moment qu’on aborde la pharmacologie », rappelle-t-il à toutes fins utiles.
Les négociations conventionnelles pourraient être retardées
Et puis il y a la question de l’Assurance maladie. Impossible pour elle, indique-t-elle aux IPA, d’organiser des négociations conventionnelles tant qu’elle n’a pas en main l’ensemble des textes censés cadrer leur exercice. « Il faut qu’elle sache quelles responsabilités nous allons endosser », expose Sebastien Chapdaniel. « Si nous avons des responsabilités moindres, elle nous rémunèrera évidemment moins. » D’ailleurs, la CNAM s’est fendue le 13 février dernier d’un communiqué à destination des IPA exerçant en libéral pour leur rappeler qu’ils ne sont pas autorisés à prendre des patients en accès direct tant que n’aura pas été signée une nouvelle convention. Or repousser la publication des textes, c’est repousser d’autant plus la tenue de ces négociations, et surtout leur mise en application. Car il faut attendre 6 mois avant que celles-ci ne prennent effet. « Ce qui veut dire qu’il n’y aura pas d’accès direct pour les IPA avant au moins début 2026 », laisse tomber Laurent Salsac.
Nous ne voulons pas être le plafond de verre de la profession !
Dans un contexte où la pratique avancée, jeune profession, a encore du mal à trouver sa place dans l’écosystème de la santé, y compris dans les structures, et où les IPA ont le sentiment d’être encore trop mal reconnus, ce retard et ces restrictions viendraient fragiliser un exercice en libéral qui peine à se développer. Pire, limiter les compétences des IPA aurait, in fine, un impact sur l’ensemble de la profession. « On fait deux années d’étude supplémentaires. Si on n’a rien, imaginez ce qu’il en sera pour les autres infirmiers », s’alarme l’IPA, qui prend l’exemple des tarifs des consultations. « Si le médecin facture 30 euros, alors l’IPA facture 20-22 euros. Et ce sera quoi pour les infirmiers ? 10 euros ? On ne va pas bien loin avec ça. » La montée en compétences des IPA suppose également celle des infirmiers en soins généraux, défend-il, rappelant que l’objectif est de parvenir à une juste répartition des missions en fonction des compétences de chacun. « Nous ne voulons pas être le plafond de verre de la profession ! »
C’est un recul en arrière qui est complètement déconnecté des besoins populationnels
Une proposition au détriment des patients
Mais en bout de chaîne, ce sont surtout les patients qui s’en trouveraient pénalisés. « Restreindre le renouvellement des produits de santé des IPA pourrait entraîner des retards dans la prise en soin des patients et fragmenter leur parcours, en particulier dans les territoires où l’accès aux soins est difficile et engendrait un coût supplémentaire pour les finances publiques », déplore l’UNIPA dans son communiqué. Et qui va surtout à l’encontre des discours actuels sur la nécessité de renforcer les compétences de toutes les professions de santé, dans un contexte tendu de démographie médicale. « C’est un recul en arrière qui est complètement déconnecté des besoins populationnels », rebondit Laurent Salsac, et qui risque d’entraîner des ruptures de parcours, voire des renoncements aux soins. « Si un patient doit voir 3 professionnels différents pour avoir son traitement », il sera tout simplement tenté d’abandonner. « La perte de chance, le retard de prise en soin et l’encombrement des maisons médicales de garde pour des motifs non urgents ne semblent gêner personne. Par contre, bloquer le déploiement des IPA semble être une priorité », s’agace de son côté, sans mâcher ses mots, la SoFRIPA. Elle met également en garde contre l’alourdissement de la charge de travail des médecins et les retards que subirait la mise en œuvre d’une organisation des soins plus efficiente qui en découleraient.
Il n’y a pas que les textes destinés aux IPA qui seraient dans le viseur du ministre chargé de la Santé. Il souhaiterait également revenir sur l'un des alinéas de l’Article 1 de la loi infirmière, votée dans la nuit du 10 au 11 mars 2025, « qui cadre le premier recours. Il espère le voir tomber au Sénat », révèle Sebastien Chapdaniel. Or il est primordial pour la profession, car y sont associées un certain nombre d’évolutions, dont la création d’une consultation infirmière. « Dans le premier recours, il y a 3 dimensions : l’accès direct, le diagnostic et la primo-prescription », résume Laurent Salsac. Là encore, les IPA défendent cette montée en compétences des infirmiers en soins généraux, ne serait-ce que parce qu’elle légitimerait un peu plus une partie de leur exercice. « En tant qu’IPA, dans nos textes, il n’est pas marqué qu’on fait une consultation mais qu’on réalise “une séance de soin ”», rappelle-t-il.
Quelles actions envisagées ?
Comment alors expliquer ce revirement qui va à l’encontre des messages envoyés jusque-là par le gouvernement ? « Yannick Neuder s’est opposé à la loi Rist », qui ouvre justement l’accès direct aux IPA, lors des débats à l’Assemblée nationale, rappelle Sebastien Chapdaniel. Il met en avant, tout comme Laurent Salsac, un biais de perception, dû à la profession de cardiologue du ministre. « Les cardiologues sont des professionnels hyper spécialisés. Ils ont du mal à comprendre que les patients ont besoin d’une prise en charge holistique », avance ce dernier.
Face à lui, les IPA ne comptent toutefois pas en rester là. « Si nous n’avons pas de réponse à nos alertes, nous allons devoir durcir le ton », prévient le secrétaire adjoint de l’UNIPA. « Nous irons solliciter les députés, les sénateurs. » Le petit nombre d’IPA – environ 5 000 en France – ne les a pas empêchés de se faire entendre lors des débats sur la loi infirmière, fait-il notamment valoir. Avec, à l’arrivée, un objectif : que Yannick Neuder soit dessaisi du sujet. « Notre espoir, c’est que Catherine Vautrin [la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités] reprenne le dossier à la place de Yannick Neuder et qu’elle sorte l’arrêté » sur la primo-prescription, conclut Sebastien Chapdaniel.
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