DÉVELOPPEMENT DURABLE

Quelles pistes pour décarboner les produits de santé ?

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Publié le 19/06/2025

Médicaments et dispositifs médicaux pèsent lourd dans le bilan carbone du système de santé. Un constat qui n'a rien d'une fatalité, selon les derniers rapports du Shift Project, qui identifie plusieurs leviers pour réduire de 68% et 72% respectivement leur empreinte écologique.

pile de boîtes de médicaments, soignant

Crédit photo : GARO/PHANIE

Vieillissement de la population et multiplication des maladies chroniques : l’évolution démographique aura aussi un impact sur la consommation de médicaments et des dispositifs médicaux, avec une hausse à prévoir. D’où la nécessité d’évaluer l’empreinte carbone de ces produits de santé, en commençant par identifier leurs sources d’émission de gaz à effets de serre. C’est à ce projet que s’est attelé Shift Project, avec le soutien de l’Assurance maladie, qui a fait l’objet de la publication de deux rapports, intitulés respectivement « Décarbonons les dispositifs médicaux » et « Décarbonons les médicaments ». Première étude du genre, elle s’inscrit dans la continuité de la précédente enquête du think tank sur le système de santé. En 2023, il évaluait ainsi à 8% le poids des émissions des gaz à effets de serre dont ce dernier serait responsable. « Dont la moitié provient des achats de médicaments et de dispositifs médicaux », souligne Baptiste Verneuil, chargé de projet et pilote Industries des dispositifs médicaux au Shift Project, lors d’une conférence de presse.

Le changement climatique et les tensions croissantes sur l’approvisionnement en énergies fossiles vont profondément affecter les industries des dispositifs médicaux.

Il y a donc de forts enjeux, aussi bien de réduction des impacts de ces industries sur l’environnement que de résilience. Car elles dépendent largement de l’exploitation des énergies fossiles, elles-mêmes n’étant pas infinies. « Le changement climatique et les tensions croissantes sur l’approvisionnement en énergies fossiles vont profondément affecter les industries des dispositifs médicaux. Leur chaîne de valeur, largement mondialisée, va devenir de plus en plus vulnérable aux risques physiques liés au climat », expose notamment le rapport.

Des étapes de production particulièrement génératrices de gaz à effets de serre

La production des médicaments consommés en France, qu’ils soient fabriqués sur le territoire ou qu’ils soient importés, et celle de dispositifs médicaux génèrent ainsi respectivement 9,1 millions et 7,4 millions de tonnes de CO2, selon Shift Project. Et ce sont les étapes de production qui pèsent le plus lourd : pour les premiers, les principes actifs représentent 25% des émissions, du fait de l’importante consommation d’énergie qu’ils nécessitent, explique Robin Henocque, pharmacien chargé de mission Industries de santé au Shift Project. Et pour les seconds, les matières premières sont responsables à elles seules de plus de la moitié de leurs émissions (52%). Le problème vient notamment d’une production mondialisée – « entre 60 et 80% des principes actifs sont produits en Inde ou en Chine », précise Shift Project –, alourdissant de fait le bilan carbone. Il faut ainsi 1,3kg de pétrole pour produire 1kg de paracétamol, et la production de 1kg de principe actif génère 65kg de CO2, donne-t-il en exemple.

Conditionnement et formulation, emballage et transport en tête des process polluants

Dans la chaîne de valeur du médicament, ce sont ensuite le conditionnement et la formulation (11%), les emballages (9%), le transport (9%, dont 40% dû au seul fret aérien) et l’usage de gaz médicaux (7%) qui émettent le plus de gaz à effets de serre. Et pour les dispositifs médicaux, c’est plutôt du côté des procédés de transformation (20%), des activités corporatives (12%), et de la logistique (10%) qu’il faut chercher. « Certains dispositifs sont importés par avion et il y a une prévalence du transport par camion sur dernier km » avant livraison auprès des pharmacies ou des établissements ce qui, là encore, alourdit le bilan, indique ainsi Margot Aubusson de Cavarlay, chargée de projet – Santé, énergie, climat. Mais le poids des émissions diffère en fonction des catégories auxquelles ils appartiennent (équipements de protection individuelle, appareils d’imagerie, instruments chirurgicaux, prothèses…).

Les chiffres de la demande française en médicaments et dispositifs médicaux

Selon le rapport de Shift Project, 3,3 milliards de boîtes de médicaments sont produites chaque année pour répondre à la demande française, réclamant :
- 32 300 tonnes de principes actifs
- 187 000 tonnes d’excipients
- 121 500 tonnes d’emballages.

Parallèlement, la France consomme tous les ans en moyenne :
- 25 000 tonnes de gants, casaques et champs opératoires
- 121 000 tonnes de produits pour l’incontinence
- 74 000 tonnes de consommables en plastique
- 10 000 tonnes de produits pour l’urologie et la stomathérapie
, tous étant des consommables à usage unique.

Plusieurs leviers identifiés pour réduire les émissions

Aussi faut-il adopter des leviers adaptés pour chaque famille de dispositif médical pour décarboner leur chaîne de valeur. Allongement de la durée de vie des équipements d’imagerie ou développement de l’offre des appareils reconditionnés, réutilisation des instruments après stérilisation, retraitement des dispositifs à usage unique ou encore développement de la recherche et de la connaissance autour des cycles de vie des dispositifs font partie des pistes avancées par le think tank. Selon le scénario le plus optimiste : « Nous avons identifié un potentiel de réduction des émissions de l’ordre de 72% » d’ici 2050, annonce Margot Aubusson de Cavarlay.

Ce potentiel est un peu moindre pour les médicaments : 68%. Cette réduction passerait essentiellement par la décarbonation des différents échelons de leur chaîne de valeur, d’une meilleure efficacité énergétique aux premières étapes de la production aux emballages, en utilisant des plastiques moins polluants, et à la fin de vie des produits, en passant par les activités corporatives et les gaz médicaux.

Les gaz médicaux sur la sellette

Véritable sujet qui mobilise les professionnels de santé, notamment dans les blocs opératoires, ces derniers sont principalement constitués des inhalateurs et du protoxyde d’azote, utilisé en anesthésie. Or, on estime à 90% la perte de ce gaz à puissant effet de serre lorsqu’il est distribué en réseau. « Les systèmes de distribution fuient énormément à la sortie », signale en effet Mathis Egnell, ingénieur de projet et pilote du programme santé au Shift Project. Une problématique qui a été identifiée par la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR). L’un des leviers consisterait à utiliser ce protoxyde d’azote en bouteille directement au lit du patient.

La décarbonation doit être proactive et concerner l’ensemble de la chaîne de valeur. Elle doit être intégrée dès la recherche et développement.

Autre piste avancée : la décarbonation en recherche et développement, en limitant par exemple le gaspillage des produits. « Entre 50 et 70% des lots cliniques sont gaspillés » en cours de recherche, du fait d’une production qui ne s’effectue pas en continu et qui s’avère souvent trop importante au vu des cohortes constituées lors des études, avance Robin Henocque.

La moitié du processus de décarbonation proviendra de la baisse des émissions des étapes de production.

Restent tout de même des leviers transverses, à même de réduire ces émissions de CO2 et mobilisables pour les deux industries. À commencer par la relocalisation de la production. « La moitié du processus de décarbonation proviendra de la baisse des émissions des étapes de production », relève ainsi Mathis Egnell. Fabriquer les médicaments en France plutôt qu’en Chine ou en Inde permettrait de les réduire de 50 à 60%, estime par exemple Shift Project, notamment en réduisant le recours au transport.

Mobiliser l'ensemble de la chaîne de production

Le think tank propose également de privilégier le fret maritime par rapport à l’avion, de recourir à des fournisseurs plus vertueux, engagés dans une stratégie active de décarbonation, ou encore de privilégier les usines implantées sur des territoires où l’énergie est la plus propre.

Autant de propositions dont pouvoirs publics et industriels doivent s’emparer et qui demandent l’engagement de tous. « La décarbonation doit être proactive et concerner l’ensemble de la chaîne de valeur. Elle doit être intégrée dès la R&D », conclut-il. Pour sa prochaine enquête, le think tank entend se placer à l'échelle des professionnels de santé afin d'évaluer leur marge de manœuvre.


Source : infirmiers.com