ESPACE INFIRMIER FRANCOPHONE (SIDIIEF)

"Il est essentiel de bâtir des ponts et de s'inspirer des meilleures pratiques infirmières"

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Publié le 11/09/2025

Après 23 ans au poste de directrice générale du Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone (SIDIIEF), Hélène Salette quittera ses fonctions à la fin décembre 2025. A quelques mois de son départ, elle fait le point sur les réalisations et les nouveaux enjeux de l’organisation.

Hélène Salette, tribune du Congrè mondial du SIDIIEF

Le SIDIIEF a été créé au début des années 2000. À quels enjeux, à quels questionnements entendait-il répondre ?

Le SIDIIEF a été officiellement lancé le 20 mars 2000 à Montréal, à l’occasion de la Journée internationale de la Francophonie. Il est né de l’ambition forte de constituer une véritable communauté infirmière francophone à l’échelle internationale, dans un contexte où plusieurs enjeux devenaient pressants : le décalage en matière de formation infirmière entre les pays francophones et le reste du monde, les impacts de la mondialisation sur les professions de santé, et l’absence d’un espace dédié au partage des savoirs scientifiques et cliniques en français. Le projet de création du SIDIIEF a été impulsé notamment par Gyslaine Desrosiers, qui était alors présidente de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ). Il s’est aussi nourri des aspirations exprimées par des infirmières, professeures, cliniciennes et gestionnaires provenant de plusieurs régions du monde francophone (Québec, Europe, Liban, Afrique), qui ressentaient le besoin d’une voix commune, en français. Il existait déjà des collaborations entre facultés de sciences infirmières, des échanges entre hôpitaux universitaires en Europe et au Québec. La création du SIDIIEF devait permettre de les structurer, de les formaliser pour mieux faire circuler l’information et la rendre plus accessible. Il y avait une volonté collective de s’organiser à l’échelle de la francophonie.

Certes, chaque pays a son propre système de santé, ses réglementations, ses formations. Mais justement, dans cette diversité, il est essentiel de bâtir des ponts, de s'inspirer des meilleures pratiques, de créer un espace de dialogue structuré. La francophonie partage une langue, mais aussi des référents culturels, des valeurs humanistes, et une manière d’envisager les soins et les rapports humains qui méritent d’être portés sur la scène internationale. C’est aussi une question d’équité et d’accès au savoir. Trop souvent, les connaissances en santé, les recherches, les recommandations internationales sont produites et diffusées en anglais, ce qui limite l’accès, la compréhension, ou même la participation active des professionnels francophones, notamment dans certains pays du Sud. Offrir cet espace en français, c’est permettre aux infirmiers de penser, de produire, de publier et d’innover dans leur langue et favoriser une réelle appropriation des savoirs et leur adaptation aux réalités locales.

Comment le SIDIIEF contribue-t-il à faire évoluer la profession infirmière ?

Depuis sa création, le SIDIIEF se donne pour mission de faire rayonner la profession infirmière dans l’espace francophone international en favorisant la diffusion de savoirs scientifiques et cliniques en français. Concrètement, il agit sur plusieurs fronts, en portant des messages politiques forts et en soutenant des prises de position documentées. Les dossiers sur lesquels il se penche émanent d'une écoute active des membres du réseau. Nous réunissons alors des experts du monde francophone, qui discutent des enjeux transversaux d’un sujet, puis nous rédigeons une position qui reflète la vision de la profession infirmière et les grandes recommandations qui s'y attachent pour l'amélioration de la santé de la population. Nous mettons ensuite nos recommandations à disposition des membres du réseau, qui peuvent alors s’appuyer sur une documentation qui est pertinente et de qualité. Aux leaders de chaque pays ensuite de mobiliser cet outil pour défendre leurs positions et faire bouger les choses à l’échelle locale.

Notre préoccupation, c’est de s’assurer que les infirmières développent leurs compétences, qu’elles aient tout ce qu’il faut pour assumer leur rôle social et professionnel ainsi que la qualité des soins et la sécurité des patients.

Le SIDIIEF s'occupe des grands enjeux et défis. Notre préoccupation, c’est de s’assurer que les infirmières développent leurs compétences, qu’elles aient tout ce qu’il faut pour assumer leur rôle social et professionnel et garantir la qualité des soins et la sécurité des patients. Et chaque fois que nous pensons que la profession infirmière peut jouer un rôle sur un enjeu sur la santé des populations, nous essayons de réfléchir à des grandes recommandations. Nous avons notamment travaillé sur la question de la prescription des antirétroviraux sur le continent africain. Dans plusieurs pays d'Afrique francophone, les infirmières étaient habilitées à dépister mais pas à prescrire et des patients diagnostiqués avec un VIH pouvaient parfois attendre jusqu’à 6 mois le passage du médecin pour obtenir leur prescription. Nous avons analysé comment les infirmières pouvaient contribuer à réduire ce délai, et nous avons écrit une prise de position avec d’autres collaborateurs, notamment ARCAD – SIDA Mali, membre de la Coalition Internationale Sida Plus qui réunit des médecins, des travailleurs communautaires et des infirmières.

Des exemples de contributions du SIDIIEF

  • En avril 2011, l'Ordre national des infirmiers était menacé par une crise financière et politique. Le SIDIIEF a adressé une communication officielle au président de la République, Nicolas Sarkozy, pour rapper l'importance de préserver l'institution pour assurer la reconnaissance professionnelle des infirmiers mais aussi garantir la qualité de leur formation et leur mobilité à l'international. « Nous avions salué sa création comme celle d’une organisation structurant la profession. »
  • En 2019, la Belgique débat du niveau de formation requis pour intégrer la formation infirmière. le SIDIIEF appuie alors la position de l'Association belge des praticiens de l'art infirmier, en insistant sur le fait que la formation universitaire de niveau Licence représente le standard minimum. « Nous les avons aidés à préparer leur argumentaire, leur dossier politique », en rappelant l’urgence de consolider un cursus complet en sciences infirmières pour d’assurer l’excellence professionnelle, la qualité de la formation et le déploiement des compétences nécessaires pour répondre aux défis de santé mondiaux.
  • En octobre 2024, sur invitation d’Evelyne Malaquin-Pavan, présidente du Conseil National Professionnel infirmier, le SIDIIEF a contribué aux Journées d’échanges avec les parlementaires français sur les enjeux de la formation initiale, sur le thème « Compétences et enjeux de la formation infirmière ». Hélène Salette, directrice générale, et Jacinthe Pepin, présidente du Conseil consultatif sur la formation infirmière, ont présenté la conférence « Formation infirmière : la clé d’un système de santé durable et sécuritaire », soulignant l’importance d’une formation de qualité pour répondre à la complexité des soins et assurer la qualité et la sécurité.

Vous parliez des grands enjeux et défis que rencontre la profession. Dans un contexte d’hétérogénéité des pratiques entre systèmes de santé, quels sont ceux que le SIDIIEF a jugé prioritaires ?

Notre premier grand dossier politique, ça a été la formation infirmière initiale, qui se développait souvent à un rythme inégal par rapport au monde anglo-saxon, ou les pays hispanophones ou même arabophones, qui étaient déjà passés à une formation universitaire bien structurée. Quand nous avons créé le réseau, nous nous sommes rendu compte que la profession n’était pas formée de manière homogène. Nous ne savions plus ce que c’était que d’être une infirmière. Lors de notre Congrès mondial de 2009, à Marrakech, nos membres ont fait état d’une grande disparité dans les programmes de formation et d’une iniquité dans l’accès au savoir. La formation initiale apparaissait très hétérogène : niveaux d’études variables, conditions d’admission différentes, nombre d’heures de formation inégal, sans compter l’appellation même du diplôme qui changeait d’un pays à l’autre. Ce sont particulièrement les membres issus des pays du Sud qui ont souligné l’urgence d’agir, estimant que, sans action concertée, l’écart croissant avec les pays du Nord risquait de compromettre l’établissement de repères communs pour la profession. Notre démarche s’est ensuite concrétisée par la publication en 2011 du mémoire La formation universitaire des infirmières et infirmiers : une réponse aux défis des systèmes de santé ; ce document de référence a abouti à l’adoption de la Déclaration de Genève en 2012 par l’Assemblée générale du SIDIIEF, qui était la première initiative d’envergure pour notre réseau mondial.

Nous essayons de structurer des actions qui vont permettre aux infirmières et infirmiers de jouer pleinement leur rôle.

Le second dossier d'envergure du SIDIIEF est celui de la qualité des soins et la sécurité des patients, qui ont été désignées comme enjeu prioritaire en 2012, à l’issue de son Congrès mondial. Nous avons publié en 2015 le mémoire La qualité des soins et la sécurité des patients : une priorité mondiale, qui rappelle les recommandations des grands organismes internationaux et souligne le rôle clé des infirmières dans l’atteinte des objectifs systémiques de qualité. Ce mémoire a fait suite à une étude financée par le SIDIIEF et menée par des experts visant à identifier scientifiquement les indicateurs prioritaires pour évaluer la contribution infirmière à la qualité des soins. Très souvent, on juge mal de l’impact des soins infirmiers et on peut faire des coupes budgétaires sans trop comprendre leurs conséquences sur la qualité de la prise en charge. Par exemple, on sait que l’évaluation des chutes est liée aux compétences infirmières ; des infirmières ont développé des échelles d’observation, d’évaluation pour déterminer si une personne présente un risque de chute, et s'il est avéré, les protocoles de soins à mettre en place pour le prévenir. Nous souhaitons que ces indicateurs soient intégrés dans les systèmes de surveillance, notamment pour éviter que l’on ne coupe pas à l’aveugle en cas de restrictions budgétaires. Nous n’en opérons pas l’intégration dans les établissements, mais nous encourageons les directions de soin à s’en emparer et à les utiliser pour démontrer l’importance de la contribution infirmière. Nous avons une vision macroscopique, nous essayons de structurer des actions qui vont permettre aux infirmières et infirmiers de jouer pleinement leur rôle.

L’idée, ce n’est pas la profession pour la profession, c’est l’expertise de la profession pour répondre aux besoins de la population.

Comment le réseau d'échange s’est-il structuré ?

Au fil des années, le SIDIIEF a tissé un réseau solide d’échanges entre ses membres, issus d’une trentaine de pays. Ils se traduisent par des rencontres scientifiques, des congrès mondiaux triennaux, des webinaires. Nous nous appuyons également sur des partenariats avec des institutions en santé, des universités et des associations professionnelles. Nous avons par exemple tissé une alliance avec les médecins francophones du Canada parce que nous partagions une même ambition d’échanger en français. En 2009, nous avons intégré des activités de médecins francophones du Canada lors de notre Congrès mondial. Tout le monde peut adhérer au SIDIIEF, de l’individu jusqu’aux grandes organisations. Nous sommes évidemment un réseau principalement composé d’infirmiers, mais tous les autres professionnels de santé sont invités à nos événements. Lors de nos Congrès, nous accueillons entre autres des physiothérapeutes, des travailleurs sociaux qui viennent présenter leurs projets. Parce que nous faisons partie de la multidisciplinarité des équipes. Et c’est là que réside l’originalité du SIDIIEF : dans son modèle inclusif, où chaque voix compte et où toutes les réalités professionnelles trouvent écho.

L’existence du SIDIIEF, mais aussi votre propre carrière, illustre-t-elle l’importance pour les infirmiers de porter une voix politique ?

C’est un peu l’essence de notre rôle. Encore faut-il savoir ce que l’on entend par « voix politique ». Ce que nous disons, c’est que les infirmières possèdent des compétences qui sont souvent peu ou pas reconnues, et qu’elles peinent à se faire entendre pour influencer des décisions sur l’organisation des soins. Si on a une compétence, des recommandations, il faut être capable de les défendre, il faut pouvoir être invité autour de la table où se prennent les décisions pour améliorer les soins en santé et la qualité des services. L’idée, ce n’est pas la profession pour la profession ; c’est l’expertise de la profession pour répondre aux besoins de la population.

Une carrière au service de la profession

Infirmière clinicienne spécialisée, chargée de cours et conseillère du développement professionnel au sein de l’Ordre infirmier québécois, Hélène Salette a été nommée directrice générale du SIDIIEF à un moment clé de son histoire : en avril 2002, lors des premières années de structuration de l’organisation. Un parcours qui lui a permis de «développer une connaissance fine de la profession infirmière, des enjeux des systèmes de santé et, surtout, une capacité à articuler des argumentaires professionnels et politiques», relate-t-elle. C’est l’idée de participer à la consolidation d’un réseau infirmier francophone qui l’a attirée vers cette fonction au SIDIIEF, alors que «tout était à développer. C’était, et c’est toujours, un lieu, une matière première au service de la profession.» Au cours de ses 23 ans à ce poste, elle s’est appuyée sur des «collaborateurs visionnaires et engagés», dont Gyslaine Desrosiers, présidente-fondatrice de l’organisation, qui l’a accompagnée pendant 20 ans, et Jacques Chapuis, vice-président du conseil d’administration du SIDIIEF, ancien directeur de l’Institut et Haute École de la Santé La Source à Lausanne (Suisse) et organisme cofondateur du SIDIIEF, et aux membres successifs du conseil d’administration. À l’heure de confier les rênes à un nouveau ou une nouvelle candidat(e), elle souhaite surtout que «le SIDIIEF continue de croître et d’être un lieu de convergence et d’influence, un espace où l’on peut penser, innover et agir en français, avec rigueur, profondeur et pertinence, dans un monde où les défis de santé exigent plus que jamais des approches solidaires, scientifiques et humaines.»


Source : infirmiers.com