Le rôle primordiale de l’empathie chez les soignants n’est plus à démontrer. Lors d’un soin, il arrive souvent d’avoir à rassurer un patient, notamment si c’est une personne vulnérable comme un enfant ou une personne âgée. Dans ce nouveau cours, Christine Pillard nous parle des câlins, mais surtout de la tendresse dans la relation soignant/soigné qu’il faut bien sûr savoir dosée mais pas oubliée.
Selon le dictionnaire 1, le verbe câliner, qui vient du normand caliner, signifiait indolence au 16e siècle. Il était synonyme de prendre ses aises et on l’employait pour décrire le comportement des animaux qui se reposent à l’ombre pendant les grandes chaleurs. Au 18e siècle, l’adjectif câlin
, signifie gueux, mendiant
. Et, au 19e siècle, il a changé de sens. Câlin exprimait alors l’idée de dorloter, bercer de regards, adresser des paroles tendres, être caressant. La câlinerie est l’action de câliner, par des mots doux. Elle peut avoir aussi comme intention de flatter pour mieux obtenir quelque chose, par des paroles mielleuses.
Le câlin est un geste tendre, affectueux venant d’un enfant, d’une personne âgée, d’un amoureux vers l’être aimé ou fortement apprécié. Le câlin peut être gratuit, mendié, durable, tout doux, hypocrite, inné, timide… Lien social fort chez l’enfant, il répond au besoin de détresse, de peur, de réconfort, d’affection, de sécurité, d’amour. Pour Robert Philippe 2, le mot câlin
était utilisé pour désigner la relation de tendresse entre les parents et les enfants. Pour Jacques André 3, la douceur du câlin engage la capacité de l’enfant à se faire tendrement cajoler. Peau à peau plus que corps à corps, le câlin est la forme universellement privilégiée d’expression de la tendresse...
. Au-delà d’un moment de douceur partagé, les câlins participent au développement de l’enfant. Privé du contact et de la chaleur d’une mère (ou d’un substitut), l’enfant, même bien nourri, présentera de sévères troubles de la croissance (le psychiatre Spitz fut le premier à décrire le syndrome d’hospitalisme à partir de l’observation d’enfants carencés placés en pouponnière). Dans le cadre social, avec des Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) par exemple, et pour Pascale Garnier 4, les contacts corporels prennent une place importante avec les petits : porter, prendre sur les genoux, réajuster un vêtement, faire un câlin, un bisou… Mais, il faut quand même qu’il y ait une certaine barrière enfant/adulte par rapport aux câlins, éviter de porter tout le temps les enfants…
, explique une atsem. En même temps, trop de distance aux enfants présente un côté inhumain
: Je ne vais pas laisser un enfant qui pleure ou qui se fait mal.
Au fur et à mesure, avec l’expérience, on voit se développer cette tendresse soignante. Les gestes tendres sont réfléchis, ils ne sont pas dénués d’affect mais leur charge est mesurée.
La tendresse dans les soins
Peut-on parler de tendresse professionnelle ? Pour Laurence Kouznetsov 5, cette expression est définie au départ par opposition à la tendresse parentale, cette tendresse repose sur un partage d’affects et sur une réflexion progressive de la part des soignants. Dans ce service dans lequel l’archaïque règne, elle peut apparaître comme une défense, une manière de court-circuiter les émotions très brutes que le bébé fait naître chez le soignant. Au fur et à mesure, avec l’expérience, on voit se développer cette tendresse soignante, dérivée de la parentalité soignante. Les gestes tendres sont réfléchis, ils ne sont pas dénués d’affect mais leur charge est mesurée. Tendresse véritable, trouvant également sa source dans le courant tendre, elle se différencie de la tendresse en général par ses limites dans le temps et l’espace, mais également par sa fonction
.
Le câlin relève d’un contact corporel important dans la mesure où il est aussi expliqué avec les personnes soignées, hospitalisées, prises en charge. Cette relation corporelle par le toucher, les câlins, les baisers créent des circuits émotionnels qui rassurent, font appel aux sens, au développement affectif de l’enfant mais aussi à l’humanité de la personne âgée, de la personne handicapée, différente. Les animaux peuvent aussi être intégrés dans un processus relationnel et corporel. Ceux-ci peuvent être présents dans une maison de retraite. Simple mascotte, animal remède, après-midi câlin, zoothérapie ou médiation animale, le vocabulaire ne manque pas pour décrire les initiatives pour aider les personnes âgées, parfois désorientées, qui aiment câliner. Comme le souligne Sandrine Martin, il existe un lien étroit qui se tisse entre l’être humain et l’animal. Pour l’auteure, cela facilite le contact social, favorise l’apaisement des personnes par le toucher, valorise les besoins affectifs, aide à retrouver une part d’autonomie et à réinitialiser certaines fonctions dont la marche, le langage, le toucher, l’attention, détourne l’attention pour un soin délicat... L’accompagnement de la personne âgée devient alors à la fois particulier et singulier, influencé par le vécu du résident, ses plaisirs, ses émotions, ses pathologies
.
J’avais tellement envie qu’on m’aime–qu’on me câline. En même temps je me dérobais aux câlins trop enveloppants comme ceux de ma tante... Mais en fait je désirais profondément cette tendresse que je fuyais...
Et avec les personnes présentant des troubles du développement
Avec un patient présentant un trouble envahissant du développement (TED), il convient d’articuler un soin psychiatrique dans un protocole spécifique avec un geste créateur, sensible et qui ne soit pas nuisible à la construction d’un individu, quel que soit son environnement. Dans son livre Ma vie d’autiste, Temple Grandin écrit : J’ai commencé à rêver d’un mécanisme magique qui apporterait une stimulation… agréable.
6. Pour Raymond Le Van Huy et Nadya Bouchereau 7, elle rêvait de fabriquer une machine qui l’aiderait à ressentir un corps rassemblé, unifié, et non transpercé par des sensations. Pour les autistes gravement régressés dont nous nous occupons dans le service, nous sommes amenés à inventer des solutions comme l’envelopper très serré
dans un drap, ce qui nous permet de faire enveloppe autour du patient, sans le toucher directement. Temple Grandin poursuit : J’avais tellement envie qu’on m’aime–qu’on me câline. En même temps je me dérobais aux câlins trop enveloppants comme ceux de ma tante... Mais en fait je désirais profondément cette tendresse que je fuyais...
. Il me semble que c’est ce que Del exprimait par ses comportements particuliers. Plus loin, elle note : On doit trouver un équilibre entre enseigner le plaisir de la sensation tactile à un enfant autiste et le paniquer par la peur de se faire engloutir. L’important, c’est de recevoir assez de stimulation et qu’elle soit pertinente…
. De fait, on constate dans la pratique que le contact physique et le regard en face à face sont insupportables pour les sujets autistes. Dans le cas de Temple Grandin, c’est elle qui invente sa solution, sa machine à serrer
. Invention qui l’apaise et lui donne des sensations pour sentir qu’elle a un corps.
Une prise en charge adaptée aux besoins des personnes soignées revient parfois à proposer des gestes, à considérer la singularité de la personne, à construire parfois un tendre lien respectueux. La sécurité langagière, la protection physique, le sentiment d'apaisement sont structurant dans un cadre réglementaire, protocolaire. Le geste soignant peut alors conduire au câlin quand le soignant peut délimiter cette approche professionnelle.
Notes
- Rey, A. Dictionnaire historique de la langue française. Paris: Robert. 2016
- Robert Philippe, « Chapitre 4. La famille et les générations », Les grandes problématiques de la psychologie clinique. Paris, Dunod, « Psycho Sup », 2009, p. 63-90
- Jacques André.Liste des 100 mots par Jacques André. 2013. Presses Universitaires de France
- Garnier Pascale, « 4. Des " relais " entre école et familles : les atsem », Des parents dans l'école, Toulouse, ERES, « Éducation et société », 2008, p. 139-178.
- Laurence Kouznetsov. La tendresse des soignants, passager clandestin en néonatalogie ?. Annales médico-psychologiques.Doi : 10.1016/j.amp.2017.04.001
- Grandin T. Ma vie d’autiste . Paris: Odile Jacob.1994.
- Raymond Le Van Huy et Nadya Bouchereau . Prise en charge en chambre de soins intensifs : entre applications, contraintes et contradictions. Soins Psychiatrie. Volume 35, numéro 294. septembre 2014. pp. 25-29
Christine PAILLARDIngénieur pédagogiqueRédactrice Infirmiers.com christine.paillard@ch-nanterre.fr
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