Cela fait bientôt 6 ans que Mélanie, 27 ans, est infirmière dans un service de réanimation à l’hôpital Necker de Paris. Elle travaille uniquement de nuit. « Quand j'étais en école d'infirmière, je révisais déjà principalement la nuit. C’est un moment où je me sens plus productive, explique-t-elle. Je pense que cela dépend de chacun, c’est une question de physiologie. Pour beaucoup, travailler de nuit est une souffrance. C’est un peu être à contre-courant. »
Célibataire, sans enfant, elle admet que c'est sans doute plus simple pour elle d'être uniquement de nuit. Elle y voit aussi un avantage financier, puisqu’il y a entre 200 et 300 euros par mois de différence au niveau du salaire. « Et puis, la charge de travail n’est pas aussi importante la nuit. On nous en demande beaucoup trop la journée », poursuit-elle.
« Quand on vit la nuit, on vit seul »
De son côté, Manon, 29 ans, est IDE depuis 8 ans. Elle a exercé 7 ans de nuit et est passée de jour il y a un an. Elle exerce dans un Centre de lutte contre le cancer en région PACA. « Le travail de nuit use le corps et l'esprit sur le long terme. J’ai fait un burn-out l'année dernière et je pense que le rythme de nuit y a beaucoup participé. J’étais épuisée. Je n'arrivais plus à être motivée, à faire des choses pour moi sur mes jours de repos. Je dormais toute la journée. Je n'étais plus que l'ombre de moi-même. »
J’étais tellement fatiguée que je ne me faisais plus confiance. Certaines tâches que je réalisais en 15 minutes le jour, me prenaient 45 minutes la nuit.
Elle vivait la nuit : « Quand on vit la nuit, on vit seul parce que la plupart des gens travaillent la journée. » Depuis qu’elle est passée de jour, elle se sent beaucoup mieux : « Quand je rentre du travail le soir, je mange avec mon compagnon. J'ai l'impression d'avoir une vie. Bien sûr, le salaire était plus intéressant avant et j’avais plus de RTT. Et puis j’adore l’ambiance de nuit, il y a moins de pression, moins de médecins, moins de cadres, moins de familles, etc. On est plus autonome : au départ ça peut être une pression supplémentaire mais au final on gagne en réflexion et on développe énormément sa clinique infirmière. »
« L'alternance, pour moi, c’est le pire »
Kathleen, 33 ans, est actuellement intérimaire à l'hôpital public de Saint-Denis, principalement en pédiatrie et en néonatalogie. Auxiliaire de puériculture depuis 2012, elle a intégré un IFSI pour devenir infirmière. Diplômée en 2019, elle a, la même année, pris un poste en réanimation pédiatrique sur un rythme de deux mois de jour et deux mois de nuit. C'était déjà ce qu’elle faisait lorsqu’elle était auxiliaire de puériculture. « A l'époque j'étais plus jeune et ce rythme était plus supportable qu’aujourd’hui. Mais, pour moi, l'alternance, c’est le pire ».
En juin 2020, Kathleen était de nuit et en route pour le travail, sur une faute d'inattention, elle a eu un gros accident de voiture qui l’a conduite en réanimation : « Clairement, c'était la fatigue et mes réflexes étaient amoindris. J'ai eu deux mois d'arrêt maladie. À mon retour au travail, mes responsables n’ont pas accepté de me passer en jour. » C’est la raison pour laquelle elle a choisi l’intérim.
C'est un rythme qu’il ne faut pas garder toute sa vie. C’est un poison pour la santé.
« C’est un cercle vicieux car c'est justement cette alternance qui crée le manque de recrutement, analyse-t-elle au sujet des services qui exigent l’alternance. Beaucoup partent à cause de cela et les potentiels recrutés qui ont le choix d'être fixes dans d'autres services, se tournent vers ceux-là plutôt que ceux qui sont en alternance. » Elle précise que tous les services n’exigent pas l'alternance jour/nuit. Ce sont surtout les soins aigus (réanimation, urgence, bloc, etc.), services dans lesquels la charge de travail est assez lourde avec de fortes responsabilités et donc une nécessité de garder l'esprit clair, ce qui est mis à mal par le changement de rythme.
Anti-physiologique
L’infirmière reconnaît qu’avec l’âge, il est encore plus difficile de travailler de nuit : « J’étais tellement fatiguée que je ne me faisais plus confiance. Certaines tâches que je réalisais en 15 minutes le jour, me prenaient 45 minutes la nuit. Sans compter des erreurs que je n'aurais jamais commises la journée. Ce n'est vraiment pas physiologique de travailler de nuit. » Manon abonde dans ce sens : « Je pense qu'il faut savoir être attentif à son corps, ce que je n'ai pas su faire. C'est un rythme qu’il ne faut pas garder toute sa vie. C’est un poison pour la santé. »
« Nous sommes, en effet, conçus, nous les humains, pour veiller la journée et dormir la nuit. Nous allons à l’encontre de cela en travaillant de nuit », complète Virginie, 56 ans, qui a une expérience de 35 ans de nuit. Il est vrai qu’entre 2 et 5 h du matin, c'est une période de la nuit où il est très difficile de ne pas avoir sommeil, même si on dort bien dans la journée. Sur le long terme, de nombreuses études montrent que cela peut avoir des répercussions graves sur la santé (maladies cardiovasculaires, maladies dégénératives, cancers, etc.). Et puis arriver, quand on travaille de nuit, à retrouver un rythme de jour, quand on est de repos le week-end, n’est pas évident.
Proposer des plannings à la carte ?
Le mieux serait alors d’exiger un temps d’alternance d’un an dès la prise poste qui se ferait pour deux raisons. D’un part pour faire « ses preuves » auprès de l’encadrement qui peut évaluer les professionnels et, si besoin, les recevoir en entretien en journée. D’autre part, pour permettre aux professionnels de savoir s’ils préfèrent travailler de jour ou de nuit ou alterner. Et après ce temps-là, si les professionnels ont une évaluation positive, qu’ils puissent choisir s’ils veulent passer fixe de jour ou de nuit ou même continuer l’alternance pendant un moment. Mais ne plus imposer le rythme de vie.
« Mes collègues qui veulent être fixes de nuit sont en général des personnes plus jeunes qui ont davantage de mal à se lever le matin et qui n’ont pas besoin de beaucoup d’heures de sommeil, constate Kathleen. Lorsqu’elles rentrent chez elles au petit matin, elles dorment 3-4 heures puis profitent de leur journée. Et cela leur convient. J’ai d’autres collègues qui ont des enfants et cela leur va très bien. Leurs maris - soignants, policiers ou pompiers -, sont sur des rythmes un peu inversés. Elles rentrent chez elle puis amènent les enfants à l’école. Elles peuvent aussi les chercher en fin de journée. Pareil pour les mères célibataires. »
Tester le travail de nuit durant l’IFSI
En 35 ans Virginie a observé le travail de nuit à différents échelons. D’abord en tant qu’aide-soignante puis en tant qu'infirmière de nuit. Actuellement formatrice dans un IFSI, elle est de jour depuis la rentrée scolaire de l’année dernière. Dans ce même IFSI, elle intervenait déjà depuis des années pour parler aux étudiants de 3e année des spécificités du rythme de nuit. « J'ai toujours conseillé aux étudiants de tester le rythme de nuit pendant leurs études à travers un stage. Cela permet de voir s’ils arrivent ou non à surmonter cette fatigue, à se reposer la journée en ayant un sommeil réparateur ».
La nuit crée une relation beaucoup plus intime qu'en journée. Le patient va plus facilement se confier, c’est peut-être lié aux fameuses angoisses nocturnes.
Effectivement, dans les avantages du rythme de nuit, elle cite aussi les fameuses primes de nuit qui ont été revues à la hausse dernièrement. « Mais le rythme de nuit est très particulier, tant du point de vue de la fatigue physique que de l'organisation du travail, reconnait-elle. Le fait de travailler la nuit met une certaine pression surtout sur la première partie de nuit. Il faut être efficace et discret, tout en mettant le patient en confiance. Ce qui est souvent difficile parce que les équipes de nuit sont plus réduites que celles de jour. Donc arriver à les préparer à dormir et à ce qu'ils se sentent en confiance n'est pas toujours évident. Et puis, en fonction des unités il y a certains soins que l’on ne peut pas reporter à la journée, ce qui laisse peu de temps aux patients pour dormir. Pourtant le sommeil fait partie du processus de guérison. »
Une plus forte relation au patient
Il y a aussi des périodes de calme dans la nuit, quand les patients dorment, entre 2h et 5h du matin. C’est souvent le moment où les équipes de nuit vont pouvoir se consacrer à d'autres tâches de type commande de pharmacie ou vérification des périmés.
Dans les avantages, Virginie met toutefois en avant la relation avec le patient : « La nuit crée une relation beaucoup plus intime qu'en journée. Le patient va plus facilement se confier, c’est peut-être lié aux fameuses angoisses nocturnes. Je trouve que c'est un privilège de pouvoir prendre du temps avec eux et d'essayer de trouver les origines, l'étiologie de leurs angoisses éventuelles. » En journée, entre les visites, les examens, les patients ont moins l’occasion de parler.
Un esprit d’équipe renforcé
« La nuit, l'esprit d'équipe et l'entraide sont plus forts. Cela ne veut pas dire qu'en journée il n'y en a pas du tout, mais c'est que justement cette forme d'intimité créée par le rythme de nuit, on la ressent aussi au sein des équipes, conclut Virginie. Tout simplement aussi parce qu’il n'y a pas un encadrement aussi important qu’en journée. On est un peu isolés d’un point de vue institutionnel. Un soutien se crée au sein de l’équipe. Et, c'est pour moi le point le plus important concernant le rythme de nuit. »
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