VAL-DE-MARNE

À la Maison de l'Adolescent, des soignants se battent pour les jeunes en souffrance

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Publié le 05/05/2025

Adossée au centre hospitalier intercommunal de Créteil, la Maison de l'Adolescent du Val-de-Marne (94) reçoit des jeunes en grande détresse. Psychiatres, psychologues, infirmiers, éducateurs spécialisés, tentent de leur offrir une écoute, un suivi et une orientation au plus près de leurs besoins.

Maison de l'Adolescent du Val-de-Marne

9h10. Emmanuel Journo, interne de pédopsychiatrie au CHIC (le Centre Hospitalier Intercommunal de Créteil), sort du staff. A sa collègue infirmière Marine Desgranges, il expose le cas qui va mobiliser l'équipe du dispositif UPOPEE (pour Urgences-Post urgences Pédopsychiatrie) ce matin-là : une jeune fille de 17 ans, déjà passée par les urgences pédiatriques le week-end, a été réhospitalisée ce début de semaine pour des idées suicidaires scénarisées et une large scarification sur le bras, qui a nécessité 14 points de suture. Le binôme infirmier-médecin va donc se rendre à son chevet pour un entretien : «On va faire connaissance avec la patiente, la rassurer, explique Marine Desgranges, puis évaluer le risque suicidaire, par des questions précises». «Le questionnaire est très protocolisé sur le risque de suicide», souligne le médecin.

TS, troubles anxieux, crises de colère...

« On va aussi évaluer avec elle les éléments déclencheurs de ce temps de crise, revenir sur la situation familiale, la situation à l'école, le mode de vie, les consommations éventuelles de toxiques, les conduites à risque, les troubles alimentaires éventuels, ou encore les troubles du sommeil», énumère l'infirmière, lors d'un entretien qui peut durer plus d'une heure avec la patienteComme dans le cas de cette jeune fille, de deux à cinq situations d'adolescents nécessitent chaque jour l'évaluation de professionnels aux urgences du CHIC : des jeunes avec des idées suicidaires ou qui ont fait des tentatives, d'autres qui souffrent de troubles anxieux, d'états d'agitation, ou qui sont arrivés aux urgences dans le cadre de situations de crises familiales graves avec des crises de colère intenses.

L'équipe UPOPEE rencontre d'abord le patient seul, puis avec sa famille. «C'est important que la famille soit incluse dans l'accompagnement, néanmoins, il y a des choses que l'adolescent doit pouvoir partager seul. Suivant ce qu'il nous confie, il y a certaines choses que l'on transmet à la famille évidemment, en accord avec lui, mais il y a aussi des choses autour de la vie personnelle, de la vie intime, des relations, que l'on ne partage pas», confie Marine. L'équipe se met également en relation avec les professionnels (de santé, de l'éducation) qui entourent l'adolescent quand un suivi en ville est déjà en place. «On s'appuie sur le psychiatre, le psychologue, pour échanger, pour savoir ce qu'ils pensent d'une possible hospitalisation, s'ils sentent que la situation s'est dégradée etc». Dans le cas de la patiente de 17 ans, «à l'issue d'un premier entretien, on réfléchit si une prise en charge médicamenteuse peut être envisagée pour apaiser d'éventuels troubles du sommeil ou des troubles anxieux. On réfléchit aussi à la nécessité ou non d'une hospitalisation sachant que l'on dispose de très peu de lits sur le 94», à savoir : «aucun lit de pédopsychiatrie au CHIC», uniquement «des accords avec la pédiatrie pour héberger quelques patients» et 7 lits d'urgence situés au Kremlin-Bicêtre pour les cas les plus sérieux, comme des crises psychotiques. 

Des urgences à la Maison de l'adolescent

A environ 15 minutes à pied de l'hôpital, la Maison de l'Adolescent du Val-de-Marne* (MDA) présente un hall accueillant. Brochures à destination des jeunes, point d'accueil, et même, un piano «en libre-service». «Lorsqu'on voit les patients aux urgences, dans la majorité des cas, on programme un rendez-vous en post-urgences à la Maison de l'Ado», explique Marine Desgranges, dont le poste infirmier au sein du dispositif UPOPEE fait le lien entre les urgences et la Maison de l'Adolescent et garantit une forme de continuité avec les familles.

A la lumière des troubles rencontrés, les professionnels (psychiatres, infirmiers, éducateurs), ont créé différents groupes thérapeutiques qui se tiennent à la Maison de l'Adolescent et vers lesquels ils dirigent les jeunes patients sortis des urgences. «Le groupe Horizon, en 7 séances, est orienté vers la gestion des émotions et des tempêtes émotionnelles. L'indication, c'est qu'il faut avoir fait une tentative de suicide. Ce sont donc des profils de patients qui traversent des crises suicidaires, plutôt borderline avec une gestion très fluctuante des émotions. La première et la dernière séances ont lieu en présence des parents pour privilégier la gestion collective de la crise au sein de la famille. On travaille autour d'outils de gestion des émotions à partir de différents supports (jeux, vidéos...)», explique Marine Desgranges. Si les parents se montrent souvent très motivés aux urgences, les soignants notent néanmoins que la formation des groupes ne se déroule pas forcément toujours comme espéré ou attendu. Ils restent «rassurés» par le médicament et le psychiatre. «Il nous faut donc faire de l'éducation, on leur explique qu'il n'y a pas de baguette magique» précise Emmanuel Journo. «Ces groupes sur les émotions permettent aux patients borderline et à leurs familles de rencontrer d'autres familles qui font face à peu près aux mêmes problématiques et toute cette prise en charge, ce suivi dans le temps, contribuent à l'amélioration de la santé mentale». Parmi les autres ateliers, «Les Portes qui claquent» proposent à un petit groupe de 11 à 14 ans des séances pour comprendre ses émotions et mieux gérer sa colère en 4 ou 5 rencontres ; un groupe «Au secours» s'adresse cette fois aux parents d'adolescents en difficulté pour réfléchir et mieux comprendre les crises émotionnelles traversées par la famille, à raison d'une séance par mois ; le groupe «Le coeur a ses raisons» s'adresse davantage aux adolescents qui se questionnent sur leurs relations et les professionnels de santé amènent les jeunes à y explorer des émotions comme la jalousie, le rejet ou la peur de l'abandon.

Les équipes ont également réfléchi à des outils qui parlent aux jeunes. «On travaille par exemple sur des supports numériques, on veille à donner des outils adaptés au public adolescent, on essaye d'apporter des clés pour aider à la communication», confie Marine Desgranges, formée à la gestion des conflits et à la médiation thérapeutique. «Il arrive aussi très fréquemment que l'on se mette en lien avec l'Unité Mobile de la Maison de l'Ado, parce que si l'on reçoit un patient placé en foyer, je décroche tout de suite mon téléphone pour savoir s'ils le connaissent, s'ils ont des informations etc», explique Marine. 

Marine Desgranges
Marine Desgranges, infirmière au sein du dispositif UPOPEE (pour Urgences-Post urgences Pedopsychiatrie)

C'est une jeune qui souhaite créer du contact avec nous, donc pas question de la lâcher. Ça risquerait de mettre en échec son hospitalisation actuelle.

L'unité mobile 15-30 à la rescousse 

A bord de son véhicule, Nicolas Vincensini s'apprête justement à rejoindre une jeune fille de 19 ans qu'il suit depuis quelques mois. Sa famille a explosé, dans un contexte de violence. Elle poursuit tant bien que mal ses études en région parisienne mais elle souffre depuis quelques semaines d'un mal-être qui l'empêche de dormir et de prendre ses rendez-vous. «Allô ? C'est Nicolas, je pars de Créteil là, je suis là dans un quart d'heure environ. Tu veux que je t'appelle quand je suis en bas ? Ok à tout de suite». Nicolas est sur la route chaque jour. «On couvre tout le Val-de-Marne. Et même au-delà parfois, explique cet infirmier détaché de l'AP-HP (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris) auprès de la Maison de l'Adolescent, sur l'équipe mobile, une équipe spécialisée en soins psychiatriques qui existe depuis seulement 3 ans et qui accompagne les 15-30 ans. La veille, l'infirmier s'est déplacé jusqu'à Sevran (dans le 93), pour rendre visite à une jeune fille qui se trouve en rééducation. «C'est une jeune qui est dans une démarche de créer un contact ou un lien, donc pas question de la lâcher. Ça risquerait de mettre en échec son hospitalisation actuelle», explique l'infirmier. La jeune patiente, qui souffre d'obésité, ne marche plus. «C'est une jeune fille de 17 ans qui ne sortait plus de chez elle depuis deux ans et demi, complètement déscolarisée. Jusqu'à notre intervention, elle refusait tous les soins. A cause de son obésité morbide, on a décidé de faire intervenir les pompiers pour l'hospitaliser. Le départ de la maison a été très compliqué». Nicolas Vincensini se souvient d'une heure de négociation en présence des pompiers et de la police. «Elle a fini aux urgences puis l'Aide Sociale à l'Enfance (l'ASE) a ordonné un placement d'emblée. Depuis son placement en foyer, ça a été un volte-face : elle s'est subitement montrée super contente de nous voir, rassurée. Peu à peu on a créé un lien de confiance. Du foyer, elle a été hospitalisée en pédiatrie, pour faire un bilan, mais j'ai dû négocier deux heures et demi avec elle pour qu'elle y aille». Nicolas, l'infirmier, et un collègue éducateur spécialisé ou un psychologue allaient alors la voir tous les jours en pédiatrie. «Aujourd'hui, dans le centre de rééducation où elle se trouve, elle est très demandeuse de nos visites, elle nous appelle. On essaye de finir le projet avec elle. Quand elle va sortir, on aimerait qu'elle raccroche sur des études, mais avant cela, il faut qu'elle perde du poids, c'est l'objectif premier, pour qu'elle retrouve une vie sociale».   

Nicolas Vincensini
Nicolas Vincensini, infirmier sur l'équipe mobile du 15-30. 

Alors la priorité c'est d'aller prendre un rendez-vous au CMP, c'est ça ? Oui. Tu ne vas plus à la Fac ? Si, mais je vais seulement aux TD obligatoires. Et le sommeil ? Horrible. Je ne dors plus

Amener les jeunes vers les soins 

La Maison de l'Adolescent compte deux équipes mobiles, l’Umado (qui vient en renfort des équipes éducatives des foyers d’urgence de l’ASE et d’autres équipes de foyers de placement du Val de Marne) et le 15-30. «Actuellement, on est sur une file active de 70 patients» calcule Nicolas. Le principe de l'équipe mobile est de «faire de l'aller-vers» pour des jeunes qui n'adhèrent pas aux soins. «Notre mission c'est de les amener aux soins, de les mettre sur le circuit de soin. On ne fait pas des prises en charge au long cours», observe Nicolas, en route pour aider sa jeune patiente à prendre un rendez-vous au Centre Médico Psychologique (CMP). 300 mètres séparent le CMP du domicile de la jeune femme. «Elle a fini par faire une intoxication médicamenteuse volontaire. Elle s'est retrouvée aux urgences de l'hôpital Henri Mondor. Elle ne voulait pas être hospitalisée, elle a du mal à aller vers les soins», résume l'infirmier. «Néanmoins elle se rend en cours, elle s'accroche comme elle peut. J'ai pris contact avec elle à la demande des urgences. Elle a été tout de suite d'accord pour un accompagnement par le CMP. Là, ça fait une dizaine de jours qu'elle m'appelle pour me dire qu'elle n'est pas bien, qu'elle n'arrive pas à sortir, qu'elle dort mal la nuit etc. Je l'ai vue ou eue au téléphone une dizaine de fois en 4 mois environ. Ça l'aide que je sois là pour effectuer ses démarches. Mon objectif est aussi qu'elle ne décroche pas de la Fac». 

Sur le terrain, les professionnels mettent beaucoup d'énergie à accompagner ces adolescents en souffrance, malgré une équipe incomplète. L'équipe mobile 15-30 devrait compter 4 professionnels : 3 infirmiers et un psychologue, mais pour l'heure, Nicolas est le seul infirmier. Les adolescents arrivent à lui à partir de signalements divers : «Je travaille avec les collèges, les lycées, avec les assistantes sociales, les Conseillers Principaux d'Education, les psychologues de l'Education Nationale qui nous alertent sur des situations de jeunes qui les préoccupent. On se rend au domicile, avec l'autorisation des parents lorsqu'ils sont mineurs et sans s'ils sont majeurs. On entre en contact avec eux et on travaille jusqu'à comprendre le problème, on cherche à détecter d'éventuelles maladies psychiatriques émergentes, s'il y a des problématiques de harcèlement (l'une des grandes raisons du décrochage des jeunes), de la violence intra-familiale...» 

Ce matin, Nicolas s'est levé très tôt avec ses collègues : «on est venus chercher un jeune de 13 ans, en refus total d'hospitalisation. Depuis 3 mois, il vit enfermé chez lui, il ne parle plus, il menace sa famille avec des couteaux. On a été interpellés par un médecin hospitalier du secteur, après une information préoccupante. La violence augmente, donc dès qu'une place s'est libérée, j'ai déclenché le SAMU et la police pour une hospitalisation. Ça s'est plutôt bien déroulé». En l'écoutant, on prend la mesure de la détresse des adolescents dont il s'occupe, quelques semaines, quelques mois, de l'énergie qu'il met à discuter avec les jeunes, avec les familles, à trouver des solutions, à la patience dont il fait preuve pour soutenir ceux qui en ont besoin, aux kilomètres qu'il parcourt pour leur rendre visite. 

La jeune fille arrive. Elle s'installe timidement dans la voiture. La conversation s'engage : 

_ Alors la priorité c'est d'aller prendre un rendez-vous au CMP, c'est ça ?
_ Oui.
_ Tu ne vas plus à la Fac ?
_ Si, mais je vais seulement aux TD obligatoires.
_ Et le sommeil ?
_ Horrible. Je ne dors plus

Nicolas profite du trajet, même court, pour faire le point sur les traitements. «Si vraiment c'est trop long de trouver un rendez-vous, je vais demander à notre interne de faire une ordonnance», la rassure-t-il. Au CMP, rendez-vous est pris avec le médecin psychiatre, dans environ deux semaines. La présence de Nicolas rassure visiblement la jeune fille. Elle choisit de retourner chez elle à pied. Elle sait qu'elle peut l'appeler si elle craque. 

L'infirmier est intarissable sur les situations qu'il rencontre. Il constate une très large part de problèmes éducatifs, une absence de cadre qui perd les enfants et les adolescents. «Des histoires, on en a à foison», reconnait-il, constatant des interventions pour des adolescents ou des enfants de plus en plus jeunes. «L'une des problématiques qu'on retrouve aujourd'hui chez les jeunes filles, ce sont les réseaux de prostitution. Et ça commence parfois très tôt, autour de 12 ans». Nicolas Vincensini est un infirmier expérimenté. Après 10 ans de SAMU, puis de psychiatrie, après avoir travaillé en CMP puis 12 ans aux urgences psychiatriques adultes, il fait partie de l'équipe mobile depuis 3 ans. «Ça me plaît mais on est très sollicités et on aurait besoin de plus de moyens. On est logiquement sur des prises en charge de maximum 3 mois, mais dans la réalité c'est beaucoup plus. L'année dernière sur l'année, j'avais une file active d'un peu plus de 50 patients à moi tout seul».

Troubles alimentaires et situations de crise 

Retour à la Maison de l'Adolescent. Nicolas plaisante autour d'un café avec Pauline Ode, infirmière auprès de l'unité de crise (CRISYS), et Lucie Payet, infirmière de Consultation Somatique en médecine de l’adolescent. «On est vraiment en collaboration même si nos missions ne sont pas les mêmes», souligne Pauline Ode, «ce qui permet de combler les besoins du jeune assez précisément selon la situation». Lorsque les ados arrivent pour des troubles alimentaires, c'est Lucie Payet qui les reçoit. Plus de la moitié des consultants, garçons (10%) et filles (90%), viennent pour des problèmes d'anorexie. «Pour ces jeunes, on fait un bilan sanguin, un examen clinique, on reçoit la famille et on met en place une prise en charge à l'hôpital de jour pour trouble du comportement alimentaire», précise-t-elle. «On a tous des téléphones professionnels pour garder contact avec les parents et avec les jeunes de façon à instaurer un climat de confiance, avec pour objectif d'effectuer un suivi sur le plan physique», détaille l'infirmière qui note une différence avant/après Covid sur la question des troubles alimentaires, mais également sur la déscolarisation, les phobies sociales ou les phobies scolaires. «Les jeunes se sont retrouvés confinés avec les parents donc ça a engendré pas mal de conflits». Lucie Payet, qui travaille à la Maison des Adolescents depuis 8 ans, s'est formée en thérapie familiale (une formation de 4 ans) et mène des entretiens «avec la famille en tant qu'unité (c'est à dire tous ceux qui vivent sous le même toit), en binôme avec un thérapeute», explique-t-elle. La thérapie peut durer jusqu'à un an et demi, à l'hôpital «et l'idée c'est d'amener la famille à communiquer différemment, de faire en sorte que ses membres parviennent à se reparler. Le séances se déroulent avec un psychiatre, un pédiatre, en supervision. De l'autre côté de la pièce, il y a un autre professionnel, observateur, qui perçoit des directions vers lesquels on peut aller». 

L'infirmière suit plus de 200 patients pour des troubles alimentaires (obésité, surpoids, anorexie), mais aussi des problèmes dermatologiques (eczéma, acné sévère...), de sommeil, des consommations de drogue, d'alcool et pour toutes les problématiques sexuelles. Le docteur Isabelle Abadie, responsable de cette unité, reçoit les adolescents tous les mois et demi, «mais entre temps il peut se passer beaucoup de choses et il faut qu'ils puissent m'appeler, qu'ils puissent venir ici...», souligne Lucie Payet. «On peut discuter de tout. Il faut qu'ils soient en confiance. Récemment, j'ai reçu en consultation un jeune garçon en obésité. Il a été dirigé ici par l'ASE. Il a 17 ans et il n'arrive pas à perdre du poids. Je le reçois une fois par mois. Pour la prochaine consultation, je lui ai demandé de me noter tout ce qu'il mange, dans le moindre détail». Une démarche qui va permettre à l'infirmière d'introduire peu à peu des changements de comportement. «Quand le jeune n'adhère pas aux soins, on transmet le dossier à Nicolas, c'est tout l'intérêt de la collaboration entre nos services et des liens», sourit l'infirmière. 

Maison de l'Adolescent du Val-de-Marne
Maison de l'Adolescent du Val-de-Marne. 

"Ici c'est un tremplin"

Pauline Ode, l'infirmière de l'unité CRISYS est assise auprès des jeunes qui assistent ce mercredi soir à l'atelier «Chill out», la «pause zen» de ce milieu de semaine. Mené par le psychiatre Maxence Laroye, qui supervise les dispositifs UPOPEE et CRISYS à la Maison de l'Ado et qui l'a imaginé en concertation avec les autres professionnels, l'atelier vise à donner des outils pour lutter contre le stress et l'anxiété. L'atmosphère est tamisée, la musique calme, mais certains adolescents ont visiblement du mal à lâcher prise. Les pieds s'agitent, les regards sont fermés, les réponses aux sollicitations de l'équipe, laconiques. Au sein du service CRISYS, un service de gestion de crise, Pauline Ode reçoit des jeunes, généralement entre 12 et 18 ans, qui présentent un mal-être important dans différentes situations mais qui ne sont pas passés par les urgences. «Ces jeunes arrivent directement à la Maison de l'Ado, soit par l'accueil téléphonique, soit via le formulaire de contact de notre site internet, soit par des professionnels soignants ou éducatifs avec lesquels on est en lien», explique l'infirmière. «L'idée, idéalement, c'est que je puisse réaliser une première petite évaluation par téléphone avant de poser un rendez-vous. S'il y a des mises en danger, les jeunes peuvent venir ici, faire un bilan sanguin, se confier, faire un test de grossesse et souvent ce sont des jeunes qui n'investissent pas beaucoup les suivis. Mon service englobe beaucoup de choses, mais la porte d'entrée, c'est souvent un mal-être ou un isolement...» 

Pauline Ode réalise des accueils sans rendez-vous, «avec les familles, ou les jeunes, ou les deux», qui poussent parfois la porte à n'importe quel moment de la journée. «Sur le CRISYS, on a une majorité de violences intra-familiales, de violences sexuelles aussi, principalement des jeunes filles, au sein de la famille ou en dehors, des jeunes en fugue, des conduites à risque, au volant, de la prostitution, de la consommation de drogue... On a beaucoup de jeunes déscolarisés, ou en décrochage scolaire. On fait parfois des informations préoccupantes». La file active est très variable : environ 250 adolescents sur l'année. «Notre cellule s'occupe vraiment de la prise en charge psychologique. On reçoit les jeunes, on réalise des entretiens familiaux, l'objectif étant à court ou moyen termes d'orienter les adolescents vers ce qu'il y a de plus adapté pour eux», le tout en lien avec de nombreuses structures du département, en lien étroit également avec l'école, les familles, les foyers d'hébergement, les services d'hospitalisation, les services sociaux, la maison du droit et de la justice, les CMP, ou les structures qui vont pouvoir prendre ces patients en charge sur le plus long terme.

affiche maison des ado

"Permanence ado-sexo"

L'équipe propose aussi une permanence «ado-sexo», pour les jeunes qui ont des conduites à risque, ou pour les ados victimes de violences sexuelles. Pauline Ode et sa collègue éducatrice spécialisée de l'ACPE (association de lutte contre la prostitution des enfants), assurent ensemble cette consultation individuelle, destinée aux jeunes qui sont déjà dans un réseau de prostitution, en risque de prostitution ou à des jeunes qui ont des difficultés entre leurs relations affectives, intimes... «On va essayer de comprendre quel est le mode de vie de l'ado, quelles sont les personnes ressources pour lui, quelles sont ses conduites à risque... L'objectif est de lui apporter un accueil, de l'orienter, de fixer avec lui des objectifs». Le but est-il d'extraire ces jeunes des réseaux de prostitution ? «Ce n'est pas si simple», note Pauline Ode, «mais on travaille, par des chemins détournés : sur l'estime de soi par exemple. On identifie les problématiques sur lesquelles on peut travailler». Comme l'ensemble des professionnels de la Maison de l'Adolescent, l'infirmière souligne l'importance de former une équipe pour débriefer des cas, pour échanger, pour garder du recul aussi. «On fait des réunions avec Marine Desgranges (l'infirmière des urgences), et le docteur Laroye, tous les vendredis après-midi. On évoque tout ce qui nous a questionné. On met également en place des groupes thérapeutiques, avec le docteur Laroye, en fonction des situationsOn est en train de monter un groupe sur des jeunes qui ont des difficultés dans les relations, les schémas d'attachement (qui vont par exemple surinvestir les relations, qui n'identifient pas toujours ce qui est acceptable ou non et quelles sont leurs limites ...)», explique Pauline Ode. La question, ici comme ailleurs, reste celle des moyens : pour l'heure, sur le dispositif CRISYS, il n'y a qu'une infirmière, car l'équipe est en attente d'un psychologue et d'un éducateur.

La séance de relaxation se poursuit. Une voix invite les participants à «laisser de côté tout jugement». Regards en coin, les adolescents ont du mal à se laisser aller. «Moi, j'ai eu du mal à me concentrer sur ce qu'elle disait», affirme une jeune fille après l'exercice. «Moi, je n'arrêtais pas de penser aux manga», explique une autre. «Je me suis endormie», avoue une troisième. Le docteur Laroye les encourage. 

Bienvenue à la MDA

 

"Comme un laboratoire" 

«Le point de départ de la Maison des Adolescents, c'est 2008, à partir d'un cahier des charges national», résume Leila Botz, cadre socio-éducative dans la structure. Aujourd'hui, pratiquement dans chaque ville, dans chaque département, on trouve une MDA. L'objectif était de mettre en place une structure de proximité «pour le tout-venant». Néanmoins, elles ne fonctionnent pas toutes de la même façon : certaines sont des associations loi 1901. «Celle de Créteil a une spécificité : elle est adossée à l'hôpital, au CHIC, qui en est le gestionnaire. Le professeur du service de pédopsychiatrie universitaire Jean-Marc Baleyte, le directeur de la Maison de l'Adolescent, a une approche écosystémique, explique Leila Botz, c'est à dire qu'il considère que l'environnement dans lequel vivent le jeune et sa famille, le système relationnel, peuvent être source de difficultés et que, en approchant, en réfléchissant autour de la question sociale, la question des relations, la question scolaire, on peut débloquer des situations. Donc c'est comment éviter la psychiatrisation à tout prix». Les équipes travaillent avec les jeunes, avec les familles. «Ici, c'est comme un laboratoire. Il y a des projets qui poussent, on est dans une approche expérimentale avec l'idée d'être sur le même rythme qu'une problématique. On essaye une méthode, et si ça ne fonctionne pas, on peut en essayer une autre. Pour bosser à la Maison des Adolescents, il faut aimer ça», confie Leila Botz.  

Pauline Ode évoque la situation d'une jeune de 16 ans, qui a bien investi la Maison de l'Ado. «On l'a reçue suite à une demande de l'établissement scolaire pour conduites à risque et troubles émotionnels. Il y a eu des violences physiques dans la famille, des violences sexuelles à l'extérieur... Sa situation est assez complexe mais elle investit bien le soin ici. Elle nous parle beaucoup. Elle a beaucoup de conduites à risque et un lien avec le psychotraumatisme : elle peut par périodes être dans des réseaux de prostitution, elle consomme de la drogue. Il y a eu une ordonnance de placement suite à une tentative de suicide en lien avec des violences intra-familiales. Elle continue d'être suivie ici après sa sortie de l'hôpital. On travaille avec elle les troubles émotionnels, mais il y a un mieux-être au niveau moral depuis qu'elle est placée. Elle a aussi été vue par le docteur Isabelle Abadie et Lucie Payet, en pédiatrie, pour des bilans physiologiques. On travaille beaucoup de choses avec elle. C'est une jeune qui sollicite beaucoup de services ici», souligne l'infirmière. «Elle nous fait énormément de vocaux, sur nos portables professionnels, parfois le samedi à 3h du matin. Elle peut aussi se mettre en colère quand on ne répond pas. C'est important d'être en binôme pour maintenir un cadre lors de ces consultations mais aussi pour éviter le surinvestissement». La jeune fille se met en colère, mais le lien est établi. Elle n'est plus seule. 

* La Maison de l’ado 94 est financée par l’Agence Régionale de Santé Île-de-France (ARS Île-de-France) et le Conseil départemental Val-de-Marne. Elle est pilotée par ces mêmes acteurs ainsi que par la Caisse d’Allocations Familiales du Val-de-Marne.

 


Source : infirmiers.com