SOINS PAR LE CHEVAL

Pédopsychiatrie : une équithérapeute parmi les soignants

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Publié le 04/04/2025

A l'hôpital de jour pédopsychiatrique Haute Roche, au CHU de Nantes, les équipes soignantes travaillent main dans la main avec une infirmière devenue équithérapeute, pour accompagner des enfants qui souffrent de troubles psychiatriques via une approche par le cheval. 

équithérapie

C'est l'histoire d'une intégration réussie, fruit d'une confiance mutuelle entre professionnels du soin. Symbole de cette cohésion, une large partie de l'équipe a tenu à raconter comment Sophie Peignier, équithérapeute indépendante, a trouvé une place à part entière parmi les soignants de l'hôpital de jour Haute-Roche depuis le début de sa collaboration avec l'établissement en 2023. Le fait que la professionnelle soit une ex-infirmière n'est pas étranger à ce travail d'équipe efficient : «On parle le même jargon», souligne-t-elle.

La médiation par le cheval a énormément d'atouts par exemple pour les enfants qui n'ont pas toujours conscience de leur corps, qui ont un rapport à l'hygiène compliqué... Pour eux, prendre soin de l'animal avant de commencer la séance d'exercice est crucial.

Des enfants âgés de 3 à 11 ans

Les enfants accueillis dans ce service de pédopsychiatrie ont entre 3 et 11 ans et souffrent de troubles du spectre autistique, de troubles réactionnels de l'attachement autres pathologies psychiatriques. Ils se rendent une à deux demi-journées par semaine dans cet hôpital de jour, pour des temps de médiation variées (sensorielles, activités créatives type pâte à modeler, peinture, dessin, activités sportives, jardinage etc.) «On décide des médiations en fonction des enfants que l'on reçoit et de ce que l'on juge le plus adapté pour eux», explique Marine Beaufils, infirmière. L'équithérapie, «un soin psychique médiatisé par le cheval dans ses dimensions psychiques et corporelles», fait ainsi partie des activités thérapeutiques proposées aux enfants depuis plus de 15 ans. Cette année, quatre enfants (toujours les mêmes pendant un an) sont pris en charge dans le cadre de cette activité, encadrés par quatre soignants et par la «cheffe d'orchestre» des séances, Sophie Peignier. L'un souffre d'un trouble du spectre autistique, un autre présente un tableau psychotique et les deux derniers un trouble réactionnel de l'attachement. 

Ce qui va nous aider avec les enfants qui ne verbalisent pas, ce sont les tâches, pour les recentrer sur l'ici et maintenant : on est ensemble, on est au poney-club, on va mettre nos bottes, aller voir les poneys...

Toute séance d'équithérapie commence toujours par un accueil des enfants pour faire le point sur leur état du moment, ou sur les événements particuliers qui ont émaillé la semaine. La mise en place de l'activité elle-même demande aussi un peu de logistique puisqu'il faut aller chercher le camion, se rendre au poney club (à 15 minutes de l'hôpital) où l'équipe est accueillie par Sophie Peignier. «Au moment de l'accueil, certains enfants vont se montrer très fermés, très agités ou au contraire calmes et ouverts à la discussion», rapporte Sophie Peignier. «Ce qui va nous aider avec les enfants qui ne verbalisent pas, ce sont les tâches, pour les recentrer sur l'ici et maintenant : on est ensemble, on est au poney-club, on va mettre nos bottes, aller voir les poney etc. A ce moment là, ça va nous permettre d'observer leur comportement, y compris non verbal». 

Une séance de 1h30

Sur place, il faut donc encore enfiler les bottes, prendre soin des poney, les brosser, les harnacher etc. Chaque soignant reste ensuite près d'un enfant et de sa monture pour travailler des points plus personnalisés. Sophie Peignier mène la séance et c'est elle qui fait référence, mais «l'idée, c'est aussi que chaque soignant, éducateur ou infirmier présent puisse, de manière assez fluide, aller auprès d'un enfant à n'importe quel moment, soit parce que je le lui demande, soit de sa propre initiative», note l'équithérapeute. «Tout cela se fait en réalité de manière assez spontanée, notamment grâce à une confiance mutuelle». La séance dure 1h30 et débouche sur un repas thérapeutique.

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La séance est collective mais chaque enfant travaille des choses différentes, en fonction de ses troubles et des objectifs thérapeutiques (cf encadré ci-dessous). «"Mon poney s'en fiche de moi", disait par exemple l'un des enfants qui souffre de trouble de l'attachement. L'accompagner en l'aidant à lire les réactions de l'animal pour le rassurer a été extrêmement bénéfique», raconte Anne-Lise Denieulle, infirmière. 

Un travail sur le rapport au corps, au temps, à l'organisation...

«La médiation par le cheval a énormément d'atouts par exemple pour les enfants qui n'ont pas toujours conscience de leur corps, qui ont un rapport à l'hygiène compliqué... Pour eux, prendre soin de l'animal avant de commencer la séance d'exercice est crucial ; Le rapport au temps et à l'organisation est aussi intéressant par le déroulé type qui se répète d'une séance à l'autre, tel un cadre rassurant», énumère Patricia Orseau, l'une des infirmières accompagnatrices des séances. L'infirmière remarque aussi, parfois, cette "capacité" du poney à pouvoir se mettre en miroir de l'enfant. «L'animal reste calme face à un enfant agité ou stressé et on va voir cet enfant qui va, petit à petit, arriver à retrouver de l'apaisement et parvenir à réguler ses émotions. C'est parfois assez incroyable de pouvoir assister à cela».

L'activité est aussi valorisante pour des enfants qui sont régulièrement confrontés à des difficultés scolaires ou familiales, souligne encore Astrid Niort. «Sur ce lieu là, grâce aux responsabilités qu'on leur donne, grâce aux actions qu'ils arrivent à faire tout seuls et grâce au regard positif des adultes, tout cela représente pour eux quelque chose d'important et de fructueux», explique l'éducatrice spécialisée. 

Un aller-retour «vivant» entre théorie et pratique

Tout l'enjeu pour Sophie Peignier est de parvenir à faire de l'individuel dans le collectif. «Sur le plan affectif et émotionnel, ce qu'un enfant qui a un trouble réactionnel de l'attachement (TRA) va pouvoir vivre, revivre, expérimenter, rejouer en s'autorisant cette proximité avec le poney, cette réassurance, se sentir exister à ce moment-là et le retrouver quasiment à chaque fois, va plutôt correspondre chez l'enfant qui souffre d'un trouble du spectre de l'autisme (TSA) au fait de tenir compte de l'autre, de son poney, de la réaction des autres enfants. Donc à nous de lire à chaque fois ce qu'exprime l'enfant en fonction de sa problématique». Un aller-retour «vivant» entre théorie et pratique permis par une connaissance fine des profils des enfants mais aussi par une dynamique d'équipe, souligne la pédopsychiatre et cheffe de service Anne Grunspan. 

 4 objectifs thérapeutiques 

Les séances d'équithérapie se déroulent autour de quatre objectifs thérapeutiques : l'axe affectif et émotionnel (expression des émotions, gestion de la frustration, de l’anxiété), l'axe psychomoteur (motricité globale, schéma corporel, ...), l'axe relationnel et social (affirmation de soi, intériorisation du cadre, communication, estime de soi), l'axe cognitif ( attention/concentration, résolution de problèmes / adaptation, mémorisation). 

L'équithérapeute, associée aux bilans 

équithérapeute Sophie Peignier
Sophie Peigner, équithérapeute. 

Les progrès sont visibles au fil du temps. «L'un des enfants qui manquait de confiance en lui, qui avait aussi très peur, a eu besoin d'être rassuré. Au fur et à mesure des séances, il s'est mis à demander à diriger seul son poney, à faire les parcours en autonomie, ce qui le rend très fier, ce qui le valorise beaucoup», racontent les soignants. Des progrès objectivés lorsque l'équipe reçoit les parents, trois ou quatre fois par an lors de bilans avec les familles auxquels Sophie Peignier, l'équithérapeute, est conviée par la cheffe de service.

Je pense que mon bagage d'infirmière fait que je comprends, que je connais ce travail d'élaboration en équipe. Je ne me sentais pas étrangère à cette façon de fonctionner dans un service de soins

«Je suis présentée comme étant membre de l'équipe soignante, dans le cadre de cette activité spécifique qu'est l'équithérapie, alors que je suis indépendante», se réjouit-elle. «Je pense que mon bagage d'infirmière fait que je comprends, que je connais ce travail d'élaboration en équipe. Je ne me sentais pas étrangère à cette façon de fonctionner dans un service de soins», note Sophie Peignier, qui puise dans ces échanges des informations importantes pour ses séances.

«Quand on voit Sophie, on lui transmet un maximum de choses, elle est au courant de l'histoire de l'enfant, de sa pathologie et de ses troubles mais je tenais aussi à ce qu'elle assiste aux synthèses avec les parents. C'est de là qu'elle prend, comme l'ensemble des soignants, des éléments cliniques pour adapter ses séances en fonction des cas», explique le docteur Grunspan, qui souligne toute l'importance de ce lien tissé entre la vie au poney-club et les éléments apportés par les entretiens, au sein de l'hôpital. Un partage de connaissances, un accès qui lui est donné à une représentation fonctionnelle de l'enfant dans sa dynamique familiale, qui permettent à l'équithérapeute de «réajuster les choses et donc d'aller, grâce à cette confiance de l'équipe, au-delà de l'équithérapie et de ce que peut apporter le poneyRien n'est cloisonné : ce travail d'intégration du professionnel dans une équipe de soins donne beaucoup plus de sens à la fois au projet et au soin», résume le docteur Grunspan.

Tout un système de soin autour de l'enfant

Parfois des parents viennent solliciter Sophie Peignier dans le cadre d'une demande individuelle, comme solution de dernier recours, comme si l'équithérapie était une alternative à tout ce qui a été mis en place et qui ne fonctionnerait pas. Un «morcellement» de la prise en charge auquel l'équithérapeute se refuse : «J'essaye toujours d'intégrer mon action à tout un système de soin autour de l'enfant, parce que sinon ça n'a pas de sens». Le mot morcellement justement, employé par Sophie Peignier, résonne très fort aux oreilles de l'équipe. «Pour tout ceux qui travaillent en psychiatrie, le mot renvoie au morcellement psychique des enfants psychotiques. Donc effectivement si on ne prend que le soin équithérapie en individuel, coupé de tout ce qui va être le fonctionnement au quotidien de l'enfant, de ses prises en charge, de l'école etc, on revient au morcelé. L'institution permet justement de réduire le morcellement et de rassembler chaque partie morcelée ensemble. Il faut en cela que l'équithérapie fasse partie du projet institutionnel».

L'équipe ne tarit pas d'éloge sur l'équithérapeute. «Non seulement elle a un bagage infirmier mais elle est aussi très sensible au sensoriel, avec une compréhension rapide et nette de ce que vit l'enfant». Une rencontre entre des professionnels, mais, indéniablement aussi, avec une personnalité. «C'est aussi la place qu'on laisse à l'équithérapeute, l'ouverture que l'on permet, l' accès à l'histoire de l'enfant, à son contexte... qui permet cette cohésion autour du patient», assure de son côté l'équithérapeute. 

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Travailler avec du vivant 

Si Sophie Peignier a dans la tête une ligne de conduite, liée aux objectifs globaux et qui constitue le cadre thérapeutique, et si chaque séance suit son déroulé systématique (temps d'accueil, soins apportés au poney...), aucune séance n'est pareille aux autres en cela qu'il y a une écoute du désir des enfants et de ce que peut suggérer l'équipe afin de choisir ensemble ce qui sera fait ce jour-là, que ce soit une activité dans le manège ou une balade. «Parfois au sein même de la séance, comme on travaille avec du vivant, le poney peut nous apporter sa part d'imprévu, autant que les enfants, et on est en capacité de s'adapter : ça rebondit tout le temps. C'est justement ce cadre thérapeutique qui n'est pas rigide qui fait que les enfants parviennent à s'y retrouver, qu'ils peuvent se sentir entendus, écoutés dans leur émotion du moment», explique l'équithérapeute.

On voit au contact du poney un visage qui s'ouvre, des grands sourires et même un lâcher-prise qu'on connait moins en dehors de cette activité. Notamment pour les enfants qui ont un trouble de l'attachement. 

De fait, avec du vivant, les séances ne sont jamais les mêmes : parfois certains enfants ne vont pas se montrer disponibles et vont avoir besoin que l'adulte fasse les choses avec eux, main dans la main, ou même carrément à leur place, avec toujours cette possibilité offerte à l'enfant de pouvoir revenir auprès de son poney. Parfois au contraire les enfants tiennent à s'occuper seuls de leurs montures et toujours, l'adulte s'adapte, en présence bienveillante à ses côtés.

«On voit au contact du poney un visage qui s'ouvre, des grands sourires et même un lâcher prise qu'on connait moins en dehors de cette activité. Notamment pour les enfants qui ont un trouble de l'attachement. Ils vont oser faire un câlin au poney», confie Astrid Niort, éducatrice spécialisée. «Les enfants vont effectivement s'autoriser à une relation affective, par le toucher notamment, avec cet être vivant qui est sans jugement, qui n'attend rien et avec lequel il y a beaucoup moins d'enjeux qu'avec une personne, un adulte», abonde Sophie Peignier. «Et c'est vrai que c'est assez flagrant : tous les enfants s'en saisissent, même ceux qui seraient potentiellement dans la crainte de prime abord. On sent en tout cas du désir».

Et de fait, comme le rappelle khadija Lorric, infirmière de coordination, l'équithérapie est un poste très important dans les dépenses, «parce qu'il faut des professionnels qualifiés, parce que l'entretien des chevaux coûte cher». Les contraintes budgétaires sont le principal frein à un élargissement de l'activité qui bénéficie pour l'heure à quatre enfants. «L'hôpital cherche des financements parce que c'est une activité que l'on veut absolument pérenniser». 


Source : infirmiers.com