Virginie est infirmière en Ehpad. A quelques minutes de sa prise de poste, la brutalité de la réalité imposée aux résidents qu'elle prend en charge la terrasse. Comment en est-elle arrivée là ? Comment accepter d'être l'actrice d'une maltraitance « ordinaire », banalisée même si terriblement médiatisée ? Stopper net ? Se révolter ? Fuir ? Dans un premier temps, oser, comme d'autres l'on fait, dire.
Exprimer la violencve des conditions de prise en soins... pour eux... pour nous... demain...
Je m’appelle Virginie, j’ai 43 ans et je suis infirmière. Je suis infirmière en EPHAD. Aujourd’hui, c’est la première fois. C’est la première fois que j’ouvre les yeux. Je suis au volant de ma voiture, et je viens de quitter ma maison. Il est six heures et demi du matin et je dois débuter dans une demi-heure. Je roule doucement vers mon lieu de travail, la résidence de personnes âgées située dans la petite ville que j’habite depuis mon enfance. Je les connais tous, les résidents. Depuis mes études, j’ai toujours voulu faire de la gériatrie pour aider toutes ces personnes, ou plutôt ces Personnages de ma ville, mon village, qui m’ont accompagné et que j’ai vu vieillir comme ils m’ont vu grandir…
Mais aujourd’hui, je n’ai plus envie d’y retourner… Je n’ai plus envie d’y retourner car hier, j’ai eu la sensation d’être maltraitante.
On ne meurt pas de vieillesse, on vieillit de mourir »
Jean-Paul Sartre
Je n’ai pas pris le temps de piler correctement les médicaments de Mme T. car j’étais très en retard dans mon tour, et du coup lors de son repas, elle a fait une fausse route et manqué de s’étouffer. J’étais très en retard dans mes soins, car j’étais la seule infirmière ce jour là pour les quatre-vingt résidents car personne n’avait pu être trouvé pour remplacer ma collègue souffrante. Cet incident aurait pu avoir de graves conséquences. J’ai alors réalisé que nous ne faisions pas les choses correctement.
Comment avons-nous pu en arriver là ? Comment ais-je pu laisser les choses en arriver là ? Des actes que j’aurais considéré comme maltraitants, voilà quelques années, je les considère dorénavant comme faisant partie de la normalité du quotidien. Mais est-ce la normalité que de faire la toilette au lavabo de M.V en quatre minutes ? Est-ce la normalité que de dire à Mme G. d'uriner dans sa protection alors qu’elle demande à aller aux toilettes, et que, faute de temps nous ne pouvons en prendre pour l’accompagner ?
Est-ce la normalité que de « jeter » le bol mouliné de Mme C. sur sa table et lui enfourner la nourriture sans prendre le temps de voir si elle a dégluti la première bouchée ? Est-ce aussi normal, de demander à Marie, l’étudiante infirmière de prendre dès le premier jour dix patients en charge, en la laissant se débrouiller toute seule ? Est-ce normal de tourner M. T une seule fois par jour, pour faire une vague prévention d’escarres afin de se donner bonne conscience parce qu’on manque de temps pour mieux faire ?
Le temps. Il ne nous est plus accordé suffisamment de temps pour faire les actes qui relèvent de notre rôle d’infirmière correctement. Je suis aujourd’hui dans une impasse. Je ne peux plus et ne veux plus travailler de cette manière, mais je ne veux pas non plus laisser ces personnes âgées, que je connais pour la plupart depuis ma tendre enfance, à leur triste sort alors qu’elles ont toujours fait partie de ma vie….
Depuis mes études, j’ai toujours voulu faire de la gériatrie pour aider toutes ces personnes, ou plutôt ces Personnages de ma ville, mon village, qui m’ont accompagné...
Je suis partagée entre le sentiment de ne plus jamais y remettre les pieds et le désir de ne pas les abandonner. L’autre jour, ils en ont parlé à la télé, des conditions de travail en maison de retraite.
Mais quelles mesures vont-ils prendre et combien de temps cela va-t-il préoccuper les médias ? Une information en chasse une autre de nos jours. Qui aujourd’hui va se préoccuper des conditions de vie des personnes âgées sur le long terme et faire en sorte de les améliorer ?
Ma dernière pensée, alors que je roule vers mon travail, c’est de me dire qu’égoistement, moi aussi un jour, je risque de finir dans un lit de cet établissement, et que je ne souhaiterais être traitée comme cela pour rien au monde.
Dans la voiture, j’ai mis la radio à fond pour oublier, oublier leur visage plein de détresse, et Asaf Avidan chante :
One day baby, we’ll be old
Oh baby, we’ll be old
And think of all the stories that we could have told
Sources
- "On a l'impression de travailler à l'usine" : quand les maisons de retraite manquent de bras
- "Pièces à conviction". Maisons de retraite : les secrets d’un gros business
- Maisons de retraite : des résidents plus âgés et plus dépendants
Cet article a été publié sur le blog de l'infirmière insoumise le 24 octobre 2017. Nous la remercions de ce partage.
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