60% des personnes atteintes d'Alzheimer en France sont des femmes. Elles ont environ deux fois plus de risques de développer la maladie au cours de leur vie, la différence de longévité étant souvent mise en avant pour l'expliquer. En 2020, l'espérance de vie à la naissance s'élève à 79,1 ans pour les hommes et à 85,1 ans pour les femmes, d'après la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques. Autres facteurs : «des différences hormonales, génétiques ou immunitaires sont également envisagées», est-il indiqué dans le dernier rapport annuel de la recherche médicale sur la maladie d'Alzheimer de la Fondation Vaincre Alzheimer.
Plusieurs travaux de recherche en cours
Pour en savoir davantage sur ces autres facteurs, cette dernière finance en 2022 les travaux de Gaël Chételat, directrice de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) à Caen (Calvados), sur la différence des profils de risque entre les hommes et les femmes face à la maladie d’Alzheimer. Objectif : développer des dispositifs de prévention plus efficaces. Pour ce faire, les équipes mesurent les marqueurs cérébraux de neurodégénérescence chez les hommes et les femmes afin d'identifier des profils de risque. La même année, la fondation Recherche Alzheimer accorde un financement de trois ans à Céline Bellenguez, chercheuse à l'Inserm également, dans un laboratoire affilié à l'université et le CHU de Lille (Nord) ainsi que l'Institut Pasteur de Lille. Là encore il s'agit de prendre en compte les facteurs de risques propres aux unes et aux autres.
Des facteurs parfois difficiles à mesurer
Pour Céline Bellenguez, d'autres facteurs expliquent la différence de prévalence. Elle parle du «biais de survie chez les hommes qui sont plus sujets aux problèmes cardiovasculaires que les femmes jusqu'à présent, or il s'agit d'un facteur de risque. Les hommes qui vivent plus longtemps ont survécu à ces problèmes et seront donc moins à risque de développer la maladie d'Alzheimer». Elle note aussi un moindre accès à l'éducation chez les femmes qui atteignent aujourd'hui l'âge où apparaissent les symptômes de la maladie or le niveau d'études fait partie des facteurs psychosociaux pouvant l'expliquer, comme le rappelle Cécilia Samieri, directrice de recherche à l'Inserm, spécialisée en épidémiologie et en santé publique, lors de la présentation du rapport de la Fondation Vaincre Alzheimer. Ce type de facteurs rend d'ailleurs difficile la comparaison sexuée, d'après la chercheuse, parce que cela engendre des «facteurs de confusion» sur lesquels «il faut être très prudents».
Plus de femmes que d'hommes sortent de la consultation avec comme explication à leurs troubles cognitifs des problèmes psychologiques.
D'autres travaux mettent en avant plus clairement que les facteurs de genre ont un impact à la fois dans le diagnostic et dans la prévention. Dans une étude publiée le 10 septembre 2025 dans la revue Behavior & Socioeconomics of Aging éditée par Alzheimer's Association, des chercheurs s'intéressent par exemple aux différences entre femmes et hommes dans les parcours de patients avec Alzheimer. Il est notamment question de la manière dont les patients sont perçus par les soignants, entraînant «une incidence sur la précision et la rapidité du diagnostic».
Une "psychologisation" des troubles cognitifs
Ainsi, «les normes, les préjugés et les attentes liés au genre peuvent conduire à interpréter différemment des symptômes identiques selon que le patient est un homme ou une femme. Par exemple, les préoccupations des femmes peuvent être considérées comme émotionnelles ou liées au stress, tandis que des symptômes similaires chez les hommes peuvent donner lieu à des investigations plus approfondies». C'est ce que la sociologue Aude Béliard appelle la «psychologisation» des troubles cognitifs chez les femmes. Pour ses recherches, qui ont abouti à la parution en 2019 du livre Alzheimer et inégalités sociales, elle a assisté à des consultations hospitalières pendant un an. «Plus de femmes que d'hommes sortent de la consultation avec comme explication à leurs troubles cognitifs des problèmes psychologiques», raconte-t-elle. Aude Béliard observe un phénomène similaire pour les personnes qui viennent consulter parce qu'elles s'inquiètent d'un début de trouble cognitif.
Des qualifications différentes selon le sexe
«Les qualifications ne sont pas exactement les mêmes pour les femmes et les hommes. Parmi ces gens qui n'ont pas de maladie neurodégénérative mais des troubles légers, les femmes s'entendent dire qu'elles ont des problèmes psychologiques, des difficultés de vie, qu'il n'est pas nécessaire de s'inquiéter ni de revenir. Les hommes sont encouragés à revenir l'année suivante, pour suivre au cas où», décrit Aude Béliard. Problèmes psychologiques, en particulier la dépression, plus souvent diagnostiquée chez les femmes, qui font pourtant partie des facteurs de risques psychosociaux. Ces biais de genre peuvent aussi avoir un impact sur les hommes. Aude Béliard remarque par exemple que «dans l'interprétation des tests de mémoire, le professionnel peut considérer qu'il est normal qu'un homme ait oublié une date» de la vie de famille. Toujours sur les symptômes, les chercheurs de l'étude sur le parcours des patients rappellent que les femmes présentent plus souvent dépression et psychose tandis que les hommes «sont plus susceptibles de présenter une apathie, ce qui peut conduire à des diagnostics plus précoces mais potentiellement inexacts».
Peu d'études spécifiques aux femmes
«Ces résultats soulignent que les résultats diagnostiques sont coconstruits, façonnés non seulement par les symptômes des patients, mais aussi par la façon dont ces symptômes sont perçus et communiqués par les soignants et interprétés par les cliniciens. Ces dynamiques socioculturelles restent sous-explorées dans la recherche sur la maladie d'Alzheimer et méritent une étude approfondie», est-il constaté dans l'étude sur le parcours des patients. C'est ce que constate également la chercheuse Anne Paillet, professeure de sociologie à l'université Paris-1-Panthéon-Sorbonne, dans son ouvrage Valeur sociale des patient·e·s et différenciations des pratiques des médecins sorti en 2021. Elle s'intéresse à la prise en compte des «différenciations sociales des pratiques médicales» et les «caractérisations d'âge, de sexe, de classe et des assignations ethno-raciales» dans la recherche. Elle appelle à «développer davantage les démarches ethnographiques en sociologie des inégalités de santé».
Céline Bellenguez souligne que «la plupart des études sont sur les hommes et les femmes combinés. Il n'y a pas assez d'études stratifiées sur le sexe et le genre». Elle insiste sur la nécessité de le faire sur les recherches autour du médicament ou de faire des tests de mémoire avec des seuils par genre, «les femmes présentant de meilleurs scores en général et étant donc diagnostiquées plus tard». Quoi qu’il en soit, ces travaux sont indispensables pour «disposer d'outils de diagnostic spécifiques au sexe et au genre et d'approches thérapeutiques personnalisées» dans la maladie d'Alzheimer, ce que préconisent les chercheurs de l'étude sur le parcours des patients.
Des inégalités de santé plus larges
Les discriminations en santé à l'égard des femmes commencent à être documentées, comme l'écrit Muriel Salle, maîtresse de conférences à l'université Claude-Bernard-Lyon-1 (Rhône), dans le numéro d'avril 2025 du Journal de droit et de la santé et de l'Assurance maladie. La question des différences entre femmes et hommes se pose de manière générale dans la prise en soin des personnes. Muriel Salle s'interroge : «Peut-on espérer que femmes et hommes bénéficient des mêmes services de santé attendus alors qu'elles et ils n'ont pas les mêmes besoins ? [...] En matière de santé, on continue souvent de croire que les différences de traitement entre femmes et hommes seraient relatives à ces différences, induisant des besoins différenciés lisibles par exemple dans les prévalences genrées des maladies qui seraient en quelque sorte nécessaires, incontournables, inévitables».
Dans l'avant-propos du prochain numéro de Gérontologie et société qui se demande si le vieillissement a encore un genre, les professeures de sociologie Virginie Vinel et Ingrid Voléry notent que «les contributions issues de sciences du vivant, de la médecine et de la santé publique continuent, elles, à manquer — à l’heure pourtant où les politiques et dispositifs de prévention et de prise en soin sont appelés à se 'genrer' dans le cas des maladies cardiovasculaires ou de la dépression notamment», deux facteurs de risque identifiés de la maladie d'Alzheimer.
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