Les faits remontent au soir du 26 janvier 2021. Une adolescente de 16 ans souffrant d'anorexie et hospitalisée au sein du service pédiatrique, brise la vitre de sa chambre avec une chaise, se blessant au pied et provoquant l'intervention de l'infirmière de garde. Après s'être vu prescrire un sédatif pour calmer son angoisse, la patiente réclame un verre d'eau, et se retrouve seule dans la pièce. Elle profite de ce moment pour se donner la mort en sautant par la fenêtre en partie fracturée depuis le 7e étage du bâtiment.
L'AP-HP mise en examen
L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a été mise en examen en décembre pour homicide involontaire et non-assistance à personne en danger dans cette affaire. Cette mise en examen intervient dans le cadre d'une information judiciaire ouverte en janvier 2022 après une plainte déposée par la mère de l'adolescente, âgée de 16 ans au moment des faits. Elle a eu lieu le 20 décembre à l'issue de l'interrogatoire de la directrice de l'hôpital Ambroise-Paré par une juge d'instruction du tribunal judiciaire de Nanterre (Hauts-de-Seine). Lors de cette audition, la magistrate a détaillé l'enchaînement des événements ayant conduit à la mort de la jeune fille. «Il y a un sentiment de culpabilité, de tristesse, je m'interroge beaucoup, comme tout le monde sur le fait que [la jeune femme] soit restée seule», avait déclaré lors de son audition, le 29 janvier 2021, l'interne de garde, citée par la juge d'instruction. Un questionnement partagé par la famille de l'adolescente, dont la mère a déposé plainte avec constitution de partie civile pour homicide involontaire par violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence et non-assistance à personne en danger.
Une première enquête ouverte par le commissariat de Boulogne-Billancourt avait abouti, en juin 2021, à un classement sans suite. «La mise en examen très motivée de l’AP-HP constitue une étape très importante pour la famille», ont réagi Mes William Bourdon et Tahicia Joly, avocats de la famille de l'adolescente. «De façon inédite, l’AP-HP est mise en examen non seulement pour homicide involontaire pour violation délibérée d’une obligation de sécurité et de prudence, mais également pour non-assistance à personne en danger», poursuivent les conseils. Contacté, l'avocat de l'AP-HP, Me Joachim Bokobsa, n'a pas souhaité réagir.
L'AP-HP en appelle à une stratégie nationale dédiée
Le suicide d'un patient durant son hospitalisation est toujours un drame, mais aussi une véritable «hantise» pour les soignants, ont rappelé les intervenants d'une session dédiée à cette problématique organisée le 23 janvier au congrès de l'Encéphale, cités par Hospimedia. Les psychiatres spécialistes du sujet ont poussé pour l'élaboration d'une stratégie nationale dédiée qui permettrait d'avancer significativement dans la prévention de ces suicides. Comme le montrent plusieurs études, les suicides en institution représentent 4 à 5% des suicides aboutis, avec 80% des suicides en établissement psychiatrique. Des facteurs de risque sont connus (comme les antécédents) mais tout patient peut être à risque, d'où la nécessité d'une évaluation systématique.
Un volet important d'une stratégie nationale devra aussi être consacré à l'accompagnement des soignants. «Les suicides intrahospitaliers sont très fréquents, et donc les professionnels exposés à un suicide de patients sont également nombreux», a souligné la Dr Laurène Lestienne, cheffe de clinique des universités-assistante des hôpitaux, qui exerce au CH du Vinatier et aux Hospices civils de Lyon (Rhône). Au cours de leur carrière, «87% des psychiatres sont exposés à un suicide de patients, près de 50% des intervenants psychiatriques, entre 20 et 40% des psychologues, plus de la moitié des infirmiers [...] c'est une population professionnelle énorme», a-t-elle poursuivi, sans minimiser «l'impact sur le plan émotionnel, traumatique et professionnel».
3114 : numéro national de prévention du suicide
Pour toute personne confrontée au suicide ou à une détresse psychique, un numéro national et gratuit est disponible 7j/7, 24h/24 : le 3114. Au bout du fil, des professionnels de santé, formés, mobilisés, en lien avec des acteurs du soin de chaque territoire, pourront apporter des réponses adaptées à toute situation.
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