SANTÉ SCOLAIRE

Troubles psychiques : l’enjeu du repérage précoce chez les adolescents

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Publié le 10/04/2025

Repérer les troubles mentaux au plus tôt et initier une prise en charge adaptée est un enjeu crucial de santé publique. Et les quelque 8 000 infirmiers de l’Éducation nationale sont parmi les acteurs en première ligne.

Mieux prendre en charge la santé mentale des adolescents

Crédit photo : Pixabay

« Près d’une fois par semaine j’interviens sur une situation de santé mentale grave. Je réalise beaucoup d’évaluations de crises suicidaires. Il y a dix ans on en faisait moins ; aujourd’hui le Samu se déplace, explique Gwenaëlle Durand, infirmière scolaire au sein d’un LEP en milieu rural et secrétaire générale du Syndicat national des infirmières éducateurs en santé (Snies). Nous étions déjà en alerte avant le Covid, en fait depuis le milieu des années 2010 avec l’augmentation de la visibilité des questions transidentitaires et un risque de passage à l’acte très important. Le Covid a mis en lumière que les élèves allaient mal. Depuis, il y a un énorme travail d’accompagnement et d’éducation. Il y a ainsi un nombre important de passages dans nos infirmeries, avec parfois des élèves présentant des symptômes d’urgence. » Sa consœur, Coralie Olmedo-Guérin, qui exerce sur un poste mixte collège/écoles primaires également en milieu rural, le confirme : « On observe une recrudescence des problèmes psychiques chez les adolescents. On voit au collège des élèves qui ne vont pas bien (scarifications, refus scolaire anxieux…), même si la cause de leur mal-être n’est pas identifiable de suite. Au lycée, les choses sont exacerbées avec des gestes plus violents (entailles profondes au niveau des veines par ex) et plus de passages à l’acte (tentatives de suicide médicamenteuses…) ».

Une nette dégradation de la santé mentale des adolescents

« Près de 90% des prises en charge ont pour cause des maux psychiques », constate encore dans sa pratique Valérie Legrand, IDE scolaire sur un poste mixte lycée général/lycée professionnel en Seine-et-Marne. Et d’évoquer à demi-mots le traumatisme encore présent aujourd’hui à la suite du suicide d’une élève survenu en 2022 au sein même d’un des deux établissements où elle exerce.

Près de la moitié des troubles mentaux se manifestent avant l’âge de 14 ans.

Ce constat du terrain corrobore les études portant sur cette population vulnérable et qui se succèdent en particulier depuis 2020. « Les études convergent : la santé mentale des adolescents s’est dégradée, en France comme à l’international », indiquait ainsi le Dr Caroline Semaille, directrice générale de Santé publique France, à l’occasion de la publication, des résultats de l’enquête EnCLASS 2022 menée auprès de plus de 9 300 élèves du secondaire [sur la période 2018-2022]. Les «résultats contrastés» montrent que si une grande majorité des élèves interrogés étaient satisfaits de leur vie actuelle et se percevaient en bonne santé, « seule la moitié présentait un bon niveau de bien-être mental ». De fait, « une part non négligeable de jeunes exprimaient un sentiment de solitude, des plaintes psychologiques et/ou somatiques récurrentes, un risque de dépression, des pensées suicidaires… ». Une dégradation de la santé mentale et du bien-être chez les adolescents qui va crescendo du collège au lycée et qui est par ailleurs plus marquée chez les filles, creusant « l’écart garçons-filles déjà observé auparavant ».

L’importance d’un repérage précoce et systématique

D’où, entre autres, l’impérieuse nécessité d’un « repérage précoce et systématique » des troubles psychiques chez ces jeunes et ce, comme le mentionnent les auteurs du rapport sur la santé de l’enfant remis à l’ex-ministre de la santé, Frédéric Valletoux, en avril 2024, afin que « tous les enfants puissent bénéficier d’une prise en charge adaptée dès les premiers signes de détresse psychique ». En 2018, la feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie avait en effet pointé notamment des « interventions précoces insuffisantes », de même que des « diagnostics trop tardifs ». Et ce, alors même, comme l’indique Santé publique France, que « environ la moitié des troubles mentaux se manifestent avant l’âge de 14 ans », et que « c’est à cette période que peuvent apparaître les premières manifestations de l’anxiété, de la dépression ou des conduites suicidaires ». Du reste, c’est aussi dans la tranche d’âge étudiante que peuvent se révéler des troubles psychiatriques graves.

Certains adolescents n’ont pas vu de médecin depuis des années. On découvre ainsi à la faveur d’un bilan infirmier des entrées assez fracassantes dans la psychiatrie.

Le bilan infirmier de la 12e année

De fait, les infirmiers de l’Éducation nationale sont en première ligne pour repérer, alerter, orienter et suivre les jeunes en difficulté psychique. D’ailleurs, la visite de dépistage infirmier lors de la douzième année de l’enfant, obligatoire et réalisée à l’entrée au collège, représente dans ce contexte une opportunité. Ce bilan infirmier (30 minutes à une heure selon les élèves) peut en effet être l’occasion de détecter divers troubles – du sommeil, du comportement, alimentaires anxieux/dépressifs, mal-être, addictions… « L’interrogatoire sur la qualité de vie est une bonne cartographie de la santé mentale du jeune » observe Gwenaëlle Durand en permettant d’identifier les signes d’alerte et facteurs précipitants (voir encadré).  « Certains adolescents n’ont pas vu de médecin depuis des années. On découvre ainsi à la faveur de ce bilan infirmier des entrées assez fracassantes dans la psychiatrie ». Résultat : « C’est souvent nous qui alertons les parents (tout en respectant le secret médical et/ou avec l’accord des jeunes concernés) pour en discuter et voir s’ils ont le même ressenti. Puis nous conseillons un suivi avec le médecin traitant/ou psy, et/ou une orientation vers la maison des adolescents s’il en existe une dans le territoire à proximité »

L’évaluation des risques psychiatriques

Signes d’alerte : isolement, scarifications, perte/prise de poids, manque de sommeil (difficulté d’endormissement notamment), effondrement des résultats scolaires, troubles de l’humeur (tristesse, repli sur soi, colère…), temps important passé sur les écrans, sédentarité, vie sociale/familiale réduite, traitement médicamenteux assez lourd (sous Tercian® par exemple), problèmes d’addictions…
Facteurs précipitants : l’élève a par exemple une “bonne” raison de passer à l’acte (sans amis, animal domestique récemment disparu…). Dans ce cas-là, il faut à tout prix s’assurer qu’il ait un entourage aidant. 

Les limites de la prise en charge, faute de personnel et faute de place

Et si tel est le cas encore faut-il qu’il y ait de la place, ce qui est loin d’être le cas au fil de l’année écoulée. « À noter qu’en cas de risque suicidaire, nous orientons l’élève en souffrance vers le médecin traitant voire les urgences », ajoute-t-elle. Sachant hélas qu’il ne sera que très rarement hospitalisé d’emblée, « en général “seulement” à la deuxième tentative de suicide… et encore les places en hospitalisation en psychiatrie infantile étant très réduites »

« Si ce bilan infirmier est une bonne opportunité, il reste toutefois limité au niveau des 6e », remarque Coralie Olmedo-Guérin. Et pour l’essentiel aux collèges du public.

Nous avons des jeunes qui se construisent avec des troubles psychiques et cela va en faire des adultes plus enclins à l’anxiété, à la dépression…

Dans les établissements privés, il n’y a quasiment pas d’IDE scolaires recrutés, car pas de budget suffisant malgré des fonds reçus de l’État pour assurer leur fonctionnement. Pas plus que de médecins, quoi qu’il n’y en ait pas non plus beaucoup dans le public ! Ce qui n’est pas sans poser de difficultés notamment pour la réalisation des visites médicales d’aptitude au travail sur machines dangereuses (binômes médecin/IDE) pour les jeunes élèves en lycées professionnels. 
De plus, « la médecine de ville ne suit pas forcément, avec parfois, selon les secteurs, de longs délais d’attente de prise en charge (en CMP notamment) », pointe l’IDE meurthoise. Idem pour le recours aux psychologues dans le cadre du dispositif “Mon soutien psy” (tous n’y sont pas forcément impliqués et/ou pris d’assaut bien souvent). Si bien que « nous avons des jeunes qui se construisent avec ces troubles et cela va en faire des adultes plus enclins à l’anxiété, à la dépression… »

Des personnes ressources en appui

Les choses sont donc loin d’être optimales en la matière. Cependant, les infirmiers scolaires peuvent parfois trouver appui sur des personnes ressources en interne. « On va beaucoup s’appuyer sur l’équipe éducative qui nous signale les élèves qui ne vont pas bien. Dans mon collège, deux professeurs sont ainsi “référents santé mentale”», précise Coralie Olmedo-Guérin. Et sa consœur de Seine-et-Marne d’ajouter : « On peut se sentir très très seul. Toutefois, quand nécessaire, je sais pouvoir compter si besoin sur les psychologues, assistantes sociales, CPE du lycée. De même que sur l’une de mes chefs d’établissement qui a effectué la formation de secouriste en santé mentale et qui est en mesure de mener des entretiens d’ordre psy »

Des secouristes en santé mentale

Ces “secouristes en santé mentale” sont formés ((sur le modèle de la formation aux premiers secours physiques) à mieux repérer les troubles psychiques et à orienter vers les professionnels adéquats. Ils commencent à égrainer au sein des établissements scolaires. « On assiste aujourd’hui à une montée en puissance du dispositif* [97 381 secouristes déjà formés au 1er janvier 2024/150 000 objectif visé à la fin 2025, NDLR]. Dans l’Éducation nationale se sont pour l’heure essentiellement des CPE qui ont été formés dans les collèges et lycées, des personnels tous volontaires et sélectionnés par les académies », précise Gwenaëlle Durand. À noter qu’un “module Jeunes” (14 heures de formation) a été spécialement développé pour les adultes vivant ou travaillant avec des adolescents (collèges/lycées) et jeunes majeurs. 

Une plateforme numérique d’intervention en santé mentale

Améliorer le bien-être et la santé mentale des adolescents, prévenir ou détecter précocement des troubles, lutter contre la stigmatisation et les inégalités sociales liées à la santé mentale : tels sont les principaux objectifs de la plateforme Improva – (e-Intervention Enhancing Mental Health in Adolescents). Conçue par un consortium de recherche interdisciplinaire européen – dont fait partie l’Inserm – et en collaboration avec des adolescents, des parents, des enseignants, des professionnels de la santé scolaire (IDE notamment) ainsi que des décideurs politiques, cette plateforme numérique d’intervention en santé mentale est depuis décembre 2024 en phase de test dans quatre pays européens, dont la France. Dans l’Hexagone précisément, 1 500 jeunes scolarisés dans des établissements secondaires des académies de Créteil et Versailles ont été recrutés pour la tester.
Via leur smartphone, un ordinateur ou une tablette, les collégiens et lycéens y ont accès à des vidéos, des vocaux, de courts textes et des tests pratiques pour apprendre à prendre soin de leur santé mentale. D’autres modules complémentaires et synergiques, des ressources spécifiques sont par ailleurs mis à disposition des enseignants, du personnel scolaire des établissements et des parents. S’il fait la preuve de son efficacité, cet outil de promotion de la santé mentale des adolescents, pourra alors être déployé au niveau européen. « Les ados y trouveront des ressources, appuis, stratégies pour gérer leurs émotions (peines de cœur, problèmes à la maison…)», relève Valérie Legrand, dont le lycée est parmi les établissements “testeurs”. « Un outil ludique » sur lequel elle avoue « beaucoup compter. »
Sources : Inserm, Improva

* Ce dispositif est amené à se déployer dans tous les secteurs de la société, notamment dans les trois fonctions publiques et dans les milieux étudiants.


Source : infirmiers.com