QVT et VIE PERSO

Comment concilier vie de famille et métier infirmier ?

Publié le 18/04/2025

Horaires décalés, travail de nuit, stress, garde des enfants… Comment articuler au mieux le quotidien quand on est infirmier ? Quels choix faire et à quels moments de sa vie ? Des infirmières et des infirmiers témoignent de leur vécu et délivrent de précieux conseils.

Comment concilier vie pro et perso

Crédit photo : Pixabay

« Notre métier a de nombreuses contraintes et offre peu de reconnaissance, encore moins salariale. Nous sommes essentielles au pays, et pourtant...; confie Carine, infirmière en clinique dans la périphérie de Lyon, mariée depuis six ans, maman de trois enfants en bas âge. Lorsqu’on choisit ce métier, on rate des moments familiaux. Mais je ne me vois pas faire autre chose. Mon mari dit que je suis une passionnée. Je pense que le secret est une organisation bien ficelée pour bien vivre sa vie familiale. Cela repose aussi sur un entourage en qui l’on peut avoir confiance pour garder nos enfants et sur un conjoint qui a des horaires de travail flexibles. »

Mon mari passe pour un héros car il s'occupe de nos enfants quand je travaille. Il a souvent des commentaires de femmes impressionnées par son engagement. Et également d'hommes compatissants.

Son mari, Carine l'a rencontré alors qu’elle travaillait en horaires décalés : « C'était nouveau pour lui, compliqué de comprendre ce rythme de travail. Il a fallu qu'il s'adapte. Lorsque nous avons abordé le sujet d'avoir des enfants, j'avoue que j'ai été assez claire sur le fait qu'il allait devoir " gérer " lors de mes absences. Il était impensable pour moi de payer une nounou les week-ends où je travaillais », poursuit-elle.

Faire le bon choix, adapté à sa vie, entre le public et le privé 

Les horaires en 7 heures 30 ne lui convenaient pas quand elle travaillait dans un établissement public. Carine était extrêmement fatiguée de se lever cinq fois par semaine à cinq heures du matin. Elle ne profitait pas de ses fins de journées et ne voyait plus ses enfants les week-ends de garde. Et puis, elle ne concevait pas de devoir annoncer à sa cadre de service de ne pas bloquer tel ou tel jour car elle avait des choses de prévues. Cela générait du stress et de la frustration.
Aujourd’hui, elle travaille dans le privé, en clinique, sur un rythme de 12 heures. « J'ai de vrais jours de repos pendant lesquels j’ai le temps de tout faire sans stresser. Je profite davantage de mes enfants. Même si je continue à me lever à cinq heures du matin deux jours de suite, je me sens moins fatiguée », se réjouit-elle. 

Une organisation au quotidien

Quand Carine travaille, c’est son mari qui dépose les enfants à l’école le matin. Sinon c’est elle. Il peut réaliser de plus grosses journées de travail pendant les jours de repos de Carine. Les enfants font une ou deux heures de garderie selon le planning de travail de son mari. Depuis le Covid, les jours de télétravail se sont démocratisés. Pour lui, cela correspond à deux jours par semaine, qu’il essaie de poser quand elle travaille, pour être plus rapidement à l'école. Cela lui évite le stress du retard, des bouchons... « Mon mari passe pour un héros car il s'occupe de nos enfants quand je travaille. Il a souvent des commentaires de femmes impressionnées par son engagement. Et également d'hommes compatissants. »

Garde alternée et horaires compatibles

De son côté, Christopher Larue, infirmier à l'hôpital Saint-Joseph de Paris, père d’un petit garçon, en garde alternée, travaille en 12 heures sur un roulement fixe les mardis, mercredis et jeudis. Ceci afin d’avoir les vendredis, samedis et dimanches de disponibles pour s’occuper de mon fils. « Le rythme que j'ai actuellement me convient, révèle-t-il. Il est idéal pour une garde alternée. Concernant la gestion du stress, j'ai trouvé des services qui me satisfont. Avant lorsque nous vivions encore en couple avec sa mère, je travaillais de nuit pour pouvoir garder mon fils le jour. Quand nous nous sommes séparés, il a fallu que je trouve un poste de jour car la gestion d'un enfant en garde alternée n'était pas compatible avec un poste de nuit. »

Explorer toutes les possibilités

Même si infirmier est un métier qui nécessite un fort investissement, Christopher Larue préconise d’abord de toujours être en mesure de se recentrer sur sa vie personnelle, en particulier si l’on ne se sent pas bien dans son job. « Le second conseil que je donnerais est d'explorer toutes les possibilités qui existent en tant qu'infirmier pour allier le mieux possible vie personnelle et professionnelle. » Sa compagne actuelle est également infirmière, mère de deux enfants. Elle travaille à la Sécurité sociale, de 9h à 17h, du lundi au vendredi. Ce qui lui permet de s'occuper de ses enfants le week-end. « Elle fait moins de soins et c'est quelque chose qui lui manque, mais elle a cherché à privilégier sa vie personnelle en optant pour un poste adapté, explique Christopher Larue. Entre la médecine du travail, les blocs opératoires, la Sécurité sociale, le libéral, etc. Il existe un éventail de possibilités assez large qui correspond, je pense aussi, à l’évolution de nos vies personnelles. »

Une bonne hygiène de vie indispensable pour le travail de nuit 

S’il ne regrette pas d’avoir travaillé de nuit, quand il était en couple avec sa compagne de l’époque et qu’il n’avait pas d’enfants, il suggère de se réorienter et de ne pas avoir peur de changer lorsque l’on vieillit et que l’on devient parent : «On ne s'en rend pas forcément compte tout de suite mais le travail de nuit peut être délétère sur divers aspects qui s'installent de façon un peu vicieuse dans le quotidien. On néglige souvent les recommandations de la médecine du travail. Or il faut savoir bien écouter les conseils et avoir une bonne hygiène de vie si l’on ne veut pas tomber malade. »

Célia Belrose, psychologue clinicienne et docteur en psychologie de la santé en neurosciences abonde dans ce sens : « Il est indispensable d’avoir une bonne hygiène de vie, une très bonne alimentation, des loisirs ressources, une bonne qualité de sommeil et de pratiquer une activité physique. Et surtout de ne jamais transiger avec les moments qui réénergisent. Il ne faut pas se mettre la tête dans le guidon si je puis dire. Je pense que la jeune génération a déjà bien compris que le travail, ce n'était pas tout. Les personnes qui travaillent de nuit sont souvent carencées du point de vue du sommeil, de l’alimentation et de la lumière naturelle. Des études ont montré qu’elles étaient beaucoup plus sujettes à développer des pathologies par la suite. Il faut aussi veiller à bien s’hydrater en buvant au moins deux litres d’eau par jour. Les soignants boivent souvent beaucoup de café pour tenir le rythme. Or le café n’est pas la boisson la plus hydratante qui soit. »

 Nous avons fait une force de la difficulté du métier. Cette force est l'extrême flexibilité que nous avons exploitée. 

Couple infirmier : jouer sur la flexibilité des plannings

Hélène Vivet, cadre supérieure de santé aux hôpitaux du Léman à Thonon-les-Bains, mariée avec un infirmier, est mère de trois enfants. Elle travaille essentiellement du lundi au vendredi, avec des gardes ponctuelles les week-ends. « Lorsque je suis de garde le week-end pour la permanence d'encadrement par exemple, nous alternons avec mon mari, qui choisit de ne pas travailler ce week-end-là. Parfois, suite à ces gardes, j’ai droit à un jour de repos hebdomadaire, que je pose systématiquement le mercredi, ce qui nous permet d'être en famille ce jour-là. Nous nous débrouillons pour ne jamais faire garder les enfants le mercredi. Nous nous arrangeons toujours pour changer nos plannings mais cela implique une certaine flexibilité de notre part. »  

Les couples d’infirmiers - ou dont l’un des partenaires est infirmier - ont 33 % plus de risque de divorcer que les autres.

Hélène Vivet a également été formatrice en IFSI : « L’une des questions qui revenait fréquemment lors des partages d'expérience que je faisais avec les étudiants, portait sur cette fameuse étude du BMJ (British Medical Journal)* mettant en évidence que les couples d’infirmiers - ou dont l’un des partenaires est infirmier - ont 33 % plus de de risque que les autres. Je pense que c’est un peu simpliste d’attribuer cela à la profession. Mon mari est diplômé depuis 14 ans et travaille toujours comme infirmier. De mon côté, je me suis un peu réorientée. Mais nous avons fait une force de la difficulté du métier. Cette force est l'extrême flexibilité que nous avons exploitée. »
Plus radical, Clément, IBODE depuis trois ans, n’a qu’une chose à dire : « Dès qu'il y a un service dans lequel on fait beaucoup trop d’heures, il faut partir immédiatement. Il ne faut pas s'en vouloir et ne pas prendre trop sur soi. J’ai mis un petit peu de temps à décrocher, ce n'est pas évident. Mais la priorité c'est ma femme et mes enfants, ce n'est pas l'hôpital. »

Conseils de pro

Pour la psychologue Célia Belrose, la plus grande difficulté est en lien avec la charge émotionnelle et mentale portée quand on exerce ce métier. « Nous l’avons constaté pendant le Covid. Les infirmiers ont été en première ligne et confrontés à des choses terribles. En revanche, c’est un métier qui permet de relativement bien concilier vie personnelle et professionnelle. Sur le plan horaire, en fonction du conjoint ou des facilités de l'école, les infirmiers qui travaillent le matin, peuvent récupérer leurs enfants l'après-midi. Et à l’inverse, ceux qui travaillent l’après-midi, peuvent les déposer tranquillement le matin et s’arranger pour que quelqu’un vienne les chercher le soir. Quant au choix du travail de nuit, il faut effectivement s’assurer que le conjoint sera présent. »

Si on est complètement décalé et que l’on ne se fait pas un peu violence, on vit totalement à côté de la personne avec qui l’on a choisi de faire sa vie.

L’importance des personnes « refuges »

Elle insiste sur l’importance de l’entourage : « Quand on exerce un métier qui nécessite de soutenir, de soigner et qui confronte parfois à l’horreur, il faut être bien épaulé, avoir autour de soi des personnes " refuges "

Attention au décalage social et familial avec le travail de nuit

Lorsque l’on travaille de nuit, ce n’est pas évident de sortir pour se faire des amis. Il faut donc essayer autant que faire se peut de se lever à des heures correctes pour aller faire du sport, s’ouvrir à des réseaux d'amis, continuer à aller déjeuner avec ses amis pour ne pas se retrouver uniquement en vase clos avec l'hôpital. « Si on est complètement décalé et que l’on ne se fait pas un peu violence, on vit totalement à côté de la personne avec qui l’on a choisi de faire sa vie, prévient la psychologue. Il faut essayer le plus possible de ne pas faire subir ses horaires décalés aux personnes de son entourage, qui n’ont pas choisi d'être soignant. Ce conseil vaut aussi pour ses enfants. » 

Une mise à distance essentielle

Il est important de se connaître et d'avoir la possibilité d'une mise à distance de ce que l'on vit. Il faut être capable de se recentrer sur ses priorités et son rythme de vie. Quand certaines choses se cristallisent dans les relations interpersonnelles, avec ses collègues, ses supérieurs, avec des familles de patients, il ne faut pas laisser passer cela. Malheureusement les hôpitaux n'offrent pas toujours la possibilité de se retrouver entre pairs pour débriefer et poser les choses. Dans ce cas, des associations comme SPS (Soins aux professionnels de santé), des psychologues ou des psychiatres, peuvent constituer de vrais soutiens.

https://www.bmj.com/content/350/bmj.h791.full
https://infirmier.santelog.com/2019/10/06/couple-medecin-infirmier-des-professions-plus-a-risque-de-divorce/

Élise Kuntzelmann

Source : infirmiers.com