SÉCURITÉ ET QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL

Comment réagir face aux mauvais comportements des patients?

Publié le 24/11/2025

Que ce soit en exercice libéral ou en milieu hospitalier, les soignants ont parfois affaire à des comportements inappropriés, des propos crus ou des gestes déplacés. Trois infirmières témoignent et prodiguent leurs conseils.

La fille d'une patiente m'a hurlé dessus parce que je n’avais pas changé les draps. 

Alice Robin
Alice Robin

Alice Robin, 28 ans, infirmière libérale près d’Angers

La situation compliquée la plus récente qu’elle ait vécue s’est déroulée il y a tout juste quelques semaines : «La fille d'une patiente m'a hurlé dessus parce que je n’avais pas changé les draps. Je lui ai expliqué qu’en tant qu’infirmière, ce n’était pas mon rôle de le faire. Et je lui ai dit que si elle n’était pas capable de me parler convenablement et avec respect, la conversation s’arrêterait-là. Je n’accepte pas d'être traitée de cette façon. Quand cela déborde trop, je dis stop.»

Quand j'étais jeune et novice dans le métier, j'avais tendance à ne rien dire et à ne rien faire parce que je me disais que cela faisait partie du soin.

Alice Robin suivait également un patient atteint de troubles psychiatriques. Lors de l’une de ses visites, il était très énervé parce que sa télé ne fonctionnait pas. Il était assis à sa table et, lorsqu’elle s’est approchée, a jeté sur elle et contre le mur, l'entièreté de ce qu'il y avait sur sa table. «J’ai dû bien sûr partir précipitamment de son appartement, se rappelle-t-elle. J'ai appelé les forces de l'ordre parce qu’il avait aussi un couteau sur sa table. Lorsque je suis retournée chez lui, c’était avec beaucoup d'appréhension.»

Il faut absolument parvenir à mettre des limites quand il y a quelque chose qui nous semble inadapté ou inapproprié.

À côté de cela, elle dit ne pas subir trop de «dragues lourdes». Au pire quelques petites réflexions sur ses tenues. Mais elle confie que ça lui a pris du temps de s’affirmer dans certaines situations : «Quand j'étais jeune et novice dans le métier, j'avais tendance à ne rien dire et à ne rien faire parce que je me disais que cela faisait partie du soin et qu'il fallait accepter les patients tels qu’ils étaient. Aujourd'hui je vois les choses différemment. On ne peut pas tout accepter. Il faut arriver à poser des limites et à se faire respecter. Il s’agit avant tout d’une relation humaine et cela doit aller dans les deux sens».

Ne pas hésiter à en parler avec des collègues

Si elle n’avait qu’un conseil à donner, ce serait donc de ne pas tout accepter : «Certains patients prennent leurs aises. Ils sont à leur domicile, en confiance, dans leur environnement et se permettent des choses. Mais ce n’est pas parce que l'on se déplace chez eux qu’ils sont les rois. Il faut absolument parvenir à mettre des limites quand il y a quelque chose qui nous semble inadapté ou inapproprié dans le cadre des soins que l’on prodigue. Et puis, quand il se passe quelque chose qui nous travaille, il ne faut pas hésiter à en parler à ses collègues pour voir s’il s’agit d’une situation qui s'est déjà produite avec le patient. Et dans ce cas, voir ce qui peut être mis en place ensemble pour que cela ne se reproduise plus. Si le patient n'est pas capable d’entendre cela, la prise en charge doit s’arrêter».

Certains patients refusaient mes soins car ils trouvaient que j’avais l’air trop jeune.

Nadia Balle Denain, 37 ans, infirmière depuis une quinzaine d’années 

Nadia Balle Denain
Nadia Balle Denain

Nadia exerce à la fois en libéral et dans un hôpital psychiatrique. Elle confie avoir souffert de délit de faciès. «Certains patients refusaient mes soins car ils trouvaient que j’avais l’air trop jeune. J’essayais de me défendre en disant que s’ils ne voulaient pas de mes soins, ils n’avaient qu’à les faire eux-mêmes. Je leur précisais quand même que j’avais bien mon diplôme d’infirmière».
En hôpital psychiatrique, il arrive que Nadia soit la première interlocutrice de certains patients, parfois agressifs envers elle parce que le psychiatre ne leur prescrit pas le médicament qu’ils souhaitent. «Cela peut nous obliger à les isoler et à appeler du renfort». Elle fait également face à des patients qui ne supportent pas d’être réveillés le matin : «Ils réagissent parfois vivement, souligne-t-elle. On perturbe effectivement leurs habitudes quotidiennes mais il est nécessaire de reposer le cadre, en expliquant qu’on est en milieu hospitalier et que nous, en tant qu’infirmiers, devons respecter un planning de visite».

Les acquis de l’expérience

Elle dit avoir subi très peu de gestes déplacés en milieu hospitalier : «Je pense qu’il y a quand même l'effet blouse blanche qui rappelle que nous sommes des professionnels de santé. Cela calme un peu les ardeurs de certains».
Nadia Balle Denain valorise l’expérience très enrichissante des anciens : «Ils m’ont beaucoup apporté notamment quant à la posture de soignant. Ils m’ont appris à faire au mieux pour toujours garder le contrôle devant les patients et à ne pas me laisser démonter en cas de conflit».

Il y a des gens qu’il est indispensable de cadrer tout de suite.

Séverine
Séverine

Séverine, 50 ans, infirmière libérale dans la campagne angevine

« J’évolue en milieu rural. Je côtoie des gens de la campagne qui sont à l'aise avec moi, parfois trop. C'est vrai qu’il peut y avoir des paroles blessantes, cela m'est déjà arrivé. Selon le patient, le contexte, la façon dont cela est dit, j’essaie de faire de l’humour et ça passe. Si je suis vexée, je leur fais savoir aussi. Il y a des gens qu’il est indispensable de cadrer tout de suite. Avec l'expérience, on sent assez vite qu'il va falloir mettre de la distance». Cela lui est déjà arrivé d'effectuer le soin et de partir en claquant la porte, en disant au patient que s’il ne s’excusait pas, elle ne reviendrait pas. 

Je dois parfois rappeler que mon apparence physique n’est pas le cœur du sujet.

Rester professionnelle

En tant que femme, elle supporte de nombreux jugements sur sa tenue. «Quand il fait beau et que je sors mes robes d’été, j’ai droit à un petit mot tous les jours. Ce n’est rien de méchant mais je me sens parfois réduite à ma tenue. Si l’on me dit que ma robe me grossit, je réagis en rappelant que mon apparence physique n’est pas le cœur du sujet, que je suis ici pour les soins. Je cadre en me servant du côté professionnel».
Les remarques peuvent aussi porter sur le poids, la couleur des cheveux, les bijoux. Elle se remémore le cas d’un patient tétraplégique qu’elle voyait régulièrement. «Il avait mon âge et je trouve qu’il y a une proximité plus importante quand on a le même âge, les mêmes codes, les mêmes références culturelles. Il se permettait des réflexions assez lourdes. Dans ce cas, il ne faut pas être trop sensible et savoir bien répondre, avec tact, fermeté et se positionner sérieusement».

Nous sommes des humains, en face d'humains.

Inciter au respect

Quand il s’agit de patients souffrant de démence ou présentant un déficit engendrant une forte sexualisation à cause de la maladie, l’infirmière fait la différence. «Dans ce cas, ce n’est pas volontaire. Mais quand ça l’est, je recadre immédiatement et menace d'arrêter les soins. En général c’est efficace. Il y en qui demandent un bisou au premier de l'an et à leur  anniversaire. Là, je dis non merci.»
De manière générale Séverine reste attentive à la façon dont elle s’habille. Si elle porte une robe, elle l’associe systématiquement à un shorty. Elle évite aussi les décolletés plongeants. Un moyen de ne pas trop s’exposer.
« Je n’évoque ici que des situations difficiles mais la majorité des patients sont respectueux. Nous sommes des humains, en face d'humains. Nous avons chacun nos mauvais jours, notre fatigue. Il faut savoir prendre du recul et parfois reparler gentiment de ce qui s’est passé un peu plus tard…»

La pression des familles

Au-delà des patients, les infirmiers subissent la pression des familles. «C’est toujours un peu délicat, livre Alice Robin. On peut être pris de court lorsque l’entourage met une pression. Quand c’est le cas, on arrive déjà au domicile du patient dans une dynamique un peu différente. On sait qu'il va falloir poser des limites». En milieu hospitalier, Nadia Balle Denain a quant à elle à gérer des familles qui ne respectent pas les horaires de visite : «Cela peut être compliqué, surtout quand les familles viennent en nombre. Il faut faire face et rester ferme en demandant de revenir aux heures prévues».

 

Élise Kuntzelmann

Source : infirmiers.com