Pourquoi qualifiez-vous d’invisibles
les infirmiers de santé au travail ?
Tout se passe comme si l'infirmier de santé au travail (IST) avait disparu ou presque des radars. Nous avons été totalement exclus du Ségur sous prétexte que notre profession est légiférée par le ministère du Travail. Qui plus est, l'année 2021 a vu la promulgation d'une nouvelle réforme dévalorisante et restreignant notre autonomie, alors même que les infirmiers tous autres secteurs confondus vivent un temps de revalorisation de leur métier. Le statut d’Infirmier au travail (IST), créé en 2007, pour pallier la pénurie de médecins dans conférait alors certaines prérogatives et une certaine liberté d’exercice. Depuis 2011, plusieurs réformes ont élargi petit à petit les missions des IST, leur permettant ainsi de participer activement au suivi de santé des salariés. Aujourd’hui : on compte environ 4000 IST travaillant dans des services de médecine du travail dits interentreprises
accessibles à tous les salariés (et tout particulièrement ceux des TPE et PME) et environ 2000 en interne dans les grandes entreprises. Mais cela ne suffit pas pour assurer un suivi de qualité des quelque 17 millions de salariés français. D’autant que la politique de santé actuelle appelle à renforcer plus encore notre mission notamment en termes de prévention et de qualité de vie au travail.
Vous dénoncez cependant dans le dernier texte de loi un recul sur la reconnaissance de vos compétences ?
La loi du 2 août 2021 élargit effectivement notre mission, nous confie plus de responsabilités mais moins de pouvoir de décision. Le médecin du travail peut désormais déléguer de nombreux actes mais lui seul décide de la compétence de l’IST quelle que soit sa formation puisqu’aucun décret ne décrit le contenu de la formation nécessaire. En bref, ce texte de loi réduit les IST à de simples exécutants au détriment de leur rôle propre, privés de leur indépendance et les plaçant sous la tutelle du médecin du travail, seul interlocuteur de poids dans l'esprit des pouvoirs publics. Malheureusement, le législateur a trouvé le moment opportun pendant la crise sanitaire de faire passer en force certains décrets qui renforcent davantage encore le pouvoir du médecin du travail et des employeurs.
Vous évoquez également une situation ambiguë en termes de formation ?
L'un des principaux problèmes vient d'une zone restée floue dans la loi : l'article R4623-29- Modifié par Décret n°2012-135 du 30 janvier 2012-art.1 , qui traite de la formation, laisse le champ libre à interprétation, l'employeur décidant des types de formations et d'organisme ainsi que du nombre d'heures nécessaires à l'infirmier pour être en capacité de suivre l'état de santé des salariés. Un flou juridique aux conséquences directes, puisque le résultat de l'application de cet article expose de nombreux infirmiers à des conflits entre leurs compétences, leurs capacités à prendre en charge les salariés et les injonctions de leurs employeurs, souvent plus intéressés par une politique de rendement que par la qualité du service rendu.
Comment les infirmiers de santé au travail ont-ils vécu la crise sanitaire ?
Rompre l'isolement prend tout son sens dans la situation exceptionnelle que nous avons vécue, non seulement pour les travailleurs que nous accompagnons mais aussi pour les membres de la profession. Pendant la crise sanitaire, les services de santé au travail ont été parmi les plus sollicités dans le monde de l’entreprise, notamment pour maintenir le lien
. Nous avons dû nous adapter très vite et réorganiser nous aussi notre travail avec de nouveaux outils. De nombreux exemples et initiatives infirmiers ont permis d’accompagner les salariés pendant cette crise sanitaire : VIP en téléconsultation, entretien d’écoute, conseil ergonomique pour le télétravail etc.
Nous attendons avec beaucoup d'espoir la mise en place de la pratique avancée en santé
Quelles sont à cette heure les principales attentes de la profession ?
Notre volonté est de placer le décret sur la formation, repoussé à 2023, au cœur des prochains débats parlementaires du nouveau gouvernement afin qu'il devienne une priorité pour le nouveau ministre du Travail. Nous attendons avec beaucoup d'espoir la mise en place de la pratique avancée en santé au travail. Il est impératif que soit reconnue la spécialité des IST à l’instar de celle des médecins du travail et au même titre que les autres spécialités infirmières (IBODE, IADE, Puériculture..). La réhabilitation de l'infirmier de santé au travail doit aussi passer par le renforcement de son autonomie et de son indépendance. Ce que devrait favoriser une formation universitaire et l'instauration de la pratique avancée. Enfin, il est essentiel, au regard de la mission qui est dévolue et de son contenu éthique, que l’infirmier de santé au travail accède au statut de salarié protégé
.
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