C’était une promesse formulée par le Conseil international des infirmières (CII) en juillet 2024 : parvenir, en une année, à donner une nouvelle définition de la profession infirmière, à temps pour la tenue de son Congrès, à Helsinki. C’est chose faite, avec la publication mercredi 11 juin d’un rapport décrivant « de manière officielle la portée, l'identité et la contribution de la profession à la santé mondiale ». En tant que principal organisme mondial des soins infirmiers, le CII a en effet cette responsabilité de définition, assume-t-il en introduction du document, rappelant qu’il représente plus de 29 millions de professionnels de santé dans le monde. Ses premiers travaux « remontent à 1919 et aux préoccupations concernant les variations de formation au lendemain de la Première Guerre mondiale. » Une question qui demeure d’actualité alors que le contexte économique, social, démographie, et technologique a changé. Et qui rend de fait nécessaire une redéfinition du métier et de la notion de « soins infirmiers », qui s’est appuyée à la fois sur une vaste consultation des infirmiers et de leurs représentants, et sur les avis d’experts (voir encadré).
Une définition pour reconnaître l'évolution du métier
Cette réflexion s’inscrit dans un continuum de la profession et de ses missions. « Cette initiative reconnaît l’évolution de la profession infirmière et l’adaptation de son rôle dans les soins infirmiers, tout en restant fidèle à son héritage et à son histoire », assure ainsi l’organisation. Elle respecte ainsi la distinction, en place depuis plusieurs années désormais, entre le terme d’ « infirmière » et la notion de « soins infirmiers ». La définition du premier, telle qu’elle existait jusque-là dans les statuts du CII, est succincte. Une infirmière est « une personne qui a suivi un programme de formation aux soins infirmiers et qui est qualifiée et autorisée dans son pays à exercer en tant qu’infirmière ». Quant aux seconds, leur signification a été fixée pour la première fois par Virginia Henderson en 1950, avant d’être révisée à plusieurs reprises, la dernière version datant de 2002. Or, depuis, l’apparition d’une multiplicité des pratiques infirmières et les positionnements propres à chaque association ou organisation infirmière ont rendu ces définitions caduques.
Pourtant, une entreprise de définition universelle, intégrée par tous, de ces deux notions est essentielle, ne serait-ce que pour intégrer la profession et ses champs de compétence dans l’écosystème plus large de la santé. « En articulant clairement les rôles et les responsabilités des infirmières, les définitions renforcent la reconnaissance de la profession d’infirmière en tant que profession qualifiée et essentielle », avance le CII. « Elles mettent en évidence l’élargissement du champ d’action des soins infirmiers y compris le leadership, la défense des intérêts et les contributions aux systèmes de santé ce qui renforce la visibilité et l’influence de la profession. » Avec pour corollaire d’assurer une meilleure collaboration avec les autres professions de santé.
Les infirmières améliorent les connaissances en matière de santé, promeuvent la santé, préviennent les maladies, protègent la sécurité des patients, soulagent la souffrance et facilitent le rétablissement et l’adaptation en préservant la dignité tout au long de la vie et en fin de vie.
Le processus a une seconde visée : clarifier les significations respectives du terme « infirmière » et de la notion de « soins infirmiers », dont les attributs ont jusque-là eu tendance à se confondre, rendant « difficile leur utilisation, leur mémorisation et leur communication avec les diverses parties prenantes » des systèmes de santé. La seconde recouvre ainsi la profession et sa pratique, avec ses différents champs d’application ; tandis que le premier fait référence aux individus qui pratiquent les soins infirmiers, avec leur formation, leur forme d’exercice, leur pratique et leur réglementation spécifiques.
Les deux nouvelles définitions
Avant toute précision sur ces notions, le CII tient à rappeler en préambule qu’une profession est « un groupe de personnes ayant des connaissances et des compétences disciplinaires spécialisées, dont le public attend qu’elles respectent des normes et des codes de conduite ».
- Les soins infirmiers « se consacrent à la défense du droit de toute personne à jouir du meilleur état de santé possible grâce à un engagement commun à fournir de soins et services collaboratifs, culturellement sûrs, centrés sur l’être humain », établit ainsi le CII. Ils militent pour un accès équitable à la santé et à des environnements sûrs et durables, protègent la sécurité et la continuité des soins et s’insèrent dans les aspects les plus personnels de la vie des patients. Leur pratique repose sur une combinaison de connaissances disciplinaires, fondées sur la science, et de capacités techniques, sous-tendues par des normes déontologiques. Enfin, ils s’engagent « en faveur de la compassion, de la justice sociale et d’un avenir meilleur pour l’humanité. »
- L’infirmière, quant à elle, est la professionnelle qui est formée aux connaissances scientifiques, aux compétences et à la philosophie des soins infirmiers, et réglementée de manière à pratiquer les soins infirmiers. « Les infirmières améliorent les connaissances en matière de santé, promeuvent la santé, préviennent les maladies, protègent la sécurité des patients, soulagent la souffrance et facilitent le rétablissement et l’adaptation en préservant la dignité tout au long de la vie et en fin de vie », ajoute le CII, qui liste également parmi leurs missions : la délivrance de soins cliniques et sociaux axés sur les personnes et « empreints de compassion », l’amélioration des systèmes de santé, ou encore l’établissement d’une relation de confiance avec les populations. L’organisation met aussi en avant l’importance de leur formation continue et de l’amélioration des pratiques. Enfin, les infirmières « jouent un rôle central dans la coordination et la supervision de la délégation d’autres personnes susceptibles de contribuer à la fourniture des soins de santé. »
Ces définitions, insiste le CII dans son rapport, sont utilisées au sein de la profession dans la formation, la réglementation, la planification du personnel et pour la compréhension des missions et des soins infirmiers. À l’extérieur du métier, elles possèdent « une fonction déclarative qui énonce sans ambiguïté le rôle légitime de la profession », aussi bien dans les soins directs aux patients que dans l’élaboration des politiques publiques de santé ou les débats sur le changement climatique ou l’équité entre les genres. Plus largement, elles permettent, à l’échelle mondiale, d’améliorer la mobilité des personnels et leur planification, alors que le CII alerte régulièrement sur les mouvements de captation d’infirmiers des pays les plus riches aux dépens des pays les moins développés, de renforcer la collaboration internationale ainsi que les normes de sécurité et de qualité, ou encore d’assurer une plus grande équité dans la prise en charge des populations, surtout les plus vulnérables.
Comment les faire appliquer ?
Reste qu’il faut désormais pouvoir les faire appliquer. L’organisation complète donc son document avec une liste de recommandations pour les rendre plus effectives sur le terrain et dans les échanges entre professionnels, au niveau local comme international. Elle encourage ainsi les associations nationales d’infirmières à les promouvoir et à travailler avec les décideurs politiques pour les intégrer dans les stratégies de santé, mais aussi à mettre à jour les codes de déontologie et les normes de pratique pour qu’elles s’y alignent. Un alignement qui doit aussi concerner les autorisations d’exercer dans chaque pays et conduire à combler les potentielles lacunes de leur réglementation, et s’appliquer aux programmes de formation, notamment afin qu’ils mettent l’accent sur « la défense des droits, la sécurité, l’éthique et les responsabilités en matière de santé mondiale. » Le CII appelle également les organisations internationales du travail à soutenir la planification des effectifs avec, comme priorité, de répondre à la pénurie des personnels infirmiers, et à protéger leurs droits, via une meilleure reconnaissance de leurs différentes contributions à la santé des populations.
Une étape essentielle dans la reconnaissance de la profession
« Fondamentalement, cette nouvelle définition montre que les soins infirmiers sont une profession hautement qualifiée, fondée sur des preuves, centrée sur la personne, éthique et socialement juste. Elle nous donne le langage et le cadre nécessaires pour faire comprendre au monde entier que les soins infirmiers sont une fusion entre l'art et la science qui sauve des vies et change des vies », a réagi dans un communiqué Pamela Cipriano, l'ex-présidente du CII qui a laissé sa place à José Luis Cobos Serrano à l'issue du Congrès, à la publication de ces nouvelles définitions. Celles-ci permettent également de reconnaître ces professionnels de santé aussi bien comme des « innovateurs » que des éducateurs et des chercheurs « qui façonnent l'avenir des soins pour le bien et la santé de tous. »
De son côté, le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), présent au Congrès du CII, salue des définitions qui rendent « visibles » les infirmiers et leurs missions. « Les infirmières sont des professionnelles autonomes, engagées, qui allient compétence scientifique et engagement humain. Leurs missions ne se limitent pas au soin technique : elles s’étendent à l’enseignement, à la gestion, à la recherche, au leadership et à la défense des droits fondamentaux », souligne-t-il dans un communiqué. La reconnaissance des différentes composantes du métier et de leur participation aux systèmes de santé est d’autant plus importante que ces derniers sont face à une pénurie de professionnels, alors qu’ils sont dans le même temps confrontés à un vieillissement de la population et donc à une augmentation de la demande en soin. « En redéfinissant l’infirmière, le CII redonne du sens, de la cohérence et de la force à une profession qui ne cesse de démontrer son rôle essentiel dans la santé de nos sociétés », conclut le syndicat, qui appelle à faire « vivre » ces nouvelles définitions dans « chaque pays, chaque système de santé, chaque programme de formation. » Avec en ligne de mire, en France, l’application de la refonte du métier et la révision du référentiel de formation.
Pour parvenir à une redéfinition de l’infirmière et des soins infirmiers, le CII a débuté sa réflexion sur une revue de la littérature existant déjà sur le sujet. Elle a été suivie par une large consultation auprès de toute personne souhaitant y participer puis auprès des diverses communautés de pratique (associations nationales d’infirmiers, universitaires, conseil du CII et anciens élèves de son programme de renforcement des compétences en leadership, le Global Nursing Leadership Institute (GNLI), étudiants, infirmiers en pratique avancée…). Une troisième étape a consisté à solliciter un groupe d’experts via la démarche Delphi, soit une méthode développée aux États-Unis dans les années 60, qui consiste à organiser une consultation d’experts sur un sujet dans une visée souvent prospective grâce à un questionnaire. L’exécutif et le conseil d’administration du CII ont ensuite été consultés sur le consensus obtenu afin de soutenir et affiner les définitions qui en ont résulté. Celles-ci ont ensuite été soumises à l’approbation du conseil d’administration du CII.
Accéder au rapport sur la révision des définitions d'«infirmière» et de «soins infirmiers ».
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