DÉONTOLOGIE

Antivax et faux pass sanitaires : une IDEL face à la chambre disciplinaire

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Publié le 27/10/2025

94. C'est le nombre de faux pass sanitaires qu'une infirmière libérale reconnaît avoir produit au cours de la crise de Covid-19 pour des personnes qui, pour la plupart, ne faisaient pas partie de sa patientèle. De quoi la conduire devant la chambre disciplinaire nationale, où vont s'affronter arguments déontologiques et anti-vaccin.

délivrance d'un certificat de vaccination Covid, soignant, bureau

Crédit photo : BURGER / PHANIE

La salle est littéralement comble pour cette audience de la chambre disciplinaire nationale. Et pour cause. L'affaire qui y est jugée fait ressurgir les divisions et les psychoses engendrées par l'obligation vaccinale contre le Covid-19. De nombreux spectateurs, venus en soutien, n'en démordront pas : l'infirmière mise en cause n'a fait que son devoir. Effets secondaires potentiels des vaccins anti-Covid, théorie de la « baïonnette intelligente » et responsabilité du soignant vis-à-vis de son patient : face à la juridiction, l'infirmière libérale (IDEL) tente en effet de justifier l’entorse faite aux consignes et obligations imposées à l'époque par le gouvernement.

Les faits établis : l'émission de 94 faux pass sanitaires 

Motif de sa présence face à la chambre :  l’émission, entre juin 2021 et février 2022, de 94 faux pass sanitaires au cours de la crise de Covid-19. Elle-même se positionne contre la vaccination anti-Covid et ne s’en cache alors pas. C’est ce qui alerte ses deux associées, qui exercent avec elle dans le même cabinet, en Nouvelle-Aquitaine. Ces dernières découvrent dans leur logiciel métier la présence d’une liste de patients qui ne font pas partie de leur patientèle commune. Confrontée, l’IDEL admet avoir facturé et émis de faux pass sanitaires, dont un pour elle-même afin de continuer à exercer.

Condamnée à la radiation en première instance

Ses associées préviennent aussitôt l’Agence régionale de santé (ARS), qui informe à son tour le Conseil départemental de l’Ordre infirmier (CDOI) de Gironde en octobre 2021. Ce n’est qu’au mois de juin suivant que ce dernier dépose plainte contre l’IDEL auprès de la chambre disciplinaire de première instance, qui la condamne à la radiation le 30 mai 2023. Une sanction jugée « disproportionnée », « inappropriée », plaidera son avocat en appel. Et qui l’est d’autant plus au regard de l’autre condamnation dont elle a écopé au tribunal correctionnel. Car, en parallèle, l’IDEL est passée devant le tribunal judiciaire de Bordeaux pour « escroquerie faite au préjudice d’une personne publique ou chargée d’un service public » et « introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé » ; elle a été condamnée à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et à 18 mois d’interdiction d’exercer.

Tout l’enjeu au cours de l’audience d’appel, donc, est de réduire la sanction disciplinaire. « On a voulu prononcer la radiation à vie de l’IDEL, on lui a piqué son diplôme, elle ne peut plus exercer », s’émeut son avocat en introduction. Et tout cela pour quoi ? Pour avoir, en temps de crise sanitaire, embrassé ses responsabilités de soignante, avance-t-il. Car il faut juger les faits au regard de la situation de l’époque.

Une crise au caractère inédit

Il y a donc d’abord cette crise « au caractère inédit », avec « ses mesures fluctuantes », que chacun a vécues selon ses propres « modes de compréhension ». Et ce encore plus quand il s’est agi de l’obligation intimée à certains professionnels de se faire vacciner. Voilà donc l’IDEL en butte à un produit « qui n’a pas respecté toutes les procédures. Pouvait-elle y souscrire aveuglément et faire fi des règles élémentaires d’utilisation d’un nouveau produit qui arrive sur le marché ? », questionne l’avocat. Pour rappel, les vaccins anti-Covid ont bénéficié d’une procédure d’autorisation de mise sur le marché (AMM) conditionnelle pour répondre à l’urgence de la pandémie de Covid-19, virus pour lequel il n’existait alors aucun autre traitement. Une telle autorisation supposait par ailleurs une surveillance continue de leur efficacité.

Une pseudo étude scientifique pour justification

Et puis, il y a ces potentiels effets secondaires que l’on mesure mal à l’époque. « Depuis 5 ans, je vous assure que les risques ont été plus que révélés », se défend l’IDEL,qui met en avant le chiffre de 17 millions de décès qui auraient été provoqués par les vaccins pour justifier a posteriori ses actes. Un chiffre avancé par un certain Denis Rancourt, professeur à l’université d’Ottawa, dans une analyse publiée en septembre 2023. Pour le démontrer, il s’appuie sur l’étude de la surmortalité dans 17 pays du sud. Problème : Denis Rancourt n’est expert ni en médecine ni en épidémiologie mais dispose seulement d’une… formation en physique. Quant à l’évaluation de la surmortalité, elle ne prend pas en compte plusieurs données critiques, dont la mortalité due au Covid avant l’arrivée du vaccin dans une partie du monde par ailleurs particulièrement touchée par l'épidémie. L’analyse est évidemment jugée sans fondement par les épidémiologistes.

C’est là qu’intervient la théorie de la « baïonnette intelligente » (voir encadré). L’IDEL ne s’est finalement, selon elle, rendue coupable que d’une seule à chose : refuser un ordre qu’elle a estimé illégal, afin de protéger des personnes en détresse. « Ce traitement ne me permettait pas de me sentir en sécurité dans ce que j’ai en responsabilité dans mes actes, dans mes gestes. On est responsable à vie quand on injecte un produit dans le corps d’un patient », insiste-t-elle.

Certes, les personnes qui sont venues la voir ne faisaient pas partie de sa patientèle. Mais elles étaient « dans le besoin de continuer d’honorer leur profession : pompiers, enseignants, professeurs de sport. » Son avocat, lui, préfère avancer l’absence d’enrichissement personnel : si elle a bien facturé les fausses vaccinations – une étape obligée pour pouvoir émettre le pass sanitaire – elle n’en a tiré aucun profit. Elle a d’ailleurs depuis remboursé l’Assurance maladie. « Je n’avais pas le choix », laisse-t-elle tomber.

La théorie de la baïonnette intelligente
La baïonnette intelligente est une théorie juridique qui permet de condamner les fonctionnaires qui obéissent à un ordre « manifestement illégal ». Sous-entendu, ces derniers détiennent une part d’autonomie pour contester un ordre donné par leur hiérarchie si celui-ci contrevient à la loi. Il existe une jurisprudence, inspirée d’un arrêt du Conseil d’État prononcé en novembre 1944. À l’époque, un certain Langneur, chef du service chômage de Drancy, est condamné pour avoir exécuté les instructions du maire, son supérieur hiérarchique, alors que celles-ci « présentaient de toute évidence un caractère illégal. » Le Conseil d’État avait alors jugé que Langneur était bel et bien demeuré entièrement responsable de ses actes. « N'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l'autorité légitime sauf si cet acte est manifestement illégal », est-il ainsi indiqué dans l’article 122-4 du code pénal. Dans le cas présent, l’IDEL a estimé que l’ordre de vaccination présentait une forme d’illégalité et qu’il en allait donc de sa responsabilité, soignante et civile, de s’y opposer.

La poursuite de son activité en faisant croire qu'elle était vaccinée

Autant d’arguments que son avocat applique au cas personnel de l’IDEL, qui a continué d’exercer tout en n’étant pas vaccinée alors qu’elle était soumise, en tant que soignante, à l’obligation de l’être. Certes, celle-ci s’est avérée temporaire, mais au moment où elle entre en vigueur, personne ne sait combien de temps elle va durer. «Il y a chez ma cliente l’absolue nécessité de continuer à travailler parce que les patients l’attendent ; c’est la continuité des soins », martèle ainsi son avocat, qui souligne les états de services irréprochables de sa cliente. Et puis il faut bien vivre ! «Il a alors été question dans cet absolu état de nécessité – et c’est une notion juridique, l’état de nécessité, qui anéantit la responsabilité pénale de quelqu’un qui commet un acte dans cet état de nécessité – de faire croire qu’elle était vaccinée alors qu’elle ne l’était pas », argumente-t-il.

De quoi donc légitimer une demande de médiation. Non pas celle qui est prévue dans le cadre de la procédure disciplinaire, et qui ne s’applique que lorsqu’il y a plainte d’un tiers autre que l’Ordre des infirmiers. Mais plutôt une médiation qui reposerait sur l’instauration « d’un lieu d’échange » pour discuter du quantum de la sanction. De celle « propre à tout litige juridictionnel, administratif et disciplinaire, qui vise à créer un lieu d’échange entre les protagonistes du dossier, pour essayer de comprendre, d’appliquer, de mesurer, de savoir ce qui se joue », précise l'avocat et que, selon lui, le contexte des faits et les motivations de l’infirmière autorisent.

9 articles de déontologie qui n'ont pas été respectés

Las, le Conseil départemental de l’Ordre est là pour ramener la question dans le champ de compétences de la chambre disciplinaire : l’appréciation d’un comportement qui relève de la déontologie infirmière. « Le caractère exceptionnel de l’état d’urgence sanitaire n’enlevait pas les obligations déontologiques » de l’IDEL, assène son président. Selon le compte-rendu de l’affaire, «on voit que pas moins de 9 articles du code de déontologie ont été plus ou moins transgressés. On peut entendre qu’il ne peut pas y avoir discernement chez le soignant sur les choix thérapeutiques ou l’appréciation d’une directive. Mais ça ne justifie pas d'établir de faux certificats de vaccination et de les inscrire dans les bases de données gouvernementales», s’étrangle-t-il.

Il n’existe aucune jurisprudence ayant condamné l’État pour la décision d'obligation vaccinale.

Et c’est bien entendu sur ces considérations qu’a tranché la chambre disciplinaire nationale. La demande de médiation, telle qu’elle est formulée, relève en effet de la juridiction administrative. Impossible donc pour la juridiction disciplinaire de la mettre en œuvre. Quant à la théorie de la «baïonnette intelligente», si elle permet à un agent de faire valoir sa liberté de conscience, principe constitutionnel fondamental, encore faut-il que l’ordre dénoncé soit «manifestement illégal». Ce qui n’est pas le cas de celui relatif à l’obligation vaccinale, imposée notamment aux soignants. Il n’existe aucune jurisprudence ayant condamné l’État pour cette décision. Quant à l’argument de la dangerosité supposée du vaccin, il est tout simplement «inopérant» puisque la chambre n’est pas en mesure de statuer sur le bien fondé des mesures sanitaires. Elle «n’a compétence que pour apprécier le comportement déontologique d’un infirmier, et non de réapprécier la légalité ou la constitutionnalité des actes du Gouvernement ou du Parlement pour lutter contre la covid19 », rappelle-t-elle.

Le code  de santé publique interdit à l’infirmier d’user de sa profession pour obtenir, pour lui-même ou pour un tiers un avantage ou un profit injustifié.

Ne reste donc que l’acte de production de ces faux certificats, qu’elle ne nie pas et qui a, après tout, donné lieu à une sanction du tribunal correctionnel. Et ces faits, eux, relèvent bien d’un manquement déontologique. Selon l’article R. 4312-23 du code de santé publique, « l'exercice de la profession d'infirmier comporte l'établissement par le professionnel, conformément aux constatations qu'il est en mesure d'effectuer, (…) attestations (…) dont la production est prescrite par les textes législatifs et réglementaires. (…) Il est interdit à l'infirmier d'en faire ou d'en favoriser une utilisation frauduleuse, ainsi que d'établir des documents de complaisance », explique la chambre dans sa décision. Et l’article R. 4312-54 de ce même code interdit à l’infirmier d’user de sa profession pour obtenir, pour lui-même ou pour un tiers un avantage ou un profit « injustifié ». Or, que sont ces pass sanitaires si ce n’est des faux, justement établis par complaisance ?

Une interdiction temporaire d'exercer de 3 ans

Sanction, il doit y avoir ; mais une sanction révisée, qui prenne en compte la situation personnelle de l’IDEL. Celle-ci n’exerce plus depuis la décision du tribunal correctionnel, rappelle son avocat, et elle démontre « une volonté de réinsertion », observe de son côté la chambre. « Il est clair que si ça se représentait, avec un produit aussi peu sécurisé, je me retirerais du jeu, tout simplement. Le statut d’infirmière remplaçante m’irait très bien », déclare-t-elle en effet à la fin de l’audience. Enfin, il y a l’absence totale d’antécédents à considérer. La chambre disciplinaire nationale choisit donc d’annuler la décision de première instance et de ramener la sanction à une interdiction temporaire d’exercer de 3 ans, sans sursis.


Source : infirmiers.com