ENTRETIEN

Damien Sarméo,président de la FNESI : "Il faut diplômer plus et améliorer les conditions de formation"

Par
Publié le 24/10/2025

Réforme de la formation et universitarisation, amélioration des conditions d'études, mais aussi valorisation de l'engagement étudiant : Damien Sarméo, le président nouvellement élu de la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières (FNESI), déroule les priorités de son mandat.

Damien Sarméo, président FNESI

Damien Sarméo, vous succédez à Ilona Denis à la tête de la FNESI. Quel bilan dressez-vous du précédent mandat ?

Lors du précédent mandat, la FNESI avait ciblé plusieurs priorités : la réforme de la formation, la loi infirmière, pour laquelle nous avons été mis à contribution, et l’enquête sur le bien-être des étudiants mise en lumière lors du Salon Infirmier 2025, sous le haut patronat du ministère de la Santé. Elle a permis à plus de 200 étudiants en sciences infirmières (ESI) de toute la France de s'exprimer sur leur bien-être ou mal-être en formation.

Nous défendons l’idée de créer un département universitaire, dont les IFSI seraient pleinement membres.

Mais l’autre grand combat de la FNESI reste la réforme de la formation. Depuis le lancement des travaux, nous sommes partie prenante des groupes de travail et avons porté 50 propositions (voir encadré). Il fallait préciser  plusieurs points : les maquettes de formation, et donc les unités d’enseignement et leur contenu pédagogique, les modalités d’évaluation et de contrôle des connaissances ou encore la gouvernance, qui actuellement ne fonctionne plus, en lien avec l’intégration universitaire. Nous défendons l’idée de créer un département universitaire, dont les Instituts de formation en sciences infirmières (IFSI) seraient pleinement membres. Chaque groupement universitaire appliquerait une même formation tout en disposant d’une marge de manœuvre en fonction des besoins en santé du territoire. Car les deux travaux, ceux sur l’universitarisation, menés par la mission interministérielle présidée par la professeure Christine Ammirati, et ceux sur la réforme de la formation vont totalement ensemble.

Les 50 propositions de la FNESI pour la réforme de la formation

En amont des travaux sur la réforme de la formation, la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières (FNESI) a publié une contribution listant 50 propositions : mettre en place une plateforme d'évaluation des stages, valoriser le tutorat en stage, ouvrir la formation infirmière à l’interprofessionnalité, développer l’exploitation de la simulation, lutter contre les frais complémentaires illégaux, qui aggravent la précarité étudiante, ou encore favoriser la mobilité internationale. Un volet est également consacré à la gouvernance des instituts de formation, en lien avec leur intégration à l’université. La création d’un département universitaire dont les IFSI seraient membres permettrait ainsi de résoudre un certain nombre d’écueils, dont la rivalité entre instituts face au manque de terrains de stage. « Le but, c’est d’avoir une coordination et que ce soit plus sain, avec un espace de collaboration », explique Damien Sarméo. Maquette pédagogique et modalités de contrôles des compétences et connaissances, « tout ça doit être décidé sur un même groupement universitaire et c’est pour cela qu’il faut un espace d’échange, pour que les IFSI se mettent d’accord. »

Notre enjeu, c’est la reconnaissance du temps de travail personnel, qu’on estime en moyenne à 900 heures.

L’un des enjeux de la réforme est d’allonger la durée de la formation à 4 600 heures. La FNESI est opposée à une quatrième année de formation. Quelles alternatives proposez-vous pour intégrer ces heures supplémentaires à un cursus déjà jugé très dense ?

La FNESI est effectivement opposée à une quatrième année de formation, parce qu’il n’y a pas en réalité 400 heures d’enseignement théorique supplémentaires à ajouter. Actuellement, le référentiel* prévoit 5 100 heures de formation en comptant le travail personnel, mais celui-ci n’est qu’estimé. On a une directive européenne qui impose 4 600 heures de formation, quand le précédent référentiel de formation indiquait 4 200 heures. Mais c’est un problème de rédaction qui ne permet pas, dans les textes, d’atteindre les 4 600 heures. Notre enjeu, c’est la reconnaissance du temps de travail personnel, qu’on estime en moyenne à 900 heures. Il y aura effectivement des heures d’enseignement supplémentaires, mais elles n’équivaudront pas à 400 heures.

C’est d’ailleurs l’un des combats de la FNESI : il ne faut surtout pas plus d’enseignements théoriques, parce que la formation actuelle est déjà surchargée, et pas forcément par des choses très pertinentes. Par exemple, sur les processus, on va aborder les processus tumoraux, puis infectieux, puis traumatiques. Résultat, on se retrouve à revoir plusieurs fois le système du corps et les mêmes traitements. On a comparé l’ensemble des éléments du contenu de la formation, et on s’est rendu compte que beaucoup se répètent. Et sur certains enseignements, les enseignants médecins délivrent aux ESI le même type de cours que pour les étudiants en médecine, sur le diagnostic ou les examens complémentaires, par exemple. Soit des choses qui ne relèvent pas de la compétence infirmière.

Pour plus d’efficience dans les enseignements, il faut que dans les universités, il y ait des enseignants chercheurs en sciences infirmières pour élaborer les maquettes.

Il faut plus d’efficience dans les enseignements. Dans le cadre de la réforme, nous portons l’idée de développer une approche plus logique de système, où on voit l’anatomie, la physiopathologie, les principales pathologies, puis les traitements. Mais pour porter ce sujet d’efficience des enseignements, il faut que dans les universités, il y ait des enseignants chercheurs en sciences infirmières pour élaborer les maquettes. Et un de nos enjeux, c’est d’obtenir le financement de ce type de postes. Il y en a déjà, mais les universités ne sont pas toutes dotées de la même manière. C’est un sujet très connexe à l’universitarisation. On en a assez d’être étudiant, d’être en stage et de s’entendre dire qu’il faut faire comme ça parce qu’on a appris qu’il fallait faire comme ça, alors qu’on ne sait pas expliquer pourquoi ce soin est plus adapté qu’un autre. Et la seule solution à ça, c’est de prouver la qualité des soins par la recherche.

Un autre point d'importance de la réforme est de prendre en compte le mal-être des étudiants, qui est souvent évoqué. En quoi l’universitarisation pourrait-elle contribuer à y remédier ?

Les résultats de notre enquête « Bien-être » doivent nous pousser à trouver des solutions face à la souffrance des ESI, et la garantie de l’accès aux services étudiants en fait partie. Ce qui conditionne la réussite d’un étudiant, c’est aussi sa vie personnelle : qu’il puisse manger, dormir, avoir une activité physique, se soigner… Ce sont des services qui existent dans les universités, qui sont gratuits pour les étudiants, mais auxquels les étudiants infirmiers, qui sont loin des campus, ont difficilement accès. Nous n’avons pas forcément droit aux repas à 1€, à l’aide au logement ; le service de santé est sur le campus donc, pour certains, à deux heures de route de l’établissement de formation… Nous souhaitons mettre en place des conventionnements pour que les ESI aient accès aux mêmes droits et services que les autres.

La FNESI possède une ligne téléphonique et une adresse mail, et nous recevons une dizaine d’appels par jour et une centaine de mail par mois d’étudiants qui voient leurs droits bafoués. Une des problématiques qui demeure, c’est celle des bourses, qui sont toujours gérées par la région. Et avec l’intégration universitaire, celle-ci devient un acteur supplémentaire dans la formation et complexifie énormément le système de formation. Certains étudiants n’ont toujours par leur bourse, ou ils ne peuvent pas se faire exonérer leurs frais de rentrée. Alors que ça fait partie du droit commun des étudiants.

Les étudiants sont nombreux à dénoncer des conditions de stage difficiles. La FNESI défend depuis plusieurs années la création d’une plateforme d’évaluation des terrains de stage, mais où le projet en est-il ?

La souffrance en formation est tellement normalisée. On a des étudiants qui nous disent que c’est normal de ne pas manger avec l’équipe, qu’il n’y ait pas de vestiaires et qu’ils soient obligés de se changer dans la salle de soin… Non, ce n’est pas normal. La FNESI continue de défendre la mise en place d’une plateforme d’évaluation des stages. Parce que c’est aussi par l’évaluation qu’on permet d’améliorer la qualité des formations. La plateforme a pour but de dénoncer, certes, mais aussi de mettre en valeur les bonnes pratiques. En 2022, la Direction générale de l’offre de soins avait annoncé sa mise en place, mais cela fait désormais deux ans que l’on cherche des solutions, des possibilités. Je pense qu’il y a une question de financements, et que la plateforme ne fait pas partie de ses priorités. Elle nous propose un agrément sur les terrains de stage, qui serait aussi à la main du département universitaire et pas seulement du groupe hospitalier.

Il n’y a pas assez de formateurs, les cours en amphithéâtre sont surchargés, il n’y a pas assez de terrains de stages et les ESI sont contraints d’aller sur ceux qui sont maltraitants.

Parallèlement, il y a un constat que l’on dresse déjà : avec l’augmentation continue des quotas de formation, un stage fermé sera de facto réouvert pour un autre étudiant parce qu’il n’y a pas assez de terrains de stage. Ces quotas sont d’ailleurs une nébuleuse. Quand on a augmenté de 2000 places en IFSI, trois ans après, on a toujours le même taux de diplomation. Il n’y a pas assez de formateurs, les cours en amphithéâtre sont surchargés, il n’y a pas assez de terrains de stages et les ESI sont contraints d’aller sur ceux qui sont maltraitants…Il faut certes diplômer plus, parce qu’il y a des besoins de santé à assurer, mais il faut améliorer les conditions de formation, en protégeant la santé des étudiants pour éviter notamment les abandons de parcours.

Précarité, santé dégradée, stages maltraitants…, que peut faire la FNESI au quotidien pour les étudiants infirmiers, en attendant la mise en œuvre de la réforme ?

Cela fait effectivement partie de nos priorités : l’ensemble du réseau d’associations de la FNESI se mobilise au quotidien pour répondre à ces problématiques. Sur le fonctionnement de la formation, elles font du tutorat ; face à la précarité, elles font des paniers repas ; elles organisent des semaines du bien-être pour sensibiliser les étudiants. Nous devons les accompagner dans la mise en place de projets, dans la promotion de la santé et la prévention…, et donc de les former, via un modèle d’éducation populaire, de pair à pair. Il faut aussi encourager et faciliter l’engagement des étudiants. Souvent, certains s’engagent dans les IFSI mais sont stigmatisés ou alors, lors des stages, on leur interdit d’être absents pour se rencontrer et organiser des événements. Alors que ces absences sont autorisées par le droit, il y a des aménagements d’études pour les étudiants engagés. Car l’engagement permet d’obtenir des compétences qui vont au-delà de ce que l’on peut apprendre en formation. Nous voulons valoriser l’engagement de ces étudiants qui tentent de répondre à leurs difficultés par eux-mêmes, car le contexte institutionnel et politique est de toute façon tellement aléatoire que nous sommes un peu oubliés.

La bio express de Damien Sarméo

Étudiant en Licence 3 de sciences infirmières, Damien Sarméo s’est d’abord engagé dans l’association locale de son IFSI, l’Association des étudiants de Rockefeller (AER), à Lyon. « J’avais envie de m’investir, d’aider un peu les autres, je trouvais que le principe de soutenir d’étudiant à étudiant me parlait énormément », relate-t-il. L’AER étant l’association administratrice de la FNESI, il est un jour convoqué pour assister à un conseil d’administration. « Je me suis engagé pour représenter les étudiants de mon IFSI, et ça m’a tout de suite énormément plu : les valeurs qui sont portées par la FNESI sont des valeurs humanistes, il y a du soutien et de l’accompagnement de projet. » Par la suite désigné président de l’AER, il a intégré le Bureau de la FNESI sous le mandat d’Ilona Denis, où il a occupé la vice-présidence de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’orientation.

*En 2009, la formation infirmière a intégré les accords de Bologne, qui prévoit un parcours universitaire commun (Licence, Master, Doctorat) à tous les États membres de l’Union européenne.


Source : infirmiers.com