L’annonce a de quoi faire grincer les dents. Ce n’est plus 5 milliards d’euros d’économie, comme le demandait François Bayrou, l’ex-Premier ministre, mais 7,1 milliards que réclame Sébastien Lecornu, son successeur, pour 2026. Quant à l’Objectif national de dépenses de l’Assurance maladie (Ondam), il n’augmenterait que de 1,6% (soit 270,4 milliards d’euros), une hausse inférieure à l’augmentation naturelle des dépenses ; depuis la prise Covid, il dépassait les +3%. « Jamais l’Ondam n’a été aussi bas et aussi éloigné de la hausse tendancielle des besoins, liée au vieillissement de la population, à la progression des maladies chroniques et à l’inflation », tance la Fédération hospitalière de France (FHF) dans un communiqué. À la rentrée de septembre, déjà, elle alertait sur les conséquences du « coup de rabot aveugle » que laissait présager le budget Bayrou. C’est 1,1 milliard d’euros qui manqueront aux hôpitaux, chiffre-t-elle, soit « l’équivalent de 20 000 postes d’infirmiers qui ne pourront pas être pourvus » alors même que la tendance du recrutement est à la hausse. Quant au secteur du médico-social (EHPAD, handicap et services à domicile), il aura à faire face à un déficit de 500 millions d’euros.
Soigner plus avec moins de moyens
Ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS),s'il était voté, signerait « la pire cure d’économie de l’hôpital depuis les années 2010. Il revient à demander aux établissements de soigner plus avec moins de moyens. » Avec des impacts qui ne font pas de doute : tensions sur les ressources humaines, en situation de pénurie, difficultés accrues d’accès aux soins, non-création de places dans les EHPAD, alors que la population vieillit, et frein aux investissements.
Et il y a cette autre mesure du budget qui hérisse : le doublement des franchises médicales, violemment critiqué sous François Bayrou et que Sébastien Lecornu a visiblement tenu à conserver, et des participations forfaitaires, qui fera porter les efforts aux patients. « Cette orientation traduit une logique purement comptable, éloignée des valeurs fondatrices de solidarité et d’universalité de notre modèle. »
Les soignants connaissent déjà la suite : épuisement, turn-over, perte de sens. Dans les services, les ratios restent loin des seuils de sécurité...
La FHF n’est pas la seule à s’indigner de ce PLFSS. Sous couvert d’annoncer « une remise en ordre » des comptes publics, « derrière les chiffres, c’est une autre réalité qui se profile : celle d’un système de santé qui soigne moins, faute de moyens », s’insurge notamment le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), qui pointe, entre autres, que de telles mesures d’économie auront pour effet délétère de multiplier les cas de renoncement aux soins. Avec l’inflation, la hausse des salaires, les médicaments…, c’est d’une augmentation de 4% de l’Ondam dont l’hôpital aurait en réalité besoin, estime-t-il.
« Les soignants connaissent déjà la suite : épuisement, turn-over, perte de sens. Dans les services, les ratios restent loin des seuils de sécurité. Et l’ONDAM, censé garantir la soutenabilité, devient un plafond d’asphyxie. » Parallèlement, rien n’est fait pour la prévention, pourtant érigée comme l’un des moyens de limiter les dépenses d’Assurance maladie. « Le texte mentionne un « bouclier de prévention ». Mais sans ligne budgétaire, sans plan, sans acteur clairement désigné », tacle le syndicat, qui insiste sur l’intérêt d’investir dans la prévention infirmière. « Le PLFSS 2026 accélère un glissement silencieux : la collectivisation des pertes et la privatisation des restes à charge. »
Un budget qui menace de creuser les inégalités
L’ultime conséquence de ce PLFSS, c’est qu’il accélèrera l’instauration d’un système de santé à deux vitesses, où qui le peuvent paieront plus tandis que les autres renonceront à se faire soigner. « Les inégalités de santé vont se creuser. Les territoires déjà fragiles (zones rurales, quartiers prioritaires, outre-mer) seront les premiers touchés », prévient Thierry Amouroux, le porte-parole du SNPI, cité dans le communiqué.
Côté libéral, c'est l'Union nationale des professionnels de santé (UNPS) qui a dégainé la première. Si elle salue la nomination de Stéphanie Rist à la tête du ministère de la Santé, elle alerte « sur le manque de sincérité et le caractère intenable du sous-ondam de ville pour 2026 fixé à +0.9%, en contradiction avec les besoins croissants du système de santé et la dynamique des soins de ville qui nécessitent une réévaluation à 3,8 %.»
Des alternatives existent, insiste le secteur
Pourtant, d’autres moyens existent, défendent syndicat et Fédération. Il faut « cibler les vraies économies », en luttant par exemple contre les surcoûts liés aux ré-hospitalisations évitables ou aux médicaments inutiles, en soutenant la coordination infirmière, pour éviter les décompensations chroniques et les hospitalisations via la prévention, et en revalorisant « le rôle des infirmiers dans le pilotage des parcours de santé », liste le premier. Il faut « une trajectoire pluriannuelle de financement », reposant sur « des économies partagées constructives », elles-mêmes fondées sur la pertinence des soins, le développement de la prévention, et des investissements ciblés qui accompagnent la transition écologique du système de santé, avance la seconde. Une logique pluriannuelle, c'est également ce que réclame l'UNPS, qui appelle à déployer une stratégie nationale qui dépasse « les réformes ponctuelles et redonne à notre système de santé cohérence, stabilité et visibilité.» Pensée sur une décennie, elle s'avère indispensable pour garantir à chaque citoyen l'accès à des soins de qualité sur l'ensemble du territoire.
La santé est un bien commun à préserver et « doit demeurer une priorité politique et budgétaire. Elle est, au même titre que la défense, la justice ou l’intérieur, un pilier régalien, un ciment de notre démocratie », conclut la FHF.
À peine formé, le gouvernement de Sébastien Lecornu a été aussitôt menacé par deux motions de censure, une déposée par La France insoumise, la seconde par le Rassemblement national. Discutées à l'Assemblée nationale ce jeudi 16 octobre, elles ont finalement toutes deux été rejetées, ouvrant la voie aux futurs débats sur les budgets 2026. Sébastien Lecornu s'est engagé à ne pas mobiliser le 49.3 pour faire les textes en force.
Que contient le projet de budget présenté par Sébastien Lecornu ?
Lors de son discours de politique générale, prononcé devant l’Assemblée nationale mardi 14 octobre, le Premier ministre a présenté un projet de loi de finances qui table sur un effort budgétaire de 30 milliards d’euros et un déficit cible de 4,7% du PIB pour 2026. Les mesures pour y parvenir : gel des pensions de retraites, des prestations sociales et allocations familiales, sous-indexation des pensions de 0,4% à partir de 2027, non-remplacement d’un certain nombre de fonctionnaires, réduction du déficit de la Sécurité sociale à 17,5 milliards d’euros contre 23 milliards en 2025… Pour atteindre ce dernier objectif, le budget prévoit la hausse des franchises d’assurance maladie avec le doublement du reste à charge sur les médicaments et les consultations, sur les actes paramédicaux et les transports sanitaires ; mineurs, femmes enceintes et bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire en seraient toutefois exonérés. Le gouvernement veut également s’attaquer aux arrêts maladie en limitant à 15 jours la primo-prescription en ville et à 30 jours à l’hôpital, notamment, et fait le pari de… l’obligation vaccinale contre la grippe, aussi bien pour les résidents en EHPAD que pour les soignants.
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