« 20% de l’activité, c’est de la médecine du mort, comme ce qu’on peut voir à la télévision, avec des examens et des levées de corps. Mais à 80%, c’est de la médecine légale du vivant », précise d’emblée Maëlle Guyomard, infirmière en médecine légale à l’hôpital de Lorient et co-fondatrice de la Société francophone des infirmiers en médecine légale . « Nous nous occupons essentiellement des victimes de violences ou violences conjugales, d’accidents de la route, de vélo et sur la voie publique, d’agressions intrafamiliales ou sexuelles » . Le statut d’infirmier en médecine légale est né en 2010 dans le sillage de la réforme de la médecine légale*. Son lieu d’exercice : les unités médico-judiciaires (UMJ), rattachées aux centres hospitaliers. Cet infirmier intervient sur réquisition des forces de l’ordre, qui liste les éléments dont elles ont besoin dans le cadre de leur enquête, et qu’il se charge de recueillir. « Quand une victime a porté plainte ou qu’il y a un signalement ( une lettre écrite au procureur pour signaler des violences), nous la recevons dans le cadre d’une procédure judiciaire ».
Entretien infirmier et prélèvements au cœur de l’exercice
Cette réquisition va dès lors orienter la prise en charge de la victime, qui passe en premier lieu par la tenue d’un entretien infirmier. « Après m’être présentée et avoir présenté l’équipe et l’objectif de la consultation, je recueille toutes les données utiles pour mieux connaître la victime » et surtout comprendre la raison de sa présence à l’UMJ, détaille Maëlle Guyomard. Dans ce cadre – et toujours selon les réquisitions formulées par les forces de l’ordre – l’infirmière peut être amenée à prendre « des photos médico-légales » des éventuelles blessures, en vue de constatation, ou à faire des prélèvements : peau, ongle, bouche, cheveux. À l’exception de ceux qui relèvent de la sphère gynécologique ; ils sont réservés au médecin. « Nous avons une grande responsabilité en tant qu’infirmiers en médecine légale et c’est vraiment inédit : nous nous occupons de la gestion de ces prélèvements et sommes garants de leur bonne conservation. » Car ces prélèvements sont ensuite envoyés aux forces de l’ordre pour être analysés… parfois des semaines, voire des années après. L’infirmier en médecine légale peut aussi aider « le médecin lors des examens à regarder les traces de violences sur le corps, à l’épauler dans leur description. »
En binôme avec un médecin
S’il n’y a pas de réel « cadre national » qui dicte la répartition des tâches entre eux, « globalement, en France, les infirmiers travaillent en binôme avec les médecins. » Dans son UMJ, Maëlle Guyomard reçoit ainsi seule les victimes, avant puis après leur passage devant le médecin. L’infirmier en médecine légale a en effet aussi un rôle d’orientation. « Après la consultation médicale, nous faisons un point global avec la victime et nous préoccupons de son devenir », poursuit-elle. « Une fois remplies les missions demandées par les réquisitions, nous n’allons pas la laisser repartir chez elle sans nous inquiéter de ses besoins : s’il faut soigner une blessure, si elle a besoin de soutien psychologique, d’aide sociale ou de protection. Nous avons un réseau qui nous permet de l’orienter. » L’infirmière doit dans tous les cas être efficace. Les deux entretiens durent chacun une quinzaine de minutes même si, « parfois, ça peut être plus long » si l’affaire le requiert. C’est le cas notamment des affaires de viol, qui demandent « beaucoup de prélèvements. »
À Paris, une UMJ pour les victimes et les auteurs de violences
Dans un hôpital parisien, Hélène Diot se partage entre son poste aux urgences et celui à l’UMJ. Un fonctionnement propre à l’établissement, où « tous les infirmiers qui travaillent aux urgences travaillent aussi à l’UMJ. » Les victimes reçues sont aussi bien majeures que mineures, ces dernières étant le plus souvent confiées à l’infirmière puéricultrice (IPDE). Quant à leur typologie, « les infirmiers suivent surtout des victimes de viol ». Et parce que la taille de l’unité le permet, ils les reçoivent directement en binôme avec un médecin. Ces derniers sont 3 à être présents chaque jour. Une charte a même été rédigée, qui précise que les examens doivent se faire à deux. « On estime qu’il n’y a pas besoin de faire raconter son histoire 15 000 fois à une victime, surtout s’il y a déjà eu plusieurs entretiens ; elle est déjà allée au commissariat, elle a déposé plainte, c’est déjà très lourd. »
Autre particularité de cette UMJ : elle prend aussi en charge les auteurs des violences. « Nous sommes l’un des seuls services à avoir cette spécificité », explique Hélène Diot. « Et on en fait beaucoup. » L’UMJ accueille ainsi les gardés-à-vue qui présenteraient des problèmes de santé : examen somatique et prise des constantes, avant de les envoyer chez le psychiatrique pour une évaluation de leur état mental. « Notre travail, c’est de déterminer si la personne peut aller au commissariat faire sa garde-à-vue ou si elle nécessite des soins. » Auquel cas, en fonction des problèmes détectés, elle peut donc être soit hospitalisée, soit envoyée à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police. L’infirmière peut également être mobilisée pour effectuer des prélèvements utiles à une enquête. Comme des examens toxiques urinaires sur une personne qui aurait provoqué un accident de la route. « C’est possible de prendre un auteur présumé des faits et la victime. Souvent, c’est pour tout ce qui concerne les viols. » En revanche, pas de thanatologie, cette autre partie de l’exercice en médecine légale, au sein de cette UMJ.
Quid de la thanatologie ?
Pour trouver une infirmière qui s’y confronte, il faut aller à l'hôpital de Toulon, qui a ouvert son UMJ en mars 2022. C’est là que travaille Nathalie Larqué, à cheval avec son activité aux urgences, au contact aussi bien des vivants que des morts. Quand elle ne reçoit pas les victimes de violences, elle peut accompagner le médecin légiste lorsqu’il se déplace sur réquisition des forces de l’ordre sur une enquête décès. Dans ces cas-là, un certificat de décès a déjà été réalisé mais s’est présenté « un obstacle médico-légal » : suspicion de suicide, signes d’effraction au domicile… L’infirmière bénéficie d’une autorisation de déplacement permanente, délivrée par la direction de l’hôpital qui lui permet d’assister le médecin.
Sur place, « on observe la scène avec le médecin, si c’est à l’intérieur, à l’extérieur, sur la voie publique… », raconte-t-elle. « On recueille les informations que possèdent les forces de l’ordre, quand la personne a été vue vivante la dernière fois, si elle prend des médicaments. » Vient l’examen du corps, où l’infirmière assiste le médecin en l’aidant à le déshabiller, à « regarder devant, derrière, le dos pour voir s’il n’y a pas d’impacts, de traces de violences qui pourraient passer inaperçues sous les vêtements », à prendre la température corporelle, voire à prélever du sang au besoin et sur réquisition de la police, toujours. Ou encore à l’accompagner lors d’une autopsie à visée médicale (celles à visée judiciaire sont effectuées par l’institut médico-légal de Marseille). « Comme le médecin est seul, on l’aide pour la prise de note lorsqu’il pratique son autopsie. » Ces déplacements se font toutefois sur la base du volontariat et si l’activité de l’UMJ le permet, précise-t-elle.
Il n’existe pas de formation dédiée, spécifique, aux infirmiers en médecine légale. Pour acquérir les compétences nécessaires à l’exercice, ils n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers des diplômes universitaires en victimologie, par exemple. C’est le cas de Hélène Diot et de Nathalie Larqué. Maëlle Guyomard, elle, a suivi le master « Médecine légale, criminalistique, archéothanatologie, victimologie » de Nancy. « Notre formation, nous l’avons aussi faite sur le terrain aux côtés de nos médecins légistes, qui dépendent du CHU de Marseille », observe Nathalie Larqué. « Nous nous sommes formées en allant consulter des documentations médicales ou auprès des différentes UMJ qui ont ouvert pour voir quel était le rôle de l’infirmier dans ces unités. » Pouvoir imaginer une formation propre à l’exercice, c’est l’une des ambitions de la Société francophone des infirmiers en médecine légale, dont la création a été actée en septembre 2024. « L’un de mes objectifs est de créer une formation dédiée pour les infirmiers en médecine légale, avec si possible une grille associée », explique Maëlle Guyomard, sa présidente et co-fondatrice. Actuellement, les infirmiers en médecine légale sont rémunérés selon celle appliquée aux infirmiers en soins généraux.
Je vois policiers et gendarmes quasiment quotidiennement. Ce sont un peu nos collègues !
Des compétences techniques et des notions de droit indispensables
De gestes pratiques de soin, il n’en est plus vraiment question dans cet exercice infirmier. Au même titre que ceux qui travaillent en unité d’accueil pédiatriques des enfants en danger (UAPED, voir encadré), l’essentiel repose sur l’entretien infirmier et les constatations. « Évidemment, quand il faut refaire un pansement, on le fait ; quand il faut faire des imageries, on le fait aussi », nuance Hélène Diot. « Mais quand ça dépasse un peu ces compétences, les personnes sont souvent orientées aux urgences pour la suite de la prise en charge. » Reste que l’infirmier en médecine légale doit posséder des compétences très techniques, qui ne s’acquièrent pas en formation socle. « Lors des prélèvements, on ne va pas couper les cheveux n’importe comment, il y a une vraie technique à avoir. Faire des prélèvements ADN, c’est la même chose », prévient Maëlle Guyomard. « Ce ne sont pas des choses que l’on apprend en IFSI, mais plutôt soit en formation spécialisée, soit auprès de nos collègues médecins légistes. »
Et il y a enfin… les notions de droit, indispensables aussi bien pour la prise en charge que dans la gestion des scellés. « J’ai eu des cours de droit, il faut quand même une appétence pour la discipline et être au fait de la procédure pénale et du code pénal. C’est du jargon : qu’est-ce qu’une ITT [Incapacité totale temporaire, ndlr] ? Une réquisition ? » « Il faut apprendre à travailler avec les forces de l’ordre, il faut leur rappeler que, parfois, on ne connait pas leur jargon. Parce que ce n’est pas notre milieu », ajoute Nathalie Larqué, qui lors de sa première journée à l’UMJ a suivi une formation dispensée par un ancien commissaire de police. « Il est venu nous parler de ce qu’était une victime, un dépôt de plainte, nous présenter la victimologie. » Le lien avec la police est d’ailleurs au centre de l’exercice en médecine légale : « Je vois policiers et gendarmes quasiment quotidiennement », confirme Maëlle Guyomard. « Ce sont un peu nos collègues ! »
Les professionnels qui exercent en UMJ peuvent également être amenés à intervenir dans les unités d’accueil pédiatriques des enfants en danger (UAPED) qui reçoivent des mineurs. C’est le cas de Maëlle Guyomard et de Nathalie Larqué. « J’ai un temps dédié à l’UAPED », détaille la première, qui explique que son service dispose d’une UAPED judiciaire. Si les mineurs sont accueillis en UMJ pour les prélèvements et les examens médicaux, l’UAPED, elle, sert aux auditions devant les forces de l’ordre. « C’est pour qu’il y ait une unité de lieu et de temps pour la victime, pour que tout soit fait dans la foulée, pour lui faciliter les choses. » Une philosophie identique à celle de Toulon. « UMJ et UAPED sont sur le même lieu et fonctionnent avec les mêmes personnels, on ne fait pas de différence », raconte Nathalie Larqué. Elle travaille avec une infirmière disposant d’une expérience en pédiatrie et une infirmière puéricultrice. « L’infirmière est vraiment la personne référente pour l’enfant : c’est elle qui l’accueille, qui l’accompagne en salle d’audition, elle est également présente lors des examens. »
Nous connaissons les procédures judiciaires, nous faisons attention aux patients et veillons à ce que leurs droits soient respectés.
Un exercice en quête de reconnaissance
Des situations dramatiques, les infirmiers en médecine légale en voient forcément. « Le plus dur, ce sont vraiment les histoires », soupire Hélène Diot. « Certaines nous touchent plus que d’autres. Quand on s’occupe de bébés, d’enfants dans le cadre de viol, ce n’est pas évident. » Nathalie Larqué, elle, déplore « surtout de ne pas savoir ce que deviennent les victimes, en particulier les plus jeunes. » Pour autant, pour ces infirmières, l’exercice s’avère enrichissant. « C’est une prise en charge de personnes chaque fois différentes », souligne Hélène Diot, qui met également en avant l’intérêt de travailler avec les forces de l’ordre. « Nous sommes spécialisés » dans la prise en charge des victimes et des gardés-à-vue. « Nous connaissons les procédures judiciaires, nous faisons attention aux patients et veillons à ce que leurs droits soient respectés. »
Avec seulement 106 professionnels recensés sur le territoire, l’exercice infirmier en médecine légale demeure confidentiel. Pourtant, comme tous les autres champs du soin, il est frappé par une pénurie de professionnels médicaux. « La profession est amenée à s’étendre parce que l’on va manquer de médecins légistes », prédit Nathalie Larqué, avec des infirmiers amenés à réaliser de plus en plus de tâches. « C’est pour cela qu’il faut que l’on soit reconnu comme spécialité. »
*Publiée en décembre 2010, la réforme de la médecine légale acte la création de services dédiés dans la prise en charge des victimes au service de la justice et introduit les infirmiers dans les équipes de médecine légale.
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