À quels enjeux la refonte de la profession infirmière – et de son référentiel de formation – doit-elle répondre ? Quels sont les moyens à mobiliser et les transformations à imposer pour qu’elle y parvienne ? C’est à ces questions que tente de répondre le Livre blanc publié par le Conseil national professionnel infirmier (CNPI), le14 février. Le document ne surgit pas de nulle part : il s’inscrit dans l’ensemble de réflexions menées autour de la loi infirmière, annoncée en mai 2023, et déposée en novembre 2024 à l’Assemblée nationale .
Répondre aux besoins de la population et des professionnels sur le terrain
Le CNPI s'est, dans ce contexte, mobilisé sur une analyse contextuelle du métier, au regard non seulement des transformations des besoins de la population, liées aux mutations démographiques (vieillissement et augmentation des maladies chroniques, nouvelles attentes des usagers), mais aussi de celles qui marquent les pratiques des infirmiers sur le terrain. Ce travail s’est du reste enrichi des échanges avec la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), dans le cadre de la refonte, avec un volet entièrement dédié à la formation. « Il faut se saisir de l’opportunité de la réforme engagée pour reconnaitre réglementairement les évolutions informelles d’expertises développées par les infirmières généralistes au plus près des populations qu’elles soignent », fait valoir le CNPI. « L’enjeu est à la fois de confirmer les évolutions des 4 autres diplômes infirmiers tout en formalisant la filière d’expertises des 600 000 infirmières généralistes. »
Des orientations stratégiques pour la refonte du métier
De l’ensemble de ces travaux, le CNPI tire en premier lieu une quinzaine de grandes orientations stratégiques pour l’évolution du métier, à commencer par l’actualisation du décret infirmier de juillet 2004, qui réunit les règles et actes professionnels relatifs aux infirmiers. Il appelle également à reconnaître ces derniers comme des acteurs de premier recours, « notamment en matière de prévention, de coordination et de soins de proximités », à articuler le référentiel d’activités et de compétences (RAC) et celui de formation à la certification périodique, ou encore à instituer une consultation infirmière d'évaluation et de coordination des parcours. Le tout pour répondre aux nouveaux besoins de la population et dans un souci d’attractivité et de fidélisation des personnels.
Un cadre réglementaire adapté
Dans ce contexte, le CNPI plaide pour le maintien d’un cadre juridique et réglementaire adapté. Soit une loi générale qui définit la profession infirmière en intégrant une certaine terminologie propre à reconnaitre ses spécificités : « rôle propre » et « sciences infirmières », pour commencer, ainsi que les notions de « premier recours », « d’expertise » et « d’orientation précoce ». Le texte doit également reprendre l’idée de « dimension collective, centrale en matière de santé communautaire et de prise en soins d’un groupe de population » et officialiser « la consultation infirmière dans les différents champs de compétences », liste-t-il. Cette loi se complète d’un décret spécifiant les grandes missions infirmières, et qui puisse être actualisé en fonction des évolutions des besoins des populations, des organisations ou encore des pratiques et évolutions technologies.
Des compétences infirmières pour des missions définies
Ces missions « s’inscrivent dans le champ disciplinaire infirmier, centrées sur une co-construction avec les personnes soignées au cœur de leurs trajectoires de vie, intégrant leurs entourages à chaque fois que requis et en complémentarité avec les autres acteurs intervenant dans leurs parcours de vie, d’aide et de soins », déclare le CNPI. Il identifie, entre autres, l’analyse des situations de santé individuelles et collectives, la protection, le maintien, la promotion et la restauration de la santé physique et psychiques, le concours à la permanence des soins, ou l’accueil et l’accompagnement des apprenants.
20 thématiques déclinées en activités et compétences
Et le Livre Blanc de décliner 20 thématiques, « développées sous forme d'activités et de compétences, considérant que ce découpage permettait la lisibilité de leurs aspects tant transversaux que spécifiques ainsi que des interactions entre domaines. » Parmi elles : le recueil et l’analyse de données en lien avec la situation des patients, conception et mise en œuvre de projets de promotion, d’éducation et de prévention de la santé, orientation des patients et de leur entourage, prévention et gestion des risques, ou encore maintien de la santé des professionnels.
Ces activités et ces compétences doivent trouver leur transposition pédagogique dans le nouveau référentiel de formation initiale infirmière comme dans le parcours professionnalisant et d’exercice professionnel.
Pour chaque thématique, le CNPI identifie aussi bien les activités qui y sont associées (élaboration de programmes d’éducation thérapeutique, actions de formation sur la réduction des facteurs de risques psychosociaux…), que les compétences qu’elle mobilise (savoir réaliser un examen et un entretien clinique infirmiers, gestion de situations complexes de soin, actualisation des connaissances tout au long de la vie professionnelle…). Ce référentiel d'activités et de compétences a une double finalité : servir de référence pour la pratique des infirmiers « généralistes » et de « canevas pour l’élaboration du référentiel de formation initiale infirmière ».
« Ces activités et ces compétences doivent trouver leur transposition pédagogique dans le nouveau référentiel de formation initiale infirmière comme dans le parcours professionnalisant et d’exercice professionnel de l’infirmière diplômée en soins généraux », souligne le CNPI. C’est l’autre volet de ce Livre Blanc : la refonte de la formation initiale et de son organisation, pour qu’elle corresponde bien aux attendus du terrain. Selon les résultats d’une consultation menée par l’Ordre national des infirmiers en mars 2024, la moitié des infirmiers jugeait en effet que la formation actuelle ne répondait pas aux exigences de la pratique.
Repenser autrement la formation
Pour renforcer la professionnalisation des futurs infirmiers, base de l’attractivité du métier, le CNPI préconise pêle-mêle de réintroduire l’entretien d’admission en formation, écarté avec la suppression du concours d’entrée en Institut de formation en soins infirmiers (IFSI), de faire évoluer le portefolio, cet outil « d’autoévaluation continue permettant à l’étudiant d’individualiser ses objectifs de stage en regard de la progression de son apprentissage », afin qu’il intègre les retours d’expérience à la fois des étudiants, des cadres des IFSI, des tuteurs de stages et des professionnels sur le terrain, ou bien une formation des infirmiers qui souhaitent devenir tuteurs de stages. Concernant ces derniers, le CNPI recommande de maintenir les 4 typologies actuelles (soit courte durée, santé mentale/psychiatrie, soins de longue durée, et soins individuels ou collectifs sur des lieux de vie), tout en recommandant toutefois de distinguer la psychiatrie de la santé mentale, à considérer comme une « dimension transversale ». Il insiste également pour que « le stage en exercice infirmier libéral soit fortement recommandé pour des étudiants de 2ème et 3éme années afin de favoriser la professionnalisation. »
Pour une quatrième année d'études
Le CNPI en profite surtout pour remettre en avant sa proposition d’étendre la formation initiale de 3 à 4 ans, solution la plus pertinente pour intégrer les 400 heures supplémentaires et atteindre les 4 600 heures imposées par la directive européenne. « Ce passage à 4 années contribuerait à soutenir l’évolution attendue des compétences infirmières, étayant le processus de professionnalisation des étudiants ainsi que le renforcement de la complémentarité des missions infirmières au sein du système de santé », juge-t-il en effet. À l’heure actuelle, cette piste n’a toutefois pas la faveur de la DGOS. « Une réforme annoncée « ambitieuse » ne peut se limiter à des ajustements techniques ou réglementaires qui occulteraient les leviers garants des trajectoires professionnalisantes et des ressources infirmières mobilisables pour l’amélioration continue de la santé en France », martèle le CNPI en conclusion de son Livre Blanc, appuyant notamment sur la nécessité de valoriser « le savoir-faire infirmier en reconnaissant sa place contributive au cœur du système de santé afin de répondre aux enjeux concrets de terrain. »
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