C’était l’une des problématiques soulevées par le rapport de la mission lancée par Agnès Firmin-Le Bodo, alors ministre chargée des Professionnels de santé, en 2023 : il existe un tabou, un déni sur la santé des professionnels de santé, intégré par ces derniers eux-mêmes. Or comme aiment à le répéter les acteurs du secteur : pour qu’un soignant puisse bien soigner, il faut d’abord qu’il soit en bonne santé. Alors comment déstigmatiser le sujet, alors qu’en santé, demander de l’aide n’est pas un réflexe ? Dans les hôpitaux, en libéral et même dans les salles de cinéma, certains se sont emparés de la question pour proposer des initiatives, des supports pour y sensibiliser les professionnels mais aussi le grand public, et surtout mettre à disposition des ressources ou des dispositifs qui améliorent la santé des soignants. Petit tour d’horizon non-exhaustif de ce qui existe déjà, présenté lors d’une table ronde du 11ème Colloque national de l’association Santé des professionnels de santé*.
Un rapport et un think tank pour mettre le sujet en lumière
Certes, il n’a pas toujours été très bien perçu par les représentants des professionnels de santé, mais deux ans après sa publication, le rapport ministériel sur la santé des professionnels de santé « continue de créer le débat ». Et c’était là l’un de ses objectifs, défend Alexis Bataille-Hembert, infirmier et l’un de ses rédacteurs avec Philippe Denormandie (chirurgien neuro-orthopédique et directeur relations santé du groupe MNH), et la médecin Marine Crest-Guilluy (co-fondatrice de l’association « Guérir en mer »). « Jusqu’à présent, on parlait peu, voire pas du tout, de la santé des soignants. Il y a une forme de déni, c’est culturel. » Ou alors, le sujet est abordé par le prisme de la santé au travail, ce qui exclut tout un pan des risques spécifiques auxquels sont exposés les soignants, dont l’aggravation de comportements nocifs à la santé (sédentarité, consommation de tabac ou d’alcool…). « Parler de sa santé n’est pas compatible avec la blouse. » Or, pour déstigmatiser le sujet, il faut d’abord pouvoir en parler, justement. « Le rapport aurait pu aller plus loin et ressembler à quelque chose comme une Bible de la bonne santé. Mais l’objectif était d’en faire un objet politique », poursuit Alexis Bataille.
À la suite de ce rapport, l’infirmier a également impulsé la création du C-FRAS (le Cercle francophone de Réflexion et de Recherche pour des Acteurs du soin et du social en Santé), un think-tank dédié à la santé des professionnels de santé et pensé comme un espace d’analyse et de partages de connaissances et savoirs. « Si on veut continuer à parler du sujet, il faut s’appuyer sur des données, sur la science. On doit aussi faire preuve de pédagogie. Il y a une vraie nécessité de vulgariser, il faut parler concrètement aux soignants. » Avec l’espoir de pouvoir ensuite peser sur les arbitrages politiques, notamment lors des débats autour des futurs projets de loi du financement de la Sécurité sociale.
Les espaces bien-être de la Fondation des hôpitaux
À l’origine, la mission que s’est donnée la Fondation des hôpitaux est d’améliorer le quotidien des patients et de leurs familles à l’hôpital. Puis la crise Covid est arrivée et a mis en lumière la souffrance des soignants. Grâce à l’aide d’un mécène, la Fondation a alors créé le programme « Prenons soin de ceux qui nous soignent », à destination des hôpitaux publics et du privé non lucratif. « L’idée était de créer un espace dans les établissements qui n’ait rien à voir en termes de décor avec l’hôpital pour réintroduire des notions de pause dans le quotidien des soignants », raconte sa directrice générale, Marion Cinalli. La Fondation finance l’installation de ces espaces, mais également les activités qui peuvent y être organisées : séances de sport, de sophrologie…
700 « espaces bien-être » déjà créés
L’initiative pourrait paraître dérisoire face aux manques de moyens et à la maltraitance institutionnelle que dénoncent les professionnels de santé. Mais les chiffres sont là. Selon une étude d’évaluation menée sur 300 établissements, ces espaces ont produit 3 impacts majeurs : une amélioration globale du bien-être des bénéficiaires, une meilleure socialisation des soignants entre eux, et une valorisation de l’établissement. « 71% des répondants ont déclaré que ça permettait de réintroduire une notion de pause, avec un vrai moment de répit dans la journée de travail », avance-t-elle. Et 62% d’entre eux ont indiqué que ces espaces permettaient de réduire la charge de stress et de prendre conscience du besoin de prendre soin d’eux. « Ils permettent également aux soignants des différents services de se rencontrer, de se connaître, de confronter leurs difficultés au travail, et de créer une vraie bienveillance et de l’empathie », conclut-elle. En 2025, la Fondation, qui se repose exclusivement sur la générosité du public et de mécènes, a financé la création de plus de 700 «espaces bien-être», pour une somme de 25 millions d’euros.
Le podcast des BAZARs de la santé
En pleine création de son centre de ressources pour « donner des armes » aux professionnels de santé avant qu’ils ne tombent malades, et en parallèle de ses programmes de formation aux compétences psycho-sociales (gestion des conflits, intelligence collective…), l’association Bazars de la santé (pour Boîtes A Zen et À Ressources de la santé) a aussi lancé son podcast, depuis le 5 septembre 2025. « Un format court, toutes les semaines. On va parler de la santé des professionnels de santé, mais de manière légère, et surtout donner toutes les ressources », présente sa fondatrice, Candice Delbet-Dupas, praticienne hospitalière en chirurgie maxillo-faciale au CHU de Vichy. Car si ces ressources existent, elles sont encore trop souvent méconnues. « Les acteurs de terrain ignorent l’existence de ces données, de ces ressources. » L’objectif de ce podcast est de faire de la prévention primaire, en évoquant notamment facteurs de risques, exposomes et vulnérabilités, avec l’idée de dire aux professionnels : « vous serez de meilleurs soignants si vous en parlez. » Les formations que proposent l’association y occuperont une bonne place.
Le dispositif EQUILIBRES, qui redonne du sens au métier grâce à une rémunération des infirmiers libéraux en fonction du temps qu'ils passent auprès de leurs patients et à l'accent mis sur le travail en équipe. « L'idée est de repenser la santé par l'humain, d'accompagner les soignants, les organisations en proposant de reconsidérer que prendre du temps relationnel avec une personne fait partie du soin », a expliqué l'un de ses deux fondateurs, Mathieu Nochelski, infirmier et cadre de santé.
La distribution du film "En première ligne", œuvre de fiction réalisée par Petra Volpe. « La réalisatrice a fait un gros travail pour que le film soit authentique », a insisté Mélanie Simon-Franza, gérante de La Grande Distribution, qui se charge d'accompagner la sortie du film en salle. En partant d'un individu, l'infirmière Floria incarnée par Leonie Benesch, ce dernier permet de sensibiliser à la fois le grand public et les soignants eux-mêmes sur la question de leur santé. Il faut en « faire un support pour faire de la sensibilisation, il est important que ce film soit vecteur de ces messages.»
Une enquête sur la santé mentale des étudiants en pharmacie réalisée par l'Association Nationale des Étudiants en Pharmacie de France (ANEPF) a révélé que 62% d'entre eux s'estiment en situation de mal-être mais n'ont pour autant pas pris rendez-vous avec un professionnel de santé. Pour répondre à leurs besoins, l'ANEPF met à leur disposition une ligne d'écoute téléphonique. Au bout du fil, d'autres étudiants qui sont chargés de les orienter vers les bons professionnels de santé, si besoin.
* « La santé des soignants : grande cause nationale 2026 ? », organisé à Paris, au ministère de la Santé le 28 août 2025.
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