RÉFORME

Quelles pistes pour assurer l'application de la loi infirmière ?

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Publié le 12/12/2025

Consultation infirmière, diagnostic infirmier, leadership... La loi infirmière consacre nombre d'évolutions dont la profession doit désormais s'emparer. Plusieurs pistes ont été évoquées lors d'États généraux afin d'assurer réellement son application sur le terrain.

Changement d'équipe soignante dans une chambre d'hôpital

Crédit photo : BURGER / PHANIE

Maintenant qu’elle a été votée, comment faire en sorte que la loi infirmière s’applique concrètement sur le terrain ? Tel était l’objet des échanges menés lors des États généraux infirmiers, organisés par le Collège infirmier de France (CIF), le 2 décembre 2025. Réunissant l’ensemble des composantes de la profession, avec sa diversité d’exercices, il se voulait un «moment fort et décisif» et «une occasion de dépasser les textes pour engager la transformation de son exercice au quotidien», selon les mots de la présidente de l’organisation, Gilberte Hue, lancés en introduction.

Nous avons transformé le métier, nous ne sommes plus sur des actes mais sur des missions. Nous sommes la première profession paramédicale dont la description repose sur des compétences et des missions.

«La promulgation de cette loi marque un tournant majeur dans l’évolution et la reconnaissance de la profession infirmière. Elle consacre sa spécificité et affirme notre rôle incontournable dans le parcours du patient.» Une «révolution» pour les professionnels, comme la qualifieront plusieurs intervenants au cours des différentes tables rondes.Une révolution qui n’est pas allée de soi. Elle est même le fruit d’un long combat, mené par l’ensemble des représentants de la profession pour faire accepter un certain nombre d’évolutions.

Les évolutions actées par la loi infirmière

«La première version de la loi était intéressante, mais le débat parlementaire a amené beaucoup de choses importantes», a rappelé Grégory Caumes, juriste en droit de la santé à l’Institut Sapiens et ancien directeur national adjoint de l’Ordre infirmier, citant en exemple les discussions sur la notion de «soins relationnels» et sur sa définition. «Si c’est dans la loi, c’est que ces soins doivent être rémunérés, d’où le débat.» La loi infirmière consacre une extension des compétences et des champs d’intervention: prévention en santé au travail, création du statut d’infirmier coordonnateur en EHPAD, placé sous la responsabilité du directeur et non plus du médecin, mission d’orientation, qui suppose de faire de l’infirmier «une nouvelle porte d’entrée vers le système de santé», accès direct… «La loi donne lieu à une négociation sur la rémunération pour tenir compte des évolutions de compétences. Elle prend aussi en compte la pénibilité du métier», a-t-il listé.

En libéral, la problématique de rémunération des nouvelles missions 

«Nous avons transformé le métier, nous ne sommes plus sur des actes mais sur des missions. Nous sommes la première profession paramédicale dont la description repose sur des compétences et des missions», a poursuivi John Pinte, le président du Syndicat des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). En réalité, le métier a connu une succession d’extensions de ses pratiques depuis la crise sanitaire, sur la vaccination, sur la création de l’infirmier référent (officialisée par décret en juin 2024), sur la permanence des soins en ambulatoire… Mais «sans révolutionner le métier. Ce qu’il manquait, c’était de lui redonner de la cohérence.» Pour les infirmiers libéraux (IDEL), cette loi infirmière vient en réalité acter un certain nombre de pratiques qui s’observent déjà sur le terrain. «L’accès direct existait déjà dans l’ancien décret de compétences. On n’attend pas la prescription pour voir le patient et faire une évaluation en ville», a-t-il relevé. «Le rôle propre le permet. Mais le patient ne peut pas prétendre au remboursement des soins.»

L’accès direct infirmier serait une source d’économie, entre 750 millions et 1,2 milliards d’euros.

Car il est là, l’enjeu principal pour les IDEL : comment faire rémunérer les nouvelles missions des infirmiers par l’Assurance maladie. Et ce dans un contexte où le gouvernement appelle à drastiquement à réduire son déficit… et donc à limiter les dépenses en santé. «Je pense que le législateur contraint l’enveloppe des négociations» pour la ville, a estimé le président du Sniil, qui a insisté sur la nécessité de maintenir en libéral un arrêté reposant sur une logique d’actes, pour cadrer la rémunération. Il fait également le pari d’une avancée prochaine sur l’accès direct. «On voit qu’il y a la volonté de reconnaître l’accès direct en ville», notamment. Selon les estimations de l’Institut Sapiens, «l’accès direct infirmier serait une source d’économie, entre 750 millions et 1,2 milliards d’euros», a en effet avancé Grégory Caumes.

Des attentes fortes également au sein des spécialités 

Côté spécialités, les questions soulevées et les ouvertures accordées par la loi infirmière sont tout aussi cruciales. Elle prévoit ainsi de les inscrire en pratique avancée. L’arrêté relatif aux IADE, qui réclamaient leur évolution statutaire depuis plusieurs années, est paru début septembre 2025. «Le texte officialisera des choses qui se font depuis des années», a réagi Jean-Pierre Anthony, ancien président du Conseil national professionnel IADE (CNPIA). «On dit souvent que les IADE travaillent "sous protocole d’anesthésie" ou "de stratégie d’anesthésie". Ce sont des périphrases pour ne pas dire que l’on travaille en autonomie.»

Ce sont les professionnels qui vont développer la pratique avancée, car ils sont au cœur même des besoins des patients.

Pour les infirmiers de bloc opératoire (IBODE), l’inscription en pratique avancée pourrait se traduire par le développement de «l’expertise clinique sur le champ opératoire autour du patient» et la possibilité de «réaliser des actes non complexes» et d’améliorer la sécurité des patients, a indiqué Évelyne Cames, la présidente de l’Association des enseignants et des écoles d’IBODE (AEEIBO). Cette extension de leurs compétences permettrait par ailleurs d’optimiser les parcours des patients et de réduire la charge des équipes chirurgicales. «Ce sont les professionnels qui vont développer la pratique avancée, car ils sont au cœur même des besoins des patients.»

Mais pour les infirmiers puériculteurs (IPDE) et ceux de l’Éducation nationale, le changement attendu est majeur. Les uns exercent selon des textes qui datent de 1983 et qui n’ont jamais été revus, a rappelé de son côté Émilie Chollet, présidente du Comité d’entente des écoles préparant aux métiers de l’enfance (CEEPAME). Un temps, la solution de créer une mention pédiatrique pour les IPA a été envisagée. «Le législateur a tranché», actant ainsi des arbitrages pris lors des Assises de la pédiatrie. «La pratique avancée sur les soins aux enfants sera confiée aux IPDE.» Ce qui nécessitera «une redéfinition claire de notre périmètre d’action, avec le rôle spécifique de l’IPDE (protection de l’enfance et accompagnement à la natalité) et l’ouverture du champ médical», a-t-elle précisé. Dès lors que la Direction générale de l’offre de soin (DGOS) se sera emparée du sujet. «C’est une bataille pour la relancer. Nous sommes depuis juillet dans l’attente d’un rendez-vous, et nous n’avons pas encore été conviés à des groupes de travail», a-t-elle soupiré, alors même que la réforme de la formation, qui doit la faire passer à un grade Master, est attendue pour septembre 2027.

Les infirmiers scolaires vers un statut de reconnaissance autonome

Quant aux infirmiers scolaires, ils vont pouvoir faire reconnaître leur statut de spécialité autonome. «On ne définit pas suffisamment bien les contours de notre profession», a fait remarquer Saphia Guereschi, présidente du SNICS-FSU, «alors que nous avons un champ qui nous est propre.» Ces professionnels ont ainsi depuis longtemps développé la consultation infirmière, puisqu’ils ne sont pas placés sous l’autorité du champ médical. La mission d’orientation, elle, est déjà mentionnée dans les textes de loi, mais «ce qui manque, ce sont la mise en application et la reconnaissance.» La nouvelle loi prétend l’inscrire plus fortement. Ces évolutions doivent toutefois passer par le réglementaire pour être mises en œuvre et «ce n’est pas gagné».

Pour la formation, s'appuyer sur l'universitarisation 

Dans ce contexte, se pose la question de la réforme de la formation, pour répondre aux besoins et attentes que ces différentes évolutions vont engendrer. Il faudra ainsi d’abord construire de nouveaux enseignements et laisser les formateurs s’en saisir. Consultation, leadership clinique, prescription… «Les formateurs vont devoir s’emparer de ces éléments qu’ils n’enseignent pas ou peu», a réagi Michèle Appelshaeuser, présidente du Comité d’Entente des Ecoles d’Infirmières et des Ecoles de Cadres (CEFIEC), qui a proposé de s’appuyer sur la littérature anglo-saxonne pour défendre, entre autres, la plus-value de la consultation infirmière.

L’universitarisation ne doit pas couper du terrain !

«Les nouveaux contenus nous permettront de tendre davantage vers la définition actuelle du Conseil international des infirmières (CII), dans laquelle les infirmières dirigent, façonnent, et innovent en matière de politique en santé.» La création de ces nouveaux contenus s’inscrira dans le cadre plus large de l’universitarisation de la formation socle, dont le processus est en cours. Hélène Kerdiles, vice-présidente de l’UNIPA en charge de la formation, a ainsi évoqué l’élaboration de nouveaux diplômes universitaires (DU), notamment pour assurer la montée en compétences des infirmiers déjà en exercice. «L’université doit s’emparer de nos compétences», a-t-elle plaidé.

Un point de vue qu’a partagé le Dr Caroline Barau, assesseure à l’universitarisation des professions de santé et responsable universitaire de la formation en soins infirmiers à l'université Paris-Est Créteil (UPEC). «Les universités doivent mettre en place une politique plus ambitieuse pour structurer les études.» Elle identifie 3 leviers : «développer les masters recherche en sciences infirmières, soutenir le développement des doctorats dans les sciences infirmières» pour alimenter les effectifs d’enseignants-chercheurs, «et accueillir davantage les chercheurs en sciences infirmières pour produire plus de diversité dans le domaine biomédical.» Avec un point de vigilance : «L’universitarisation ne doit pas couper du terrain !», a-t-elle prévenu.

 Le sujet infirmier est devenu politique. Vous êtes 640 000. Vous êtes un enjeu d’accès aux soins. 

Des avancées qui doivent s'inscrire dans le réglementaire

Ces avancées, «il faudra se battre pour qu’elles soient traduites dans le réglementaire», a alerté Grégory Caumes. Ce sont d’abord les deux arrêtés et le décret prévus par la loi pour le métier socle qui sont visés. Celui qui définit les nouveaux actes et soins infirmiers est passé devant le Haut conseil des professions paramédicales (HCPP) et est désormais en Conseil d’État. Suivra celui sur les prescriptions, essentiel dans le cadre de l’accès direct et de la consultation infirmière. Quant au décret, décevant dans sa première version car il faisait l’impasse sur un certain nombre d’évolutions (dont accès direct et orientation), pourtant souhaitée par la profession, il a été revu. Sa nouvelle version est aussi présentée en Conseil d’État. Resteront alors l’ensemble des textes relatifs aux spécialités. «Ces textes seront attaqués par les médecins, qui s’en prennent systématiquement aux évolutions infirmières. Rien n’est acquis», a-t-il insisté, appelant l’ensemble de la profession infirmière à se mobiliser auprès des pouvoirs publics, notamment en saisissant l’occasion représentée par les futures élections municipales. «Le sujet infirmier est devenu politique […]. Vous êtes 640 000. Vous êtes un enjeu d’accès aux soins.»


Source : infirmiers.com